La querelle invite pourtant à lire un ouvrage aussi modeste que remarquable paru récemment sur le sujet aux Éditions Erès. Collectif rédigé sous la direction de Jean-Daniel Causse et d’Henry Rey-Flaud, deux éminents spécialistes enseignant à l’université Paul-Valéry III de Montpellier, "Les paradoxes de l’autisme" rappellent, dans un avant-propos signé du premier, que le "pouvoir de l’autiste d’être là sans y être" et, de ce fait, "d’habiter le monde sans l’habiter", place l’opinion commune "dans une impasse conceptuelle". Un paradoxe menant à une éthique: celle d’une "singularité" de l’enfant autiste et de son "rapport au monde": comment et pourquoi faudrait-il mesurer ce dernier à l’aune d’une "normalité" Moyen de soulever en filigrane la question des approches thérapeutiques dites "adaptatives". Manière aussi, malgré toutes les apparences, de confirmer l’autiste dans son statut de "sujet", véritable fil rouge de cet ouvrage.
Complétée par des contributions d’ordre plus philosophique (Bertrand Ogilvie, Bernard Salignon), la réflexion des quatre spécialistes de l’autisme (Jean-Daniel Causse, Henry Rey-Flaud, Jean-Claude Maleval et Marie-Jean Sauret) éclaire le débat sans nourrir de controverse frontale avec les adeptes d’autres approches. Les auteurs n’en défendent pas moins, de manière très convaincante y compris pour le profane, le bien-fondé de la démarche analytique. Rien, en revanche, sur le packing, cette technique d’enveloppement du patient autiste destinée à lui faire appréhender l’entièreté psychique de son corps et dont la HAS a décidé d’interdire la pratique clinique "en dehors de protocoles de recherche autorisés respectant la totalité des conditions définies par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP)". On lira aussi avec intérêt les vignettes cliniques de la psychanalyste Françoise Koehler, présidente de l’Association "Petite enfance et psychanalyse".
Dépassant la question débattue de la "responsabilité parentale" à laquelle il substitue celle du "rôle joué par l’autre", Henri Rey-Flaud établit une différence entre les "deux façons de choisir un objet extérieur à soi" qui caractérise le développement humain initial: l’objet transitionnel winnicottien et le "choix d’objet autistique". Le premier, précise l’auteur dans sa contribution intitulée "L’aptitude à être détruit", permet le passage entre l’état "indifférencié des origines" et celui où, sous l’effet des investissements narcissiques parentaux impliquant une participation de cet Autre, le tout-petit se "dégage de cette ‘substance commune'" selon l’acception freudienne. Dans le cas autistique, précise l’auteur de "L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage. Comprendre l’autisme" (Aubier, 2008), l’objet fait "un" avec l’enfant qui "n’a pas besoin de l’adulte" pour assurer sa "conservation". Révélant a contrario la place de cet Autre dans le devenir de l’enfant, l’objet autistique assure une fonction double: "morceau de corps en plus" (Frances Tustin), il vient "suturer l’effraction primordiale en faisant bouchon sur la coupure" tout en jouant le rôle "d’insigne réel de l’identité du sujet". "Une fois qu’il a élu son objet", précise le psychanalyste, l’autiste ne se "sépare plus de lui". Si l’objet transitionnel reste "malléable", "modifiable", son équivalent autistique se révèle "incongru", "froid", "désagréable" et confronte l’adulte à une "énigme irréductible". Contrairement à l’objet autistique non susceptible d’être réparé ou restauré -au point d’exclure l’intervention de l’adulte-, le fait même que l’objet transitionnel puisse s’abîmer, dans la perception que peut en avoir son détenteur, inscrit sa permanence dans le temps et, ce faisant, se distingue de "l’immutabilité de l’objet autistique".
Le psychanalyste Jean-Claude Maleval place également l’objet au cœur de sa réflexion mais sous l’angle de "La rétention des objets pulsionnels au principe de l’autisme". Prenant indirectement part au débat en précisant que contrairement à l’opinion de certains cliniciens, les autistes ne se satisfont pas de "la sortie de leur retrait social pour considérer qu’ils ne sont plus autistes", le professeur de psychopathologie clinique à l’Université européenne de Bretagne, Rennes 2, réfute également l’hypothèse de l’autisme "coquille dans laquelle une personne serait enfermée". Citant les témoignages de "célèbres" patients (Donna Williams ou Jim Sinclair), il préfère y voir "une structure subjective", distincte donc de la psychose, aux conséquences handicapantes sans être elle-même un handicap. Une structure caractérisée par un "refus de cession de l’objet de la jouissance vocale": l’autiste développe une "intimité principielle avec sa voix", marginalise "l’Autre du langage" et ne s’offre pas la possibilité "d’habiter sa parole". L’énonciation verbeuse, allusive, décalée de ce dernier "nécessite de se détacher de la mélodie du langage pour s’attarder sur les découpes significatives de celui-ci". Codée, la langue fonctionnelle autistique montre que l’autiste reste au "bord de l’aliénation sans l’assumer pleinement". Jean-Claude Maleval s’en explique : l’enfant autiste refuse de faire entrer les objets pulsionnels dans l’échange et ses craintes en révèlent la dimension susceptible de signifiance, sinon de débordement dans l’ordre de la jouissance. En témoignent les dysfonctionnements dans la perception du sonore: la voix "porte la présence du sujet dans son dire". Et du visuel: refus à l’Autre de son don scopique. Dans leur étude sur la perception des enfants autistes, souligne par surcroît cet auteur, les "cognitivistes discernent à juste titre une difficulté dans le traitement de l’information" mais méconnaissent le fait que son "organisateur se trouve dans l’économie de la jouissance". Pourquoi ce déficit fonctionnel "sans altération des organes sensoriels?", s'interroge-t-il, questionnant indirectement l’apparente invalidation par les neurosciences des thèses analytiques sur l’autisme? La question de la prise en charge et celle du traitement conduisent, quant à lui, le psychanalyste Marie-Jean Sauret à constater la "diversité de l’appropriation des traitements par les autistes, aussi bien analytiques que cognitivistes". D’où l’idée d’un large "spectre de l’autisme": de celui de Léo Kanner à celui d’Hans Asperger. Et de l’autisme avec ou sans lésion. Au point de rappeler qu’un silence ou une surdité psychique peut "s’accompagner d’une régression quantitative de matière grise".
L’auteur reconnaît l’existence d’un sujet de l’autisme, "une façon de se positionner par rapport à l’autre" dans un monde "dont l’immobilité permet à ce sujet de vérifier -à défaut de le contrôler- les mouvements de cet autre" perçus comme menaçants en termes de jouissance et non d’expression d’un désir. S’il refuse de trancher la question de l’origine de l’autisme -"qu’est-ce qui est premier du repli autistique ou du regard aveugle de la mère?"-, le professeur de psychopathologie clinique à l’Université de Toulouse-Le Mirail suggère toutefois que la rupture témoigne paradoxalement d’un "aimer primitif, un autre problématique qu’il surmonte dans le repli autistique". La "modernité de l’autisme" suscite chez cet auteur une question politique légitime: l’autisme, dans son rapport au suicide, deviendrait une tentative de "sauver son existence contre l’être mortifié qui se trouve formaté par l’Autre de la globalisation". Quant à l’étiologie de ce TED, l’auteur évoque une "incomplaisance somatique", à l’inverse de la thèse du Entgegenkommen freudien où le corps se fait le "porte parole" de l’inconscient. Sans toutefois préciser à quel niveau de "l’expérience précoce avec l’autre", ce ratage se produit. Le traitement, selon lui, doit conduire l’analyste à prendre, sinon "usurper", la place du destinataire, organisant la "rencontre avec un autre vivant". C'est-à-dire amener l’autiste, demeuré sur la berge, à entrer dans le fleuve héraclitéen de l’existence. Alors que la Haute Autorité de Santé (HAS) publie jeudi 8 mars son rapport "Autisme: quelle...