La campagne de Nicolas Sarkozy devait consister en une blitzkrieg triomphante mettant la gauche a genoux en quelques jours. Il n'y a pas fallu attendre longtemps pour voir d'autres métaphores militaires s'imposer plus naturellement : la campagne de Russie, si ce n'est la Bérézina. Chaque semaine apporte son lot de couacs, incidents et ratages inimaginables en 2007. Ces 5 ans ont décidément laissé des traces.
Dans ce bourbier, la polémique autour du halal tient une place particulier. Parce qu' elle est une des raisons de ce début de campagne raté, mais aussi parce qu'elle illustre parfaitement les difficultés du Sarkozy millésime 2012. Récapitulons.
Le 11 février, Nicolas Sarkozy ouvre le feu dans l'interview au Figaro Magazine qui préfigure son entrée en campagne. " Si les étrangers extraeuropéens pouvaient voter en France aujourd'hui, songeons comment risquerait d'évoluer le débat municipal dans telle ou telle commune : faut-il des cantines scolaires halal ? Des piscines réservées aux femmes ? Est-ce cela que nous voulons ? ". Le ton - ultra droitier et conservateur - est donné, et le lien entre halal et vote des étrangers établi.
Le 18 février, une concurrente de choc entre sur le marché de l'électorat anti-halal : Marine Le Pen. " Il s'avère que l'ensemble de la viande qui est distribuée en Ile-de-France, à l'insu du consommateur, est exclusivement de la viande halal [...] Tous les abattoirs d'Ile-de-France vendent du halal, sans exception. " L'héritière FN frappe fort : l'État UMP laisse-t-il les Franciliens être nourris à l'insu de leur plein gré selon le rite musulman ?
Le 21 février, Nicolas Sarkozy, lors de sa matinale visite à la France-qui-se-lève-tôt à Rungis, entend stopper le début de psychose : la polémique " n'a pas lieu d'être ".
La député UMP François Hostalier n'a pas dû se lever assez tôt pour entendre son candidat, puisqu'elle dépose le 22 février une proposition de loi pour tracer le mode d'abattage des animaux ... avant de la retirer quelques jours plus tard, le 11 mars, à la demande de l'UMP, car il ne faut " pas embrayer sur le discours du FN ". Bon.
Sauf que finalement, c'est visiblement la stratégie présidentielle que d'embrayer sur le FN. Le samedi 3 mars, à Bordeaux, Nicolas Sarkozy : " Reconnaissons à chacun le droit de savoir ce qu'il mange, halal ou non. Je souhaite l'étiquetage des viandes en fonction de la méthode d'abattage ". La veille, son fidèle Claude Guéant a de son côté relancé la ligne élyséenne initiale, faisant rimer halal et vote des étrangers : " Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent par exemple obligatoire la présence de la nourriture halal dans les repas des cantines ". Tremblez, Musulmans : l'UMP vous attaque désormais sur deux flancs !
Sauf que ... la propre porte-parole du candidat-président n'est pas d'accord, et le dit sur le plateau de Dimanche Plus, le dimanche 4 mars. " Moi je trouve qu'il y a assez de raisons d'être contre le vote des étrangers aux élections au nom de l'indivisibilité de la citoyenneté et il y a assez de raisons d'être contre les repas confessionnels à la cantine pour qu'il ne soit pas nécessaire de faire un lien entre les deux. ". Aïe : qui croire, le Président, Claude Guéant, NKM ?
Lundi 5 mars, la confusion s'épaissit encore à l'UMP. Le premier ministre François Fillon, pour se désengager des soupçons d' islamophobie qui s'accumulent contre son camp, croit bon de s'en prendre également à la viande casher. " Les religions devraient réfléchir au maintien de traditions qui n'ont plus grand chose à voir avec l'état aujourd'hui de la science, l'état de la technologie, les problèmes de santé ". Tollé chez les Musulmans, les Juifs, et dans le reste du monde politique. Surtout que parallèlement, Nicolas Sarkozy a commis une sortie de route quelque peu délirante, affirmant, sans aucune preuve, que le halal est " le premier sujet de préoccupation, de discussion, des Français ".
Dans la soirée, Salima Saa, membre de la direction nationale de l'UMP, s'indigne sur Twitter : " je ne cautionne pas les propos qui assimilent l'abattage de la viande hallal à des "pratiques ancestrales ".
je ne cautionne pas les propos qui assimilent l'abattage de la viande hallal à des "pratiques ancestrales"
- Salima Saa (@Salima_Saa) Mars 5, 2012
Mardi 6 mars, Jean-François Copé entre dans la danse ... contre Fillon. " Ce vocabulaire n'est pas le mien et ne sera jamais le mien. Personnellement, je ne prononcerai jamais ces mots ". Alain Juppé dégaine aussi, contre Sarkozy, Guéant et Fillon : " J'ai déjà dit que le 'choc des civilisations' n'était pas ma tasse de thé. Je pense que le problème de la viande halal est un faux problème en réalité, qu'il y a d'autres vraies questions qu'il faut se pose ". Vous suivez toujours ? N'oublions pas le franc-tireur Rachida Dati, qui y va de son petit coup de pied de l'âne à Fillon : " Viande halal et viande casher, François Fillon mélange tout. Il s'immisce dans les pratiques religieuses et sort de son rôle. "
Jeudi 8 mars, rien ne va plus. C'est d'abord Nicolas Sarkozy sur RMC qui désavoue à la fois Claude Guéant, et sa propre interview du Figaro Magazine : " Question : P ensez vous vraiment que si les étrangers avaient le droit de vote aux élections locales, les musulmans imposeraient demain la viande Halal dans les cantines ? Nicolas Sarkozy : Non. [...] Faire le lien c'est excessif' ".
C'est ensuite le zorro chiraquien Jean-Pierre Raffarin qui passe à l'attaque, lors d'un déplacement : " Quand j'écoute la campagne nationale, je constate un décalage avec la réalité du territoire [...] Avec Nicolas Sarkozy, nous ne sommes pas d'accord sur tout ". Effectivement.
Que déduire de cette cacophonie consternante ?
Que la campagne de Nicolas Sarkozy, d'abord, n'a pas de cap. Le fameux " capitaine dans la tempête " n'a d'autre boussole que celle des sondages en berne et des opérations réussies de ses adversaires. Il y répond au coup par coup, par des ... coups décousus et parfois contradictoires.
Que Nicolas Sarkozy, ensuite, fait campagne tout seul. Comment est-il seulement possible que la porte-parole-parole du candidat, le Premier Ministre, le Ministre de l'Intérieur et le chef du parti majoritaire soient en désaccord sur des thématiques aussi importantes, et qu'ils aillent par-dessus le marché exposer ces désaccords dans les médias ? La conclusion s'impose d'elle-même : il n'y a pas vraiment d'équipe de campagne.
Que les ténors de l'UMP, enfin, ont intégré qu'ils allaient perdre et qu'ils jouent déjà le coup d'après, en cherchant à prendre leur distance avec le radeau de la Méduse sarkoziste, et à se démarquer les uns des autres. Du coup, leur prophétie risque bien d'être auto-réalisatrice, tant ils brouillent et rendent inaudible la parole présidentielle.
Romain Pigenel