Mariant les symboles de l'identité africaine et peu avare de critiques à l'égard des puissants, le duo de Movaizhaleine rappe depuis vingt ans. Probablement le meilleur groupe de hip-hop gabonais.
C'était un jour comme les autres de 1992, mais celui-ci allait marquer l'histoire du hip-hop made in Gabon. Dans la salle de permanence du lycée national Léon-Mba de Libreville, une bande de cinq collégiens décidait de créer, sous le nom de Bad Breath, ce qui deviendrait le meilleur groupe de rap gabonais. Finalement rebaptisé Movaizhaleine, il sera réduit à un duo à la fin de l'année scolaire suivante.
Vingt ans plus tard, les gamins sont devenus adultes : ils ont fondé leur propre label indépendant (Zorbam Produxions) ; ils collaborent avec les grands noms du hip-hop et du R'nB mondial (dont l'Américain R. Kelly) ; ils ont signé en 2011 un contrat avec un label de Sony Music Africa (Rockstar 4000) ; ils font des tournées africaines et se produisent dans des salles parisiennes.
Pour le reste, rien n'a changé pour Ékomy Ndong Mba Meyong, alias Lord Ékomy Ndong, et Yvon Martial Moussodou-Mam, dit Maât Seigneur Lion. S'éloignant des stéréotypes collant au gangsta rap, ils se veulent les hérauts du « rap conscient » à l'africaine. Et le duo n'a pas peur ne manipuler les symboles. Selon l'habituelle mise en scène, bien orchestrée, Movaizhaleine ouvre chacun de ses concerts au son du mvett, la harpe sacrée, que le père de Lord Ékomy Ndong, l'écrivain et chercheur gabonais Philippe Tsira Ndong Ndoutoume (décédé en 2005), a contribué à faire connaître dans une trilogie culte, Le Mvett. Symbole de l'oralité, cet instrument accompagne les récits guerriers de l'épopée des Fangs, qui a conduit ce peuple du Haut-Nil (Égypte) jusqu'en Afrique centrale. Autre symbole : Maât Seigneur Lion a choisi son pseudonyme dans la mythologie égyptienne, Maât étant la déesse de la vérité et, par extension, du combat contre l'injustice.
Côté forme, Movaizhaleine est un formidable créateur de langage. Les textes sont riches en néologismes, les bidonvilles y sont tantôt des « matitis », tantôt des « mapanes », les copains des « combis »... Dans leur logorrhée révoltée, les deux compères usent et abusent des figures de style, comme dans la chanson Engongole, enregistrée en 2009 (voir vidéo ci-dessous) : l'hyperbole (« Du bois sur des centaines de milliers de kilomètres / Mais incapable de produire même une tige d'allumette »), la métonymie (« La politique cache dans ses poches toutes les banques »), l'anaphore (« Pitié, on a privatisé la terre de nos pères / Pitié, on a ignoré la langue de nos mères / Pitié, on a renié la culture de nos aïeux »), l'antithèse (« Pays béni des dieux / Y a tout, mais tout manque »)...
Movaizhaleine, Engongole
Influence. Il faut voir - et entendre - les centaines de jeunes reprendre en choeur leur flow jalonné de critiques acides et acérées contre le pouvoir gabonais pour mesurer l'influence acquise par Movaizhaleine au fil des années. « Trente ans que le pétrole génère des milliards de francs / Et le pays est dans ce même état de sous-développement / L'amour que je porte à cette patrie qui est la mienne / Me pousse à verbaliser en live des cités mapanéennes / Depuis toujours les mêmes vols, les mêmes gestes / Les mêmes faux opposants qui retournent leur veste / Les mêmes têtes, en accord avec ces gens de l'Ouest / Qui financent les guerres avec le peu d'argent qui reste. »
La libre expression de Movaizhaleine n'est pas toujours agréable aux oreilles des puissants. Lesquels, jusqu'à présent, ont pourtant subi les charges sans jamais broncher. Lord et Maât ont même été invités à participer au dernier Festival Gabao, du 30 juin au 3 juillet 2011. Et, c'est désormais une tradition, ils ont donné leur grand concert annuel, le Show du pays, en septembre, à Libreville.
Movaizhaleine, "Nous"
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