New Morning, 7 décembre 2011
Sous un certain angle, il serait assez aisé de considérer Médéric Collignon comme un fruit (mais parmi les meilleurs) tombé de l’arbre de notre ultra-contemporanéité : auto-dérision, goût de la farce et du collage, décloisonnement des genres, technophilie espiègle, bouffonneries de toutes espèces, désinhibition à peu près intégrale. Quelques manifestations de cet état d’esprit très débridé pourront bien agacer, et il n’est pas interdit de sourire poliment à quelques-uns de ses cabotinages. Pour peu toutefois qu’on n’y accorde que l’importance requise (c’est-à-dire presque aucune) et que cela ne masque pas l’essentiel, l’histoire du rire confirmant qu’il n’est pas seulement la politesse du désespoir, mais la belle arme des esprits indépendants et fiévreux.
La musique n’est pas pour rien l’art de ceux qui, parfois, peuvent douter de leur verbe – quand nombre d’écrivains, jaloux, allez savoir, de l’éclat d’une phrase ou de la couleur d’une cadence, peuvent bien, à leur tour, rêver en musique. Il y a d’ailleurs du cri, beaucoup de cris, dans l’art de Collignon, mêlés à une tentation de l’onomatopée qui en dit long sur ce qui bruisse comme discours en lui, dont il conjugue la trame dans une musique architecturale, fragmentaire, claquante et viscérale. Que ce discours transite par les instruments à vents ou la gorge, voilà qui n’en altère pas la nécessité, laquelle prend chez lui, donc, de farouches et cathartiques atours. La littérature est un cri, et un cri parfois silencieux, du moins un cri que l’on ne peut guère distinguer que dans le quant-à-soi de la lecture ; si le privilège des musiciens est de pouvoir en transmuer la forme, la texture, celui de Collignon pourrait bien être d’en faire un quasi métalangage. Ceux (c’est mon cas), qui l’ont vu pour la première fois, l’autre soir, sur la scène du New Morning, comprendront certainement ce que je veux dire.
Collignon fait donc partie de ces artistes pour lesquels il ne saurait y avoir de musique qui n’ait aussi pour ambition de (se) malmener. L’intention n’est pas tant d’innover que de renouveler, d’aguicher que d’affranchir : d’une certaine façon, j’eus parfois l’impression qu’il s’agissait de faire revenir la musique à son intention inaugurale, à sa gestation ; de lui restituer, finalement, la primauté de son cri. On comprend mieux alors son admiration pour ces explorateurs que furent, chacun dans son genre, Miles Davis ou King Crimson. Collignon exhausse ce qui en eux nous demeure étrange, hors de portée – quitte à parfois un peu trop insister sur la part la plus voyante ou spectaculaire de cette singularité. On lui en tiendra d’autant moins rigueur que ce garçon n’est pas loin de détenir le feu sacré qui fait les génies : il faut être un innocent ou un démiurge pour mettre en de telles formes la recréation de ce que l’on a ressuscité – peut-être est-ce aussi cela, ce que l’on appelle l’âme du jazz.
Extrait
Médéric Collignon & Le Jus de Bocse - New Morning, 7 décembre 2011