Dans la boite aux lettres source: Poètes indignés
“Petit précis des bobards de campagne”. (Désintox)
Pour se désintoxiquer des mensonges des politiques, il y a désormais un livre. Dans le “Petit Précis des bobards de campagne”, Cédric Mathiot, fondateur de la rubrique “Désintox” à “Libération”, prend en flagrant délit responsables de tous bords.
Délinquance, bouclier fiscal, immigration : des heures à vérifier, décortiquer et expliquer toutes les assertions publiques ne collant pas avec la réalité. Uniquement des chiffres et des faits, pour une démonstration inattaquable.
De la petite erreur répétée au mensonge d’Etat, page après page les vices de la communication politique se font plus évidents. Sans vouloir pinailler ni réduire le champ de la pensée politique à quelques additions, le journaliste publie jeudi 8 mars un guide essentiel au citoyen. Retour sur trois années de “fact-checking”.
Est-ce qu’il y a des hommes politiques ou des partis qui mentent plus que d’autres ?
- Dans mon livre, il y a une surreprésentation de l’UMP, du PS et du FN. Si on retrouve les deux premiers, c’est surtout une question de duel. Liée à l’organisation du débat politique. Les deux partis se répondent. Ils sont souvent moins dans la défense ou l’explication de leur projet que dans le dézingage du camp adverse.Contrairement à des personnes comme Eva Joly, François Bayrou ou Jean-Luc Mélenchon. La particularité du Front national est qu’il a toujours utilisé un marketing politique visant à exciter l’opinion sur des sujets passionnels comme l’immigration ou l’insécurité. Dans cette stratégie, l’usage de l’outrance est central.
Après, dans chaque parti il y a des personnes qui ont davantage tendance au mensonge que d’autres. Au PS, Martine Aubry est surnommée “Madame un tiers” pour sa propension à exagérer systématiquement les chiffres. Elle a par exemple volontiers coutume d’affirmer, à tort et en tordant un rapport de la Cour des comptes, que les deux tiers du déficit français sont attribuables à la seule politique de Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy a une manière de faire de la politique qui le pousse à travestir la réalité en permanence. Il illustre sans arrêt ses propos par des situations concrètes. Il a ce besoin d’appuyer un argument par un chiffre choc, et souvent toc.
Le bobard a-t-il un domaine de prédilection ?
Probablement la délinquance. En dix ans (comme ministre de l’Intérieur puis comme Président) Nicolas Sarkozy a réussi à anéantir la moindre confiance que les gens avaient dans les chiffres de la sécurité. Les indicateurs censés prouver les bons résultats de la politique gouvernementale ne veulent rien dire.Le gouvernement communique des statistiques officielles sur la base du nombre de plaintes ou de faits constatés par les services de police et de gendarmerie, qui ne correspondent pas à la délinquance réelle.
On sait par exemple que, depuis août, il y a moins d’enregistrements de fraudes à la carte bancaire parce que les services concernés, suivant une note interne, expliquent aux victimes qu’elles n’ont pas besoin de porter plainte pour se faire rembourser. Sans cette baisse purement artificielle, le gouvernement n’aurait sans doute pas pu annoncer une baisse des faits de délinquance constatés en 2011.
Pourquoi n’y a-t-il pas plus de précisions dans les statistiques ?
Ce fonctionnement est connu de tous. La France s’est récemment engagée au niveau européen à renoncer à la politique du chiffre unique, qui laisse croire qu’une seule statistique traduit à elle seule la réalité de la délinquance. Mais pour que les choses changent, il faut beaucoup de courage politique. Car tout responsable qui modifiera le mode de suivi sera accusé de ne pas accepter la comparaison avec ses prédécesseurs, de vouloir brouiller les cartes.D’autres craignent que des indicateurs plus efficaces montrent l’échec d’une politique. Peu après son élection Nicolas Sarkozy réclamait la mise en place d’un nouvel indicateur sur le pouvoir d’achat, ceux de l’Insee montrant une augmentation dans laquelle les Français ne se retrouvaient pas. L’Insee a donc mis en avant des indicateurs plus fins. Mais le chef de l’Etat ne les a jamais utilisés, car ils ne montrent pas l’amélioration du pouvoir d’achat qu’il aurait souhaité.
Bouclier fiscal, 35 heures, TVA : comme vous le démontrez, Nicolas Sarkozy a raconté un véritable “roman allemand” aux Français. Pourtant, selon vous, le plus gros mensonge du président de la République, c’est ce coup de téléphone qu’il prétend avoir passé au président mauritanien après que celui a été évincé du pouvoir par un coup d’Etat. Pourquoi ?
C’est un cas particulier. Dans ce mensonge, les enjeux sont différents. C’est une affaire internationale, concernant un président, le premier élu démocratiquement en Mauritanie, chassé du pouvoir par une junte militaire.Lors d’une conférence de presse, Nicolas Sarkozy a d’abord nié le fait que ce coup d’Etat avait provoqué des réactions localement, mais aussi au niveau de la communauté internationale. C’est une réécriture totale de l’histoire. Il a ensuite affirmé avoir téléphoné au président déchu, ce qu’il n’a jamais fait.
L’ancien président mauritanien m’a fait part de ses interrogations devant ces deux contre-vérités. Selon lui, la France l’a lâché, et Nicolas Sarkozy a tenté de faire comme si le coup d’Etat s’était passé en douceur, et qu”il n’y avait donc aucune raison de s’indigner.
Il faut savoir qu’à la même époque, Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, avait reçu le représentant de la junte militaire au pouvoir. Il est difficile d’avoir des certitudes. Mais il y a matière à interrogations.
Les exemples que vous citez dans votre livre sont souvent des mensonges répétés, et servant les intérêts de ceux qui les prononcent. Pensez-vous qu’ils viennent d’une méconnaissance de la réalité ou sont-ils des mensonges intentionnels ?
Rectifier des erreurs ou s’opposer à des mensonges : la différence est fondamentale. Les politiques ont le droit de se tromper, dans la limite du raisonnable. Ils ont en revanche le devoir de ne pas mentir. Or, il y a vraiment un systématisme du mensonge. Le but du livre n’est pas seulement de dire que les gens mentent, c’est aussi de montrer comment ils s’y prennent. Sur le pouvoir d’achat, Nicolas Sarkozy est bien placé pour savoir ce qui est pertinent, et cite délibérément les mauvais chiffres. Je ne pense que cela vienne d’une ignorance, mais plutôt d’un profond cynisme."Par Donald Hebert
Source: http://tempsreel.nouvelobs.com