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Maria Gabriela Llansol (1931-2008)

Par Florence Trocmé

Les éditions Pagine d’Arte publient finita un nouveau livre consacré à Maria Gabriela Llansol, dans une traduction du portugais de Cristina Isabel de Melo. Il s’agit de pages d’un journal.  
 
Jodoigne, 24 décembre 1976 
 
Nous avons dîné ainsi que je l’ai décrit précédemment : mes invités invisibles étaient venus, depuis le chien en laisse jusqu’au serpent.  
Le jour s’est accompli car, comme je l’avais tant désiré, je suis allée à Louvain acheter Florbela ; elle n’était déjà plus dans la vitrine mais à l’intérieur de la boutique, assise sur une chaise. La journée a été rapide, il n’y a pas eu de fatigue. Une grande partie s’est passée la nuit.  
Dès que je me couche, il me vient des pensées. D’abord, celle des saisons intérieures, des mutations de l’âme qui ont lieu dans un cadre intérieur de la nature ; ces saisons sont encore moins marquées, les changements sont des expériences infinitésimales, et requièrent une attention minutieuse. Cependant, les détails sont à la base du changement et revêtent la haute importance d’une espèce d’affinement du sens. C’est l’été, c’est l’hiver, ça revient, c’est l’automne, c’est cendré. Très souvent le paysage reste le même ; seul a changé, dès lors, le lieu de captation de l’image. Car je suis sûre que depuis quelques jours j’écris avec une optique différente. Je décris une silhouette qui ressemble à une lueur devant moi, en moi, m’échappant à hauteur des yeux.  
Je pourrais donner comme exemple :  
tout d’abord, il y a un plan d’arbre, et derrière lui une fraction de montagne, une montagne animale, un cachalot, ou quelque monstre marin effroyable ; ce n’est pas encore le jour clair, ni un lieu intensément illuminé. L’arbre est petit comme un chromo, le monstre est noir, immense, mais un monstre de la famille, en position domestique. Il y a un palpitement vert, nu de toute référence, c’est la naissance du vert avant qu’on le découvre. Le vert n’est pas encore sur terre, et se fixe en lui-même, il apporte l’arbre. La lumière que je voyais, et le volume qui se trouvait là, sont dé-situés. Cependant, ils se meuvent en un parfait déséquilibre de forces. « Un esprit si démesurément esprit qui puisse tout absorber sans rien exclure… » 
Lorsque j’aurai éteint la lumière, je continuerai de sentir, et de penser. Mais je ne pourrai pas écrire, j’aurai oublié de le faire pour toujours. Mais rien ne se perd, tout s’élève vers le nuage sonore flottant.  
 
Maria Gabriela Llansol, Finita, traduction du portugais de Cristina Isabel de Melo,  éditions Pagine d’Arte, 2012, pp. 93 et 94. 
 
Maria Gabriela Llansol dans Poezibao : 
bio-bibliographie, extraits 1, ext. 2, La Foudre sur le Crayon  


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