du 11 mars au 10 juin 2012
http://mrac.languedocroussillon.fr
Le Musée Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon à Sérignan organise une grande exposition monographique consacrée à Yves Bélorgey. Sur 1000 m², les peintures viennent dialoguer avec les grands dessins au même format, invariablement 240 x 240 cm, installés sur les deux niveaux du musée.
Yves Bélorgey parcourt les banlieues des grandes métropoles, de Marseille à Mexico, en passant par Varsovie ou Istanbul, pour en ramener des photographies d’immeubles qui, plus tard à l’atelier, deviendront des peintures et dessins de grandes dimensions. Ses peintures cadrent et tendent à faire entrer l’objet représenté dans sa globalité. La construction est donnée par la facture, proposant au regardeur la même monumentalité que lorsque l’on se situe devant l’immeuble lui-même. Les dessins sont plus resserrés, représentant souvent des entrées d’immeubles ou des détails particuliers. Ils ne sont pas des esquisses mais proposent un autre cadrage, davantage dans la quotidienneté.
Les représentations de paysages urbains d’Yves Bélorgey portent un regard sur les édifices de l’architecture moderne. Il les représente dans une frontalité brutale et exhibe l’organisation sociale qui conditionne le système urbain des banlieues. Ces barres d’immeubles sont représentées sur le mode du réalisme sans pour autant chercher à dupliquer la photographie, tout en excluant les préjugés sociaux dont ils sont d’ordinaire affublés. Le regard n’est à la fois ni pessimiste, ni optimiste, mais se positionne plutôt sur le mode documentaire. Yves Bélorgey décrit sa relation au sujet de sa peinture : « Du paysage habité j’ai gardé les immeubles d’habitation collectifs, multifamiliaux, modernes (construits après les années 60). Chaque tableau représente un fragment de l’espace habité, évoque un environnement plus large qui renvoie à des faits et des processus historiques. Je m’interroge sur l’histoire du XXe siècle à travers la peinture. […] Les techniques rationnelles de construction, la culture du progrès, sa diffusion internationale, l’autorité des pouvoirs publics, l’état planificateur, la banlieue, les quartiers sensibles, une population déshéritée… Tout cela doit rester hors du tableau. L’immeuble collectif est devenu le mauvais objet par excellence, ou l’objet d’une mauvaise conscience. […] Je ne veux pas ce mélange de compassion et de dénonciation que semble appeler le sujet. Je ne montre pas un monde idéal, je tente de restituer ce que j’ai vu. Je me situe dans l’écart entre l’utopie et ce qu’il reste dans l’inachevé de l’actualité. »
Ce n’est pas une préoccupation sociologique qui mène Yves Bélorgey à décliner façade après façade mais une fascination pour ce motif, l’immeuble, tant pour sa valeur symbolique de construction universelle que pour ses qualités plastiques, à la fois picturale et sculpturale. Il observe ces immeubles comme les monuments d’un projet social révolu, comme les représentants des ruines d’une certaine époque dont l’ambition – aujourd’hui remise en question – était d’offrir un confort minimum pour tous. Il envisage la peinture comme un enjeu politique et lui donne un sens militant : réaliser des peintures d’immeubles signifie travailler le nombre, la densité et le paysage actuel de la ville ; c’est une façon de faire le pont entre le tableau et l’immeuble, deux oeuvres autonomes isolées. Yves Bélorgey nous amène « à regarder frontalement et sans états d’âme la ville ».
« Des barres d’immeubles tenues serrées dans un format carré, invariablement le même 240 x 240 cm. Voyageur infatigable et photographe amateur, d’abord de l’architecture fonctionnaliste des années 60 en France avant d’élargir son horizon géographique, Yves Bélorgey est peintre. Au début de sa carrière, il décide d’inventer un programme de commande publique fictive : « peindre des immeubles collectifs comme des documents ».
Ce premier temps est une manière de régler le sujet en peinture en délimitant le périmètre d’une recherche. L’invention d’un territoire s’impose dans la radicalité d’une construction elle-même conçue comme une délimitation et un cloisonnement. Ce territoire annonce une confrontation entre la façade des immeubles et la surface du tableau. La confrontation est redoublée lorsqu’on se tient face aux tableaux qui imposent une présence physique impossible à soustraire au regard : le plan de peinture est d’une rare densité visuelle, et toute idée générale de la surface en peinture cède face à une perception de la surface transformée en matière. Le tableau, à cause notamment de son format, tient à distance, et met en respect, comme un mur qu’on ne peut franchir. On peut saisir cette résistance comme la volonté première de transformer le tableau en document. Et s’il s’agit de reconduire une situation concrète, comme c’est le cas de tout document, alors on comprend pourquoi les tableaux échappent au spectacle de la couleur et des profondeurs. » Corinne Rondeau, extrait de « Yves Bélorgey, Des murs de peinture », texte qui sera publié dans un ouvrage qui va paraître à l’occasion de cette exposition, édité par le Musée Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon.
Commissariat : Hélène Audiffren