Permettez-moi ce petit capriccioen trois billets, histoire d'alléger votre lecture.Remontez le temps. Entrez dans la peau du vice-commissaire Spinelli.Vous êtes de service ce mercredi 6 février 1907, fin d'après-midi.
-Vous dites, Dottore?-Je vous disais que ceux qui disparaissent dans la fleur de l’age sont les préférés des Dieux.-Je ne vous savais pas familier d'Homère. Pouvez-vous lui clore les paupières et m’aider à redresser la malheureuse? Il me semble qu’il y a quelque chose sous sa hanche droite…Une poupée? Une petite poupée vêtue de rose!-Dans le monde parisien, cette particularité porte un sens bien précis interrompt alors l’inspecteur Scarpa entré silencieusement dans la chambre.-Un sens bien précis!?!-C’est du moins ce que m’a affirmé Alazabal. Il reste encore quelques jours à Venise. Le temps du carnaval. A votre disposition, si besoin est.Autre chose Commissaire. Les brancardiers de la Croce Azzura demandent la permission d’enlever le corps pour la mortuaire.-Très bien. Faites-les entrer, Scarpa. Qu’ils recouvrent la malheureuse avec le peignoir tombé au bout du lit.-Tenez, Spinelli, ce petit sac à main enfoui sous l’oreiller.-Faites voir, Dottore. Une clé. Vraisemblablement celle de la malle. Plus intéressant, ce billet: “Pepi Strega, gondola 128, San Marco”.-Commissaire, il y a là sur la cheminée ce télégramme en français, adressé à une certaine Signorina Vieste, résidant à Dresde. Egalement ces deux lettres: une pour un baron Bruelberg à Stockholm et l’autre pour le consulat de Russie. Elle implore le Consul de prévenir sa mère de sa mort. Per amore ... pour un amoureux bien connu d’elle, a-t-elle écrit. Et voici une photo. Probablement celle de l’homme responsable de ce beau gâchis.-Montrez voir Scarpa.Si vous en avez terminé ici, faites mander Monsieur le Consul De Soundy et essayez de me retrouver ce Strega. Même si l'affaire semble évidente, ce gondolier pourra peut-être nous en dire davantage.-A vos ordres, Commissaire!
Je me dirige vers la fenêtre.
L’homme de la photo est élégant. Le teint ardent. Les yeux de bistre. La moustache souriante. Une signature: Eduardo Garcio.
San Giorgio Maggiore a disparu. Quelques fanaux s’agitent et se croisent sur les eaux du Baccino. En bas sur le quai, j’aperçois les brancardiers quittant le Danieli. A peine si quelques badauds jettent un regard distrait sur la civière recouverte du peignoir de Sofia Kaliensky, noble russe de vingt et un an.
Je reste là, roide. La nuit drape à présent entièrement les feux de la gondole de la Croce Azzura.
Je suis à cent lieues de me douter que dans quelques mois, une autre femme de noblesse russe viendra hanter mes nuits jusqu'à la fin de mes joursJe suis à cent lieues d’imaginer m'abîmer dans l’affaire Tarnowska…
Fin ...