Tiens, je vais parler d'autre chose que des municipales.
La semaine dernière, cet entretien avec Benoît Hamon, entretien assez dense et détaillé, assez intéressant, a commencé à faire le tour de l'internet. Même Dagrouik écrit : "Vive le camarade Hamon!" en soulignant que "En plus il a une bonne tronche". C'est vrai qu'il est réjouissant d'avoir du débat.
Cependant, j'ai quelques difficultés avec Benoît Hamon, du moins dans un rôle de nouveau champion de la gauche : il était très critique de Ségolène Royal après sa défaite, et il était, proche de Fabius à l'époque, contre le TCE. Et pourtant, ça fait plaisir de voir un jeune cadre du PS s'en prendre la défense d'une gauche plus combative, vraiment à gauche, une gauche qui s'assume en tant que telle, et ainsi de suite. Bref, Hamon m'oblige à changer un peu de ton, même si je ne suis pas d'accord avec lui sur ces deux questions (Royal et l'Europe). Car il n'est pas question de fustiger quelqu'un qui dit des choses comme ceci :
Il faut refaire de la confrontation et redonner forme aux clivages, pour avoir une opposition plus plausible et très intransigeante. Il faut s'opposer fortement, même si on a rien à dire derrière. Il faut ensuite remontrer les terrains sur lesquels il y a des conflits d'intérêt, et donc un clivage. Je crois que c'est ce travail pédagogique qu'il faut faire sur la société française. On doit amener les gens à prendre la mesure que le sort de chacun ne se joue pas dans la compétition mais dans les grands arbitrages politiques que l'on sera en capacité de rendre : l'ampleur des instruments de redistribution et notamment la vocation qu'on donne à l'impôt.
C'est politique, pugnace. On est content. Et encore plus content avec ceci, même si ces phrases contiennent une critique larvée de la position de Ségolène Royal pendant la campagne :
la nouveauté dans cette élection est que ce consensus a pu se déplacer, y compris sur la doctrine sociale. La gauche a ainsi emprunté au patrimoine intellectuel de la droite les thèmes du donnant-donnant, de la valeur travail, ou encore, le pire pour moi, la dénonciation de la société d'assistanat.
Pour moi, c'est là presque la leçon principale de la défaite : il ne faut pas, par souci d'équilibre ou de centrisme, accréditer les analyses de l'adversaire, que ce soit sur l'"assistinat" ou l'identité nationale. La gauche paraît déboussolée et empruntée quand elle ne s'assume pas en tant que gauche. On ne peut pas reprendre allègrement les thèmes de la droite. Mais passons...
Le problème avec cet entretien avec Benoît Hamon, c'est qu'on ne doit pas se contenter de piocher pour trouver les bons morceaux. Il faut essayer de tout comprendre, tout prendre, pour voir justement les endroits où la ligne de partage entre quelqu'un comme Hamon et quelqu'un comme moi qui veux une gauche efficace et pas molle.
Et voilà que l'Europe revient sur le tapis. Je cite longuement Hamon :
Le modèle social français, c'est un haut niveau de protection social financé par les cotisations des salariés et du patronat, un haut niveau de service public et un puissant Etat-providence. Chacun de ses piliers de notre modèle social est aujourd'hui en crise parce le choix de la construction européenne encourage à la baisse des recettes fiscales avec le pacte de stabilité et encourage à la réduction du déficit. Elle limite donc les capacités des Etats à pouvoir mettre en place des politiques de relance, y compris dans les périodes de faible croissance.
Par paresse pour un certain nombre, par conviction, par facilité ou par opportunisme, il y a des hommes et des femmes de gauche qui se sont convertis aux idées selon lesquelles il est désormais impossible dans une économie mondialisée et capitaliste de bâtir une protection des individus qui soit basée sur la mutualisation et la socialisation.
Je n'ai pas envie d'être casse-pieds, ni de couper un cheveux en quatre, et encore moins de reprendre les débats autour du TCE ou même ceux sur la réponse socialiste au "mini-traité". Ce qui me pose problème dans ce que dit Benoît Hamon, c'est que la construction européenne y devient le symbole de toutes les transformations économiques associees à la mondialisation. Bien sûr, l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui, est loin d'être cette "Europe sociale" que l'on évoque selon les saisons. Bien sûr, les traités européens se font avec des partenaires comme l'Angleterre et la Pologne qui ont des conceptions du "social" très éloignées de celles de la gauche (pas si loin de celle que partage notre Lider Maximo à nous, toutefois). Mais la situation actuelle en France, les menaces qui pèsent sur l'Etat-Providence ne sont pas dûs au seul pacte de stabilité : sans l'Europe, aurait-il été possible de laisser monter systématiquement les déficits publics pour payer un modèle social ? Possible, oui, mais dangereux. Surtout, cela reviendrait à camoufler par la dette une série de choix politiques qui ont progressivement affaibli la protection sociale.
Avant de passer pour un troll UMP, je précise encore une fois qu'il est injuste de faire porter le chapeau à l'Europe pour tout cela. D'autres choix nous ont menés vers la situation actuelle, notamment le fait que, depuis vingt ans, chaque gouvernement de droite (ou presque, il faudrait que je vérifie) a "fait baisser les charges", ou comme le disait notre Très Grand Homme (TGH), réduire l'impôt sur le travail, surtout sur les bas salaires. Quand, comme nous l'a rappelé Ségolène Royal l'autre soir, le salaire médian est de 1500 €, on peut comprendre que la masse salariale défiscalisée est importante. Que ces choix conduisent à un appauvrissement du système ne doit pas être une surprise. En tout cas, ce n'est pas la faute de l'Europe.
Pourtant, Benoît Hamon ne me semble pas représenter une sorte de gauche nostalgique du Mitterrand d'avant "le tournant de la rigueur". L'idée d'une défense et rénovation du système social français pourrait être un axe très intéressant politiquement. Pour qu'elle fonctionne, il faudrait d'abord la débarrasser du discours anti-européen, à la fois utopique, nostalgique et porteuse de divisions à l'intérieur du PS.