Tout exploitant d'une installations classée (ICPE) - éolienne, carrière etc... - sera intéressé par cet arrêt rendu le 8 février 2012, par le Conseil d'Etat, en Section du contentieux ce qui atteste de son importance. Cet arrêt précise en effet les conditions d'autorisation d'une ICPE au sein d'un parc naturel régional, en l'occurence une carrière (crédits photo masif des bauges).
Les Parcs naturels régionaux, moteurs du développement durable des territoires.
Selon les données de la fédération des Parcs naturels régionaux, il y a aujourd’hui 47 Parcs naturels régionaux en France, qui représentent plus de 13 % du territoire français, plus de 3900 communes, plus de 7 millions d’hectares et plus de 3 millions d’habitants.
Une partie importante de notre territoire est donc concerné par l'existence d'un Parc naturel régional et par les objectifs et dispositions de sa Charte. Depuis leur création, la question est régulièrement posée de savoir si les PNR sont de simples forums d'élus locaux sur le développement durable ou, à l'inverse, des instances pertinentes qui sont la condition, grâce à leur charte, à l'investissement des élus et à leurs experts, d'un déploiement efficace du principe de développement durable dans les territoires. Je penche très clairement pour la seconde option. Le Parc naturel régional est à mon sens une excellente création et ses chargés de mission accomplissent au quotidien un travail tout à fait remarquable.
ICPE et PNR
Revenons à l'arrêt rendu ce 8 février par la Haute juridiction, à la requête de l'Union des industries de carrières et matériaux de construction de Rhône-Alpes.
Dans cette espèce, la requérante demandait l'annulation de l'article 2 du décret du 30 juillet 2008 portant classement du parc naturel régional du massif des Bauges, "en tant qu'il adopte les dispositions de la charte du parc naturel régional figurant dans le document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc, qui imposent aux exploitants de carrière des obligations de procédure et de fond".
Concrètement la Charte de ce nouveau PNR comportait des dispositions susceptibles de rendre plus contraignantes les conditions d'autorisation d'une ICPE en général et d''une carrière en particulier sur le territoire du PNR. Deux questions de droit se posaient alors. La première tient à l'opposabilité d'une Charte de PNR au demandeur d'une autorisation d'exploiter une ICPE. La seconde tient au type de dispositions que peut contenir une Charte de PNR à l'endroit des ICPE.
Un rapport de cohérence
Deux normes entre elles peuvent entretenir plusieurs types de rapport. C'est ainsi qu'une règle de droit peut avoir un rapport de "compatibilité" ou de "conformité" avec une autre règle de valeur supérieure. S'agissant de la Charte d'un PNR, c'est un rapport de "cohérence" qui est introduit entre les décisions administratives et les orientations de cette Charte.
Le premier considérant - de principe - de l'arrêt ici commenté du Conseil d'Etat précise :
"Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la charte d'un parc naturel régional est un acte destiné à orienter l'action des pouvoirs publics dans un souci de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public sur le territoire du parc et à assurer la cohérence de cette action avec les objectifs qui y sont définis ; qu'il appartient, dès lors, à l'Etat et aux différentes collectivités territoriales concernées de prendre les mesures et de mener les actions propres à assurer la réalisation des objectifs de la charte et de mettre en oeuvre les compétences qu'ils tiennent des différentes législations, dès lors qu'elles leur confèrent un pouvoir d'appréciation, de façon cohérente avec les objectifs ainsi définis ; que toutefois la charte d'un parc naturel régional ne peut légalement imposer par elle-même des obligations aux tiers, indépendamment de décisions administratives prises par les autorités publiques à leur égard (...)"
Aux termes de ce considérant : la Charte d'un PNR ne peut créer d'obligations qui s'imposeraient directement aux tiers. A l'inverse, les décisions prises par l'Etat et les collectivités territoriales doivent être cohérentes avec les termes de ladite Charte. Il s'agit là d'un principe ancien, confirmé par le présent arrêt. En réalité, l'intérêt de ce dernier tient aux précisions qu'il apporte s'agissant du rapport de cohérence qui doit exister entre la Charte d'un PNR et l'autorisation d'exploiter une ICPE, délivrée par un Préfet.
L'arrêt précise ici :
"qu'elle [la Charte] ne peut davantage subordonner légalement les demandes d'autorisations d'installations classées pour la protection de l'environnement à des obligations de procédure autres que celles prévues par les différentes législations en vigueur ; que si les orientations de protection, de mise en valeur et de développement que la charte détermine pour le territoire du parc naturel régional sont nécessairement générales, les mesures permettant de les mettre en oeuvre peuvent cependant être précises et se traduire par des règles de fond avec lesquelles les décisions prises par l'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte dans l'exercice de leurs compétences devront être cohérentes , sous réserve que ces mesures ne méconnaissent pas les règles résultant des législations particulières régissant les activités qu'elles concernent ; que leur légalité est également subordonnée à leur compatibilité avec l'objet que le législateur a assigné aux parcs naturels régionaux et à leur caractère nécessaire pour la mise en oeuvre des orientations de la charte".
En définitive, la Charte d'un PNR :
- ne peut créer de nouvelles règles de procédure qui s'imposeraient à l'instruction d'une demande d'autorisation d'exploiter une ICPE ;
- peut créer, via ses mesures de mise en oeuvre, des règles de fond avec lesquelles les décisions prises par l'Etat et les collectivités adhérentes de la Charte devront être cohérentes à ces conditions :
- lesdites mesures de mise en oeuvre de la Charte ne peuvent méconnaître les règles résultant de législations particulières
- elles doivent être compatibles avec l'objet des parcs naturels régionaux;
- elles doivent être nécessaires à la mise en oeuvre des orientations de la Charte.
Le Conseil d'Etat applique alors cette analyse à la situation précise des carrières :
"Considérant que l'activité d'extraction de matériaux étant susceptible de provoquer des nuisances environnementales et paysagères, une charte de parc naturel régional peut légalement comporter des mesures précises la concernant, sous réserve de ne pas méconnaître les prescriptions des autres règles applicables en matière de carrières"
La Charte d'un PNR peut donc appeler des "mesures précises" qui devront être prises en compte par l'Etat au moment de l'instruction d'une demande d'autorisation d'exploiter une carrière. Au cas présent, reste à savoir si de telles mesures étaient légales.
"Considérant que le rapport d'orientations stratégiques que comporte la charte du parc naturel régional des Bauges et qui fixe les grandes orientations de cette charte, énonce que le syndicat mixte du parc a pris l'initiative d'élaborer des Spécifications particulières concernant l'activité carrières sur le massif , qui serviront de ligne de conduite pour les avis du Syndicat Mixte du Parc sur ce sujet ainsi que pour les communes approuvant la Charte , et qui n'ont absolument pas vocation à se substituer aux Schémas départementaux des carrières élaborés par l'Etat ; que le document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc indique, dans son préambule, qu'il est décidé d'inclure un volet complet concernant l'exploitation des carrières et la gestion des matériaux sur le territoire classé, qui s'inscrit comme une déclinaison des schémas départementaux des carrières de Savoie et de Haute-Savoie, auxquels il apporte un certain nombre de compléments générés par les caractéristiques propres au territoire ; qu'il ajoute que certaines de ces prescriptions orienteront les documents d'urbanisme des communes et que d'autres pourront venir alimenter les réflexions et travaux engagés par l'Etat, à l'occasion de la révision des schémas départementaux qui interviendrait pendant la durée de validité de la charte ; que ces dispositions, qui soulignent la portée limitée des orientations et mesures relatives aux carrières contenues dans la charte, assignent à celles-ci pour seul objectif d'orienter l'action des différentes collectivités publiques intéressées, dans le respect des principes d'opposabilité aux personnes publiques des chartes de parc naturel régional".
Ainsi, au cas présent, le Conseil d'Etat souligner que le rapport d'orientation prévoit l'élaboration ultérieure d'un document "Spécifications particulières concernant l'activité carrières sur le massif" lequel aura pour seul objet d'orienter l'acction de l'Etat et non de la dicter. Ce document, dans son ensemble, n'est pas par lui-même illégal.
A une exception près. Car ce document prescrit en effet, aux exploitants de carrières, la réalisation d'une étude environnementale spécifique. Or, comme cela a été précisé plus haut, la Charte ne peut appeler la définition d'une nouvelle règle de procédure qui s'imposerait directement aux tiers :
"Considérant, toutefois, que le point 5.1 Spécifications applicables à toutes les carrières de ce document comporte un troisième et un cinquième alinéas qui prescrivent la réalisation de nouvelles études ; que, selon le troisième alinéa de ce point, les exploitants de carrière doivent fournir une étude d'impact très détaillée avec l'élaboration d'une étude paysagère et environnementale montrant visuellement l'évolution de la carrière tous les trois ans (photos montages, simulations plans / coupes / vues 3D), et indiquant les dispositions techniques nécessaires à une renaturation progressive et coordonnée entre les méthodes d'exploitation et de réaménagement. Les contraintes liées à l'eau, à la biodiversité, aux transports, aux nuisances visuelles ou sonores, à l'émission de poussières devront être traitées au même degré d'exigence. L'étude devra sortir du cadre du périmètre de l'exploitation et disposer d'une analyse des impacts autour de l'exploitation et en aval de la production (transport, bruit, poussière) notamment sur les communes concernées par le flux de matériau. L'étude d'impact devra ainsi développer une série d'indicateurs mesurables permettant d'évaluer l'effet de l'exploitation lors de son suivi régulier ; que le cinquième alinéa prévoit que toute demande d'ouverture ou d'extension de carrière doit être accompagnée d'une étude complète portant sur la logistique d'acheminement des matériaux intégrant les exigences des communes traversées et la capacité des axes empruntés ; que ces dispositions imposent aux exploitants de carrière, pour l'exercice de leur activité ainsi que pour toute demande d'une autorisation d'ouverture ou d'extension de carrière, le respect d'obligations de procédure qui s'ajoutent à celles prévues pour la délivrance des autorisations d'installations classées et par la législation relative aux carrières ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le décret attaqué ne pouvait légalement les adopter"
Le décret attaqué est donc annulé sur ce point. Seule la police spéciale des ICPE peut définir les règles d'instruction applicables à l'instruction des demandes d'autorisation d'exploiter.
Tel n'est pas le cas du reste du document "spécifications particuluères" relatif à l'exploitation des carrières sur le territoire du nouveau PNR :
"Considérant, en revanche, que, contrairement à ce qui est soutenu, les autres dispositions contestées du point 5 du document édictant des spécifications particulières aux carrières du parc se bornent à déterminer des orientations de protection, de mise en valeur et de développement ainsi que des mesures permettant leur mise en oeuvre, destinées à guider l'action des différentes collectivités publiques intéressées dans l'exercice des compétences qui leur sont reconnues par la loi sur le territoire d'un parc naturel régional ; que nonobstant leur degré de précision, ces orientations et mesures particulières aux carrières n'ont pas pour effet d'imposer par elles-mêmes des obligations aux tiers ; qu'en particulier, le treizième alinéa du point 5.1 du document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc , aux termes duquel L'exploitation, à ciel ouvert notamment, constituant une atteinte durable et irréversible au paysage et à l'environnement, retenir le principe de compensation. A cet effet, il sera étudié sur le plan juridique et financier, les dispositifs à mettre en oeuvre pour enrichir le patrimoine sur le site, ou à proximité de celui-ci. Le(s) dispositif(s) sera(ont) géré(s) par le Syndicat mixte du Parc en relation avec le comité de suivi de la carrière. Les ressources financières pourront venir par exemple d'un prélèvement sur le chiffre d'affaires de la carrière, des produits issus de la valorisation des matériaux provenant de terrassements en souterrain et/ou à l'air libre réalisés sur le territoire du Parc, et dans le cadre de grands travaux , n'impose par lui-même aucune obligation aux exploitants de carrière ni à aucune autre personne privée ; que cet alinéa n'a pas, eu égard aux termes employés, pour objet, et n'aurait pu avoir légalement pour effet, d'imposer une quelconque obligation financière aux exploitants de carrière ; que si les décisions prises par le préfet sur les demandes d'ouverture, d'extension ou de renouvellement d'autorisation de carrière doivent être cohérentes avec ces orientations et mesures, ces dernières ne méconnaissent pas la réglementation particulière à laquelle sont soumises par ailleurs les carrières, qu'elles ne font que compléter, conformément à l'objet de la charte, en fonction des caractéristiques propres du territoire ; qu'en particulier, les dispositions du point 5.2.2 Spécifications particulières applicables aux carrières en Terrasses Alluvionnaires de ce document fixant une durée maximale d'autorisation et une quantité maximale autorisée pour de telles carrières, qui ne méconnaissent pas la législation relative aux carrières et n'imposent par elles-mêmes aucune obligation aux tiers indépendamment d'une décision administrative, visent à limiter l'impact de l'activité d'exploitation de carrières en terrasses alluvionnaires sur les ressources naturelles, conformément à l'objet assigné aux parcs naturels régionaux par l'article L. 333-1 du code de l'environnement, aux termes duquel les parcs concourent à la politique de protection de l'environnement et aux orientations de la charte que ces mesures permettent de mettre en oeuvre ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en fixant ladite durée maximale d'autorisation à quinze ans et la quantité maximale autorisée à 100 000 tonnes par an, ces dispositions soient entachées d'erreur manifeste d'appréciation ; que le décret attaqué a donc pu les adopter sans illégalité"
En conséquence, à la suite de la Charte, un PNR est donc bien fondé à adopter des règles de fond précises de nature à orienter l'action de l'Etat en matière d'ICPE et non à créer des règles nouvelles - a fortiori de procédure - directement opposables à un tiers, ici l'exploitant.
En définitive l'arrêt précise :
"Considérant qu'il résulte de ce qui précède que sont entachées d'illégalité les dispositions de la charte figurant aux alinéas 3 et 5 du point 5.1 du document intitulé Spécifications particulières des carrières du territoire du Parc ; que ces dispositions étant divisibles du reste de la charte, l'UNION DES INDUSTRIES DE CARRIERES ET MATERIAUX DE CONSTRUCTION DE RHONE-ALPES n'est, dès lors, fondée à demander l'annulation du décret attaqué qu'en tant qu'il adopte les dispositions mentionnées ci-dessus de la charte"
La fin du "droit gazeux"
La solution retenue par le Conseil d'Etat est certes empreinte d'une certaine complexité mais elle permet un équilibre entre, d'une part la capacité d'un PNR à assurer le respect de sa Charte et, d'autre part, le respect des attributions de l'autorité en charge de la police spéciale des ICPE. Cette solution permet de préserver l'utilité du PNR tout en écartant le risque qu'il ne devienne une nouvelle autorité de police.
Cet équilibre supposera, s'agissant de la définition de nouvelles règles de fond, un examen cas par cas de leur légalité en fonciton des critères qui viennent d'être soulignés par le Conseil d'Etat.
L'époque où le Conseil d'Etat considérait le dispositif juridique des parcs naturels régionaux comme symblique du droit gazeux" est donc bien révolue.