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De la célébrité, de Jean-Michel Espitallier (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

EspitallierNous avions avancé, dans un article précédent, concernant un livre de Jean-Pierre Verheggen (Poète bin qu’oui, poète ben qu’non), que la gent poétique ne se distinguait pas par son humour ; c’est un milieu où on croisera plus de moines que de bouffons ; où on ne badine pas avec la poésie ; ce qui est dommage, car la nécessaire distance d’avec la réalité, sa transformation ludique et sérieuse, parfois, fait défaut aux yeux des lecteurs qui entendraient bien quelque éclat de sourire, parmi les vers ou expérimentations, afin de stimuler sa réflexion et son sentiment du monde encore. Jean-Michel Espitallier, en ce livre, dans une collection qui ne nous avait plus habitué à de telles audaces, nous livre une bouffonnesque magistrale de la société du spectacle, dont tout un chacun (ou presque) rêve, et alimente les fantasmes artificiels du vulgum pecus téléphage et télévore (et pas seulement), gaussant, d’emblée, dès titre, du sérieux de la chose dans laquelle il va couler son discours, au moyen d’un titre annonçant un sujet sérieux, didactique, sur un objet qu’on sait dérisoirement humain, la célébrité ; titre sonne comme un « essai » de Montaigne. On peut le lire, ce titre, en miroir de l’aphorisme final : « CÉLÈBRE. Quand je me regarde dans la glace, je me reconnais. » Entre les deux, une circulation joyeuse dans la société du spectacle, dans le show biz, essentiellement celui de la télévision, du cinéma, de la chanson, du vedettariat sportif… avec incises dans le très touchant milieu de l’anonymat célèbre. Tantôt philosophe rieur, tantôt sociologue amusé, tantôt poète visuel, parfois ensemblement, Jean-Michel Espitallier, sans méchanceté ni cruauté, primesautier de style, décortique les rêves fabriqués et faux semblants qui ont cet aspect de belle réalité ; agitant nos défauts au milieu de ce carnaval de la vanité ; bouffon ; fou ; morosophe ; nous rappelant, et fort justement, que « la célébrité ne répond à aucun critère d’ordre moral. Adolf Hitler est sans doute plus célèbre qu’Henri Dunant [l’un des fondateurs de la Croix Rouge et premier prix Nobel de la paix, en 1901] – sauf que du point de vue de la morale nazie, Adolf Hitler est infiniment plus moral qu’Henri Dunant. » ou qu’ « on devient beaucoup plus célèbre beaucoup plus longtemps si l’on découpe dix petits enfants à la hache que si on les sauve de la noyade. » Sous cet aspect-là, Jean-Michel Espitallier dénonce le ridicule qui s’ignore, celui qui ne tue pas. Lecteur des avant-gardes dadaïstes et futuristes, il évolue sur la page ainsi que tel, l’utilise comme d’un écran de télévision, pour nous figurer ad nauseam son inanité pensante et le vidage de cerveau auquel il opère sans vergogne (cf. Coca Lelay). Jeux et détournements visuels, typographiques, énumérations, aphorismes, fragments, analyses onomastiques (celle du nom de Zinédine Zidane est croustillante)… le foisonnement fait diversité, et richesse d’un livre à la fois drôle et sérieux ; quand la poésie peut autant être philosophique, que comique, expérimentale, et critique, elle est enthousiasmante. 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
Jean-Michel Espitallier 
De la célébrité 
10/18  


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