Les activités d’espionnage et de renseignement alimentent l’imaginaire collectif dans un jeu subtil de fascination/répulsion. En témoigne le succès populaire des romans et surtout des films (songeons à l'inoubliable série des Monocle de Georges Lautner) consacrés à ces domaines, mais aussi la méfiance que, depuis longtemps, ils inspirent. Peu nombreux sont en revanche ceux qui qualifieraient les structures étatiques de renseignement de « services publics ». Cependant, elles appartiennent bien à cette catégorie, au même titre que les réseaux de transport publics ou les services postaux. Cette précision est notamment apportée par François Heisbourg dans le très intéressant essai qu'il vient de publier, Espionnage et renseignement (Odile Jacob, 218 pages, 21,90 €).
Grand connaisseur de ces questions, l’auteur, après avoir clairement défini l’utilité des services de renseignement pour assurer la défense d’un pays, brosse un panorama historique de son sujet, articulé autour de la Seconde Guerre mondiale, puis de la Guerre froide. Considérant, avec lucidité, que la mondialisation et l’émergence des nouvelles technologies ont bouleversé le paysage du renseignement, il en décrit les évolutions et les pratiques. Celles-ci étant devenue de plus en plus intrusives et pouvant nuire aux libertés individuelles, François Heisburg aborde ensuite sans détour le statut qui devrait être celui du renseignement dans une démocratie avant de proposer un certain nombre de réformes plus spécifiquement liées à la situation française.
Bien plus intéressante est la section mettant l’accent sur les dangers évidents de l’externalisation du renseignement, en d’autres termes l’utilisation par les Etats de sous-traitants privés pour l’accomplissement de tâches jusqu’à présent régaliennes. Cette pratique, proche de l’engagement de mercenaires cher aux dictatures exotiques, tend en effet à se répandre pour des motivations diversement avouables. On sait, par exemple, le rôle que joue pour le gouvernement des Etats-Unis une entreprise comme Blackwater, notamment sur les théâtres d’opération. Déjà lorsqu’elles travaillent pour le secteur privé, trop de sociétés de sécurité et de renseignement (employant souvent d’anciens agents de l’Etat) s’affranchissent des règles éthiques et du cadre légal existants ; les scandales régulièrement dévoilés par la presse - dont certains, très récents - le prouvent. On imagine alors à quelles dérives elles pourraient être conduites si elles venaient à travailler pour un Etat…
Illustré d’anecdotes historiques et d’exemples concrets glorieux ou désastreux qui, sans être secrets, demeurent peu connus du public, cet essai satisfera les lecteurs désireux de faire le point sur un secteur d’activité encore trop méconnu, voire entaché, parfois non sans raison compte tenu de ses errements passés, d’une assez mauvaise réputation.
Illustrations : Affiche des films Le Monocle noir (1961) et L'Oeil du Monocle (1962), de Georges Lautner.