Harkis, l’art de nous faire prendre des vessies pour des lanternes...
Paris, mercredi 29 février 2012
Nous reproduisons ci-après la Lettre de Smail Boufhal : Les vessies pour des lanternes !
Le 27 février 2012 à 18h 33’, le Sénat a définitivement adopté la proposition de loi que Raymond Couderc, sénateur de l’Hérault, avait déposée le 4 février 2010 et dont l’objectif annoncé est censé réprimer l’injure et la diffamation à l’encontre des « harkis » .
Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi le 14 décembre 2011 (…) ! Le texte d’origine avait déjà été présenté à des membres d’associations d’anciens harkis le mercredi 3 février 2010 dans l’enceinte du Sénat par un triumvirat composé par Hubert FALCO, Secrétaire d’Etat aux anciens combattants d’alors et représentant le gouvernement, ainsi que 2 parlementaires, Raymond Couderc, Sénateur et Elie Aboud, député.
Cette proposition de loi, bien que signée par une quarantaine de Sénateurs UMP, présentait déjà des références de répressions pénales erronées. Notre association, Générations Mémoire
Harkis, l’avait immédiatement fait savoir aux signataires du texte. Des réponses gênées nous étaient alors parvenues !
Génération Mémoires Harki avait donc interpellé le gouvernement au moyen d’une question écrite pour relever ces erreurs de rédaction. M. Hubert Falco nous avait déclaré que ce « texte était validé par le gouvernement ». Pourtant, la réponse de M. François Fillon du 12 octobre 2010 dément formellement l'affirmation de son Secrétaire d’État. Puis, le texte est resté en sommeil et régulièrement réactivé à la veille des consultations électorales qui suivirent (?). Nous ne nous attarderons pas sur les attentes politiques hypothéquées par ce texte; de nombreux Parlementaires s’en sont déjà chargés et en ont dénoncé le calcul électoraliste (...).
Alors, restons uniquement sur les attendus juridiques de ce texte qui certes, est rattaché à l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 lequel réprime « La diffamation envers …, les armées de terre, de mer ou de l'air, …» et auquel sont désormais rattachées les unités supplétives de l’armée
Il y a lieu de souligner que les auteurs du texte, les Rapporteurs devant les deux chambres, ainsi que la quasi unanimité des Parlementaires affirment haut et fort et à travers les médias, que les « Harkis » seront protégés par ce texte.
Par cette tribune, j’affirme qu’il n’en est absolument rien. Les anciens harkis ne seront pas protégés par le texte de cette proposition de loi rectifiée, de M. le Sénateur Raymond Couderc voté définitivement le 27 février 2012 par le Parlement.
Les griefs sont nombreux :
- le texte voté réprime l’injure et la diffamation envers les «formations supplétives» et non envers les membres qui les composent, fussent-ils harkis. La loi pénale est d’interprétation stricte, c’est une certitude !
Les interventions parlementaires de la majorité et les déclarations du gouvernement ne changeront rien à l’application stricte de la loi du 29 juillet 1881. Un sérieux indice révèle au mieux l’incompétence, au pire la manipulation, l’escroquerie, quand il est fait un rapprochement entre le vote de ce texte et la répression effective d’injures, comme dans l’affaire des « sous hommes » de Georges Frêche. Il y a lieu de rappeler que le plaignant ou les personnes qui étaient injuriées à Montpellier le 11 février 2006, n’étaient ni des « harkis » membres des formations supplétives, ni des anciens harkis, mais des descendants de ceux-ci.
Or, le texte voté ne protège nullement les descendants des harkis. Quant aux anciens harkis, ils ne sont plus en exercice dans leurs formations supplétives. Le gouvernement, par la voix de M. Marc Laffineur, secrétaire d’État aux anciens combattants a même refusé que
les descendants puissent mettre en mouvement l’action pénale en cas de diffamation, selon les visées du texte voté ( ?).
- Un autre grief qui n’est pas des moindres est celui du projet de la recevabilité des associations. Le texte voté est une « petite Loi » ayant un caractère de loi ordinaire. Et le vote des parlementaires inscrivant la recevabilité dans les tables de la loi ne pourra pas s’appliquer comme un texte modifiant le code de procédure pénale, ou amender et modifier un sous article relatif à la recevabilité des associations dans la loi du 29 juillet 1881.
Les affirmations gratuites des Rapporteurs et du gouvernement ne changeront en rien, la stricte application ou interprétation de la loi du 29 juillet 1881, sur la presse. Les mêmes assurances et certitudes nous étaient renvoyées lors de la discussion du projet de la loi du 23 février 2005. Tant les Rapporteurs du texte que le Ministre des anciens combattants de
l’époque, M. Hamlaoui MEKACHERA ne voulaient entendre les craintes et les propositions d’amendements de Génération Mémoire Harki.
Notre association a eu l’immense honneur de démontrer devant la Cour de Cassation que cet article 5 de la loi du 23 février 2005 était inopérant en y déférant 3 affaires au total.
Générations Mémoire Harkis prend donc acte que, ni les Rapporteurs devant les deux Chambres, ni le gouvernement, ni nombre de parlementaires n’ont voulu entendre et relayer les multiples amendements que nous leur avons faits parvenir. Quelques rares Parlementaires ont tenté de défendre au moins un amendement qui aurait été utile mais le gouvernement et M. le député Elie Aboud se sont formellement opposés (?).
En attendant, nous étudierons l’impact de constitutionnalité, pour éventuellement transmettre cette loi au contrôle des Sages constitutionnels. Nous savons que nous ne pouvons compter sur l’initiative parlementaire, car l’ensemble des Groupes politiques pouvant la transmettre au Conseil Constitutionnel ont voté favorablement ce texte.
Pour ma part, et même en cette période de promesses électorales, je veux aussi dénoncer cette tentative de vouloir faire prendre « les vessies pour des lanternes », pour paraphraser un adage bien connu de nos anciens.
En conclusion, j’affirme qu’il n’y avait pas besoin de ce texte de loi du 27 février 2012 pour mettre en œuvre l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 ou s’attacher la recevabilité des associations d’anciens harkis.
Enfin, il ne nous reste plus qu’à espérer un autre texte dans l’esprit de la proposition de loi rectifiée à l’automne 2011, ou un décret d’application du texte de 2005 précisant la portée pénale des articles de la loi du 29 juillet qui réprime l’injure et la diffamation « d’une personne ou un groupe de personnes … ». A suivre !
Pour Générations Mémoire Harkis,
Smail Boufhal