Elle a quinze ans, Lina, quand les anges noirs font irruption dans sa vie. Ils sont soviétiques et ils envahissent les pays Baltes.
Dans la nuit du 13 au 14 juin 1941, 23 000 Lituaniens sont déportés. Ruta Sepetys, l'auteur(e) de ce roman, est la fille d'un exilé lituanien qui a réussi à échapper au bannissement. C'est dire que la fiction qu'elle propose à des lecteurs adolescents s'ancre dans le terrifiant réel de son histoire culturelle.
Outre Lina, ses personnages sont bouleversants de véracité : Jonas, son petit frère, Elena, sa mère, et tous ceux qui vont partager avec cette famille malmenée les affres d'un aller sans retour, pour la plupart, vers le glacial enfer Sibérien. Enfants et adultes, sans distinction, sont implacablement soumis à la férocité, au sadisme, à la monstruosité.
Ce qui va donner à Lina la force de subsister, de combattre et d'aider ceux qui sur-vivent avec elle, c'est sa passion pour le dessin. Comme Anne Franck écrit, Lina dessine. « Il nous faut peindre des gens vivants, des gens qui respirent, sentent, souffrent et aiment », affirme E. Munch. Ce sera le credo de Lina, le fondement de sa résistance contre une mort probable. Edvard Munch l'inspire beaucoup ; c'est à lui et à sa peinture qu'elle fait constamment référence ; c'est sur ses œuvres qu'elle appuie sa volonté d'exprimer, elle aussi, ce qu'elle voit, ce qu'elle ressent. Une ressource pour exorciser sa peur, son angoisse, ses terreurs. Une manière d'immortaliser l'instant pour que jamais il ne s'oublie. Une façon de transmettre, de communiquer : elle utilisera des dessins qu'elle réalise sur un mouchoir, une écorce, pour qu'ils passent de main en main, dans l'espoir qu'ils arrivent à son père dont elle a perdu la trace.
Dire que le roman de Ruta Sepetys est émouvant, ce serait galvauder le profond sentiment d'épouvante et d'espoir qui ne m'a pas quittée au fil de cette lecture. Elle retrace ici une partie de notre mémoire collective – quelque peu ignorée - sans pathos, mais avec une telle volonté d'historicité que cette fiction revêt un caractère de véracité.
Dédié aux adolescents, ce texte exemplaire est aussi à confier aux adultes pour qu'ils ne sombrent pas dans le négationnisme qui fait florès dans certains milieux bien-pensants.
« Tu peux m'aider à vous retrouver […]. Avec tes dessins. Je saurai que c'est toi... tout comme tu sais au premier coup d'oeil qu'il s'agit d'un tableau de Munch ».[« Papa] pourrait nous retrouver si je laissais derrière moi un sillage de dessins ».
« Tout en esquissant son portrait, je songeais à Munch, à sa théorie selon laquelle la douleur, l'amour, le désespoir étaient étroitement unis dans une chaîne sans fin ».
« Peignez les choses telles que vous les voyez », avait-il répété toute sa vie. « Même si, par une belle journée ensoleillée, vous ne percevez qu'obscurité et ténèbres ».
« Dans certains de mes croquis, comme dans ceux de Munch, la douleur irradiait ; dans d'autres, il y avait plus qu'une note d'espoir : un ardent désir de vivre ».
« [Munch] n'avait rien de rationnel. Peu lui importait les proportions, il voulait avant tout donner une sensation du réel ».
« J'attrapai un petit morceau de bois près du poêle. J'arrachai l'écorce pour découvrir la pulpe, puis je séparai les fibres de manière à former des poils. Après quoi j'allai ramasser une poignée de neige devant la porte et la mélangeai soigneusement aux cendres tombées du poêle. J'obtins ainsi une couleur à l'eau, inégalement répartie, mais d'un joli gris ».
« […] il ne les voyait pas comme une expression de la mort, bien au contraire ; elles étaient pour lui l'expression même de la vie ».
Reproduction n°1 : "Le cri" ; Edvard Munch - 1893
Reproduction n°2 : "Sauvé par un dessin" ; Walter Spitzer - 2004
Reproduction n°3 : "Anxiété" ; Edvard Munch - 1894
Et, parce qu'elle a inspiré cette lecture, le billet d'Emmyne.
Canel (Mme, Mr et Junior [on attend son commentaire]) ont lu aussi ce roman.