« La pudeur se cache derrière notre sexe »
Francis Picabia
A l’instar de l’oeuf et de la poule qui n’en finissent plus de se disputer la primauté de l’apparition, qui est arrivé le premier entre le voyeur et l’exhibitionniste? Des débats comme ça, on peut en tenir sans fin. Si dans le cadre de la gallinacée et du poussin en devenir, on peut trancher en faveur de l’oeuf qui préexistait aux oiseaux, dans l’alternative posée par nos pervers, on se contentera d’affirmer que le premier arrivé, c’est la pudeur, qui pour Nietzsche était une modalité du respect de la beauté.
Pourquoi évoquer les fanatiques du trou de la serrure et les claustrophobes de l’entrejambe alors qu’ils seraient bien en peine de nous fournir de quoi faire une omelette? Et bien parce que Chantal Jouanno a décidé, comme l’a évoqué Blequin plus haut, de lutter contre « l’hypersexualisation des petites filles ». On peut bien sûr approuver sa motivation à protéger les enfants, mais comme d’habitude avec nos gouvernants, les termes du sujet sont mal posés et n’abordent qu’une infime partie du problème. Selon la sénatrice, les concours de mini-miss, la mode, les jouets, et les dessins animés véhiculent un retour de stéréotypes qui causent une « régression féminine » (le lapsus est issu de l’interview). A moins d’être un vicieux infâme et de ne lire cet article que d’une main, on ne peut qu’applaudir le diagnostic, et avant de critiquer, reconnaissons la bonne volonté de la Geneviève de Fontenay du Sénat.
Mais la cible visée, à savoir les parents qui prennent leurs jouvencelles pour des poupées, révèle tout de même quelques faiblesses dans le raisonnement. D’abord, il est faux de penser que les enfants sont de petits êtres innoncents et asexués. Certes, ils ne se dissimulent pas dans des hôtels pour faire couiner des matelas et émettre des grognements plus ou moins harmonieux, mais comme l’ont démontré Sigmund Freud et surtout Wilhelm Reich, la sexualité se construit dès le plus jeune âge, et en plusieurs stades (oral, anal, phallique, latence, puberté et dans certains cas extrêmes,Saint Symphorien). Comme l’apprentissage de la pudeur, l’apprentissage de la sexualité obéit à différentes initiations, notamment au goût et à la propreté, au genre ou à l’identité. Comme on connaît depuis l’affaire de la Princesse de Clèves et de Zadig et Voltaire la passion que nourrit l’UMP pour les belles lettres, on est en droit de s’inquiéter pour Nabokov et sa Lolita. De même qu’un candidat-président qui veut couper les allocations aux parents de délinquants pourrait aussi bien proposer la vasectomie ou la ligature des trompes aux éleveurs de mini-miss qui outrepassent les règles que ne tarderont pas à fixer Endemol quand il y aura un marché pour ça.
Et c’est justement ce qui inquiète les professionnels de l’enfance. Il existe un consensus général sur le fait de ne pas maquiller une enfant comme une vulgaire Madonna (mais si, elle est vulgaire), ou lui faire porter des talons qui lui ruineront les chevilles à vie. On a déjà étrillé à longueur de colonnes les curés de toutes les chapelles qui se vengent de leurs pulsions refoulées sur les femmes en les entortillant dans des sacs poubelles à visière ou en les réduisant au rôle de pondeuses habiles de l’aspirateur. Malheureusement, ces entravés du rectum existent toujours, et ils vont encore faire chier leur monde longtemps faute de pouvoir se desserrer l’anus et faire leur propre crotte, mais chez nous ce n’est guère mieux.
En effet, sous nos latitudes existe la tendance exactement inverse. L’apparence est le maître-mot de la société du spectacle, et il existe même une injonction à être une chaudasse sous peine de se voir accuser de grossir les rangs des censeurs et des bitophobes, remember le débat sur les affiches du film Infidèles qui a enflammé les rédacteurs et rédactrices du Graoully Déchaîné. L’explosion du « people », l’instrumentalisation de la vie privée par les politiques (suivez mon regard vers le bas), l’explosion des réseaux de communications, la télé-réalité, le boom des sex-toys, tout ceci pourrait conduire à croire que la libéralisation des moeurs est irréversiblement en marche et que tout un chacun pourra bientôt se promener le kiki à la main ou le pilou-pilou en étendard, et qu’on réécrira l’Internationale pour célébrer l’avènement du rut final, groupons nous et demain la partouze sera le genre humain.
En réalité, c’est exactement la tendance inverse qui se concrétise. En plus des phénomènes décrits dans le paragraphe précédent, le fichage tous azimuts et la nécessité de répondre à l’impératif d’ostentation amène à la destruction à terme de la pudeur, et donc de la vie privée. Vous êtes priés d’être sexuellement actifs, pour ne pas dire stakhanovistes, d’être fiers de votre sexualité avant même qu’elle ne soit définie, de rire aux blagues aussi lourdes que salaces de vos contemporains, de collectionner les conquêtes ou d’être un modèle de vertu, mais toujours en érection, le tout dans un contexte extrêmement aseptisé, aux heures prévues pour ça pour ne pas choquer les enfants. Bref d’être frivole ou rien. Ce sont exactement les caractéristiques d’un patient bloqué au stade anal.
Brassens chantait que les trompettes de la renommée étaient bien mal embouchées. Dans un monde où tout le monde doit avoir ses quinze minutes de gloire, il y a beau temps que le trompettiste est parti conter fleurette à la violoniste pendant que le contrebassiste lui caresse la croupe. C’est bien connu, la musique, c’est que pour pécho.