Depuis quelques semaines, ou plus longtemps encore, on note cette thématique de la victimisation chez Sarkozy. Romain Pigenel montre bien que cette tendance à la victimisation est une corde sur laquelle la droite n'hésite pas à tirer. Avec Sarkozy, c'est, comme toujours, beaucoup plus poignant encore. Dagrouik s'interroge sur cet "Aidez-moi, aidez-moi" sur lequel le Très Grand Homme (TGH) termine ses meetings. Carla Bruni suggère même que Son Mari serait en train de se tuer, littéralement, avec son boulot : “Il travaille 20 heures par jour, donc j’ai peur qu’il (rires) meure, qu’il tire trop sur la corde”. A la télé, Sarkozy parle de ses malheurs personnels : Cécilia qui l'oblige à aller au Fouquet's, sur le yacht de l'autre. Et maintenant l'hystérie du jour, c'est qu'il songe à prendre chemin de Lionel Jospin en cas de défaite.
Je suis d'accord avec Romain : ce n'est pas de la bonne comm', c'est suicidaire, en effet. Pourquoi, alors, se montrer si faible, si fébrile. Veut-il incarner la précarité que tant de français vivent au quotidien, leur persuader qu'en lui rendant son boulot à lui, qu'eux aussi retrouveraient, quelque part, un peu de la stabilité qui leur manque ? C'est sans doute un peu tiré par les cheveux.
Ça se joue sur le terrain affectif. Comme s'il était persuadé qu'au fond, les Français ne pouvaient pas se passer de lui. Comme le type qui menace sans cesse de quitter sa copine, ou de se jetter dans la Seine si elle le quitte. "Tu verras quand je ne serai plus là. C'est toi qui va regretter, pas moi. " (Pardon : "tu verras quand je serai plus là", la suppression du "ne" fait partie des réformes réussies du quinquennat.)
Comment, en effet, pourrions-nous nous passer de notre Petit Père du Peuple ? Il rêve encore d'avoir un surnom affectif comme "Tonton" (et pas "Povcon"), d'être l'homme providentiel. Il ne comprend pas que politiquement, il est tout sauf protecteur et tout sauf rassurant. Il ne comprend pas qu'il a grillé toutes ses cartouches après un an de mandat et que son narcissisme, ce narcissisme qui le pousse justement à vouloir être la synthèse des aspirations de son pays, est devenu trop visible en tant que tel pour une grande majorité de ses sujets.
Les véritables hommes providentiels et petits pères du peuple, du moins ceux qui réussissent à se faire passer pour tels, ne demandent pas au peuple de leur venir en aide. Cela paraît évident. Le problème pour notre Très Grand Homme (TGH), c'est qu'à force de vivre dans et pour la scène télévisuelle, et d'encourager notre voyeurisme admiratif, de nous intéresser à lui plus qu'à ses politiques (pour lui faire confiance), il s'est mis à croire lui-même à son propre feuilleton, au point qu'il pense devoir "faire appel au public", comme dans la téléréalité. Le public veut (d'après les analyses du TGH) prolonger la saison de la Star Ac' encore plus qu'il ne veut traiter de ces tristes sujets comme le chômage qui n'ont pas d'existence télévisuelle du tout.
Cette élection va être la lutte entre la réalité et la téléréalité ? Pas tout à fait, parce que pour gagner, il ne faut pas non plus sous-estimer le poids de la téléréalité.