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Il est né... Poème de Cécile Sauvage pour son fils Olivier Messiaen, Printemps poétique, 3
Par MangoIl est né, j'ai perdu mon jeune bien-aimé,Je le tenais si bien dans mon âme enfermé,Il habitait mon sein, il buvait mes tendresses, Je le laissais jouer et tirailler mes tresses. À qui vais-je parler dans mon coeur à présent? Il écoutait mes pleurs tomber en s'écrasant, Il était le printemps qui voit notre délire Gambader sur son herbe et qui ne peut en rire. Il me donnait la main pour sauter les ruisseaux, Nous avions des bonheurs et des peines d'oiseaux; Son sommeil s'étendait comme un aveu candide.Mon oeil grave flottait sur son âme limpide, Je couvais dans son coeur les oeufs de la bonté, J'effeuillais sur son front des roses de clarté. Le silence des fleurs reposait sur sa bouche, Son doux flanc se gonflait de mon orgueil farouche; Son souffle était le mien, il voyait par mes yeux. Son petit crâne avait la courbure des cieux. Je le tenais des dieux que j'ai conçus moi-même;C'était le jardin clos où la vérité sème, C'était le petit livre où des contes naïfs Me reposaient de l'ombre et des rayons pensifs. Ses doigts tendres savaient caresser ma misère. Devant ce front de lait, devant cette âme claire Mon coeur n'éprouvait point de honte d'être nu, Mon être était l'instinct dans son geste ingénu,J'étais bonne d'avril nouveau comme la terre,Je donnais mes ruisseaux, mes feuilles, ma lumière; La mort cachait ses os sous les duvets herbeux,Nous étions le mystère et la vie à nous deux. Notre âme, au ras du sol mollement étendue, Était un blé qui berce une vague pelue.
Maintenant il est né. Je suis seule, je sens S'épouvanter en moi le vide de mon sang; Mon flair furète dans son ombre Avec le grognement des femelles. Je sombre D'un bonheur plus puissant que l'appel d'un printemps Qui ferait refleurir tous les mondes des temps. Ah! que je suis petite et l'âme retombée, Comme lorsque la graine ayant pris sa volée La capsule rejoint ses tissus aplanis. Ô coeur abandonné dans le vent, pauvre nid!
Cécile Sauvage (1883/1937) L'Âme en bourgeon, (1910). "Poétesse de la maternité" pour ce recueil de vingt poèmes écrits pendant qu'elle attendait son premier fils: Olivier Messiaen, le compositeur de musique, auquel ce livre est dédié. Elle y parle sans fard de son expérience intime durant sa grossesse. Son fils en était très fier et écrira plus tard:"Plus que tous les concerts qui ont jalonné ma carrière, L'Âme en bourgeon est mon plus beau titre de gloire, car il a été fait pour moi au cours de l'année 1908, alors que ma mère m'attendait.Je suis persuadé que cette attente lyrique a influencé ma carrière et ma destinée." (Béatrice Marchal)