Comme annoncé en début d'année, j'ai donc enfin entamé un grand cycle de découvertes et rattrapages de séries françaises. Je reconnais ne pas avoir le réflexe de m'installer spontanément devant mon petit écran national, mais pour corriger mes préconceptions, il faut sans doute commencer par visionner ce qu'il a pu proposer de convaincant ces dernières années. C'est ainsi qu'aujourd'hui, c'est un petit évènement sur My Télé is Rich!, car c'est la première fois qu'est évoquée une série française contemporaine (comprendre : "non historique").
Reporters fait partie des productions originales de Canal + (sur lesquelles il est grand temps que je me penche). Diffusée de 2007 à 2009, elle comporte deux saisons, une première de 8 épisodes, une seconde de 10. Créée par Olivier Kohn, sa première saison avait remporté le Fipa d'or du meilleur scénario, "séries et feuilletons", en 2007. Je me suis vraiment investie dans cette série qui se sera révélée très intéressante. Et je reconnais d'ailleurs avec le recul que ce fut une mauvaise idée de l'avoir débutée la semaine où commençait la diffusion des Hommes de l'ombre, car la deuxième a quelque peu peiné devant la comparaison. Mais l'important, c'est que voici une série française que je conseille !
Reporters nous plonge dans le quotidien de plusieurs journalistes, nous proposant d'accompagner une galerie de personnages représentatifs de toutes les facettes de ce métier. Du grand reporter d'investigation au présentateur de JT, du journaliste politique habitué des arcanes du pouvoir au chroniqueur de faits divers, du rédacteur en chef d'un grand journal au président d'une chaîne de télévision, la série dresse un portrait complet et riche de cette profession. Toutes ces individualités mises en scène, certaines consensuelles, d'autres beaucoup plus clivantes, vont contribuer à forger autant d'instantanés et de portraits d'une profession très hétéroclyte.
Plus généralement, la série va nous faire vivre de longues enquêtes aux enjeux explosifs, des dilemmes éthiques constants ou encore tous ces arbitrages financiers déterminants normalement passés sous silence. Elle décrit et met en lumière toutes les influences, potentiellement divergentes, qui sont à l'oeuvre à la source et dans le traitement de l'information. Dans un milieu où l'humain côtoie les faits, les sensibilités et les croisades personnelles jouent, tout autant que les égos et les enjeux de pouvoir... Et le tableau d'ensemble est très prenant.
Le premier aspect qui frappe dans Reporters, c'est sans doute l'ambition avec laquelle la série s'approprie son sujet. Elle entreprend de s'intéresser à toutes les facettes du métier de journaliste, et l'expose sous toutes ses coutures. La richesse des thématiques abordées impressionne d'ailleurs d'emblée le téléspectateur : à la différence d'une série comme Pressa qui optait pour une radiographie d'un seul type de journalisme (la presse tabloïd), Reporters évoque la profession dans toute sa diversité, et aussi dans toutes les problématiques qui peuvent s'y rattacher, aussi bien sur le terrain, que sur un plan économique ou encore moral. Si parfois la multiplicité des intrigues peut provoquer quelques flottements dans la cohésion globale de certains épisodes, la plupart du temps, la série parvient à un résultat homogène et consistant.
Les thèmes évoqués offrent donc une large palette d'angles d'approche : la connivence des hautes sphères industrielles et du pouvoir, la loi de l'audimat, le danger du reportage de guerre, la protection des sources, le combat pour le sauvetage d'un journal et pour préserver l'indépendance de sa ligne éditoriale, les menaces et intimidations, tout semble y être... De manière générale, la série s'intéresse au traitement et à l'économie de l'information, mais aussi au facteur humain qui va irrémédiablement jouer. Elle met en lumière cette schizophrénie constante qui parcourt ce métier, engendrée par tous les conflits d'intérêts provoqués et au sein desquels les journalistes doivent arbitrer. Reporters dépeint ainsi avec détails un milieu qui oscille en permanence entre concurrences et solidarités, entre ambitions personnelles et nécessaires collaborations pragmatiques. Initialement présenté de relativement académique et presque binaire, il faut aussi noter que la vision proposée se nuancera considérablement au fil de la série.
En complément de cette richesse, Reporters retient également l'attention par le parfum de réalisme que perçoit le téléspectateur dans ses scénarios. Les sources d'inspiration sont en effet proches et clairement identifiables, si bien que les parallèles se font naturellement. Dans la saison 1, on assiste ainsi à la mobilisation de toute une profession suite à la prise d'otages de deux journalistes en Tchétchénie. Certaines situations sont même sourcées : le marasme économique de la presse écrite et les coulisses de ce journal qui lutte pour sa survie en espérant un repreneur qui lui laisse sa liberté, c'est en filigrane Libération qui est évoqué. Mais Reporters va encore plus loin, anticipant et se faisant seulement après rejoindre par la réalité, avec son arc qui constitue le fil rouge de la saison 2 : un attentat commis sur fond d'arrêt de rétrocommissions occultes, sur lequel pèse désormais l'ombre de l'affaire Karachi. Tout cela renforce l'impression d'authenticité de la série, et lui confère une portée supplémentaire.
Pour donner corps à l'ensemble, Reporters mêle habilement le feuilletonnant comportant un grand arc s'étalant sur toute la saison, et des intrigues bouclées sur un seul épisode. La saison 1 contient plus de loners que la seconde, qui voit le feuilletonant se généraliser à toutes les intrigues. Si la série n'échappe pas à quelques inégalités dans la narration, l'ensemble se révèle convaincant. Initialement relativement convenue dans la distribution des rôles au sein des personnages, le récit gagne progressivement en nuance, en ambiguïté et en complexité. La seconde saison sera sur ce plan celle de la maturité, se dégageant de tout manichéisme pour proposer un envers des coulisses du pouvoir que je n'avais jamais vu aussi finement capturé dans une série française que durant le dernier épisode de Reporters. C'est bien simple : la conclusion de la série est un petit bijou, à mettre entre les mains de tout scénariste ambitionnant d'évoquer le pouvoir, et prouvant que, oui, une fiction française peut parvenir à ce niveau de subtilité rare. J'en aurais presque applaudi devant ma télévision, si je n'avais pas eu dans le même temps le coeur tellement serré en sachant que j'assistais à la fin de la série.
Le dynamisme qui parcourt Reporters se retrouve également dans la mise en scène. Caméra à l'épaule, la réalisation est très nerveuse, parfois même un peu trop ; j'ai mis quelques épisodes à m'y habituer. Cependant, cette approche se justifie par une volonté de proximité qui semble avoir été une constante de l'écriture de cette série : on retrouve une proximité par rapport au terrain, aux situations dépeintes, et plus globalement à toute cette galerie de personnages qui tentent de se faire une place.
Dans cette optique, le dernier attrait de Reporters - et non des moindres - réside dans un casting efficacement dirigé, très homogène, où tous les rôles principaux sont très convaincants. Il faut préciser que, de la première à la seconde saison, le personnage principal autour duquel tourne le fil rouge change : à Jérôme Robart (qui a un rôle moins important dans la deuxième) succèdera Grégori Dérangère. Dans le registre du journaliste prêt à tout, n'hésitant pas à provoquer et à dépasser certaines lignes jaunes, le premier s'en tire admirablement bien (mais vous savez combien j'apprécie cet acteur). Quant à Grégori Dérangère, dans un registre plus classique d'enquêteur qui dépasse le monde policé dans lequel il s'était cantonné, il s'avère également très bon.
A leurs côtés, il faut saluer Anne Coesens qui, avec sobriété et fermeté, incarne une femme qui sait trouver ses marques dans un milieu ultra-concurrentiel. Patrick Bouchitey est parfait pour jouer ce "vieux de la vieille", à la plume envoûtante, qui respire un cocktail alcoolisé de faits divers, figure directement issue de polars noirs. Aïssatou Diop saura également progressivement trouver le ton juste, à l'image de son personnage, dans les coulisses et sur le plateau de TV2F. Parmi le casting principal, il convient également de citer Christine Boisson, en directrice de l'information qui doit gérer d'une main ferme toute sa rédaction, Didier Bezace dont on suivra le parcours difficile dans une première saison où son personnage se dédiera entièrement à son journal, Michel Bompoil en ambitieux pendant à Florence dans la saison 2, et un autre ambitieux, à TV2F cette fois, Jérôme Bertin, le visage du JT de la chaîne.
Bilan : Portrait dense et très riche du journalisme, de ses acteurs mais aussi de ses enjeux, Reporters est une série ambitieuse et efficace qui se bonifie avec le temps. Initialement relativement académique dans l'approche de son sujet, elle gagne en nuance et en subtilité au fil de son écriture, à mesure qu'elle prend la pleine mesure de son potentiel. Si elle se disperse parfois au sein de son impressionante galerie de personnages (et de thèmes), la série reste une immersion prenante et fascinante dans l'envers du décor du journalisme. A découvrir !
NOTE : 8/10
Une bande-annonce de la série (saison 2) :