L'histoire est celle de la publication des Caprices de Goya. Dans sa célèbre série d'eaux-fortes, le peintre espagnol peignait de manière désabusée les errements des passions et des croyances humaines. "Le soleil de la raison engendre des monstres", œuvres bien connues et bien étudiées... Là où l'analyse de Stoichita est intéressante, c'est qu'elle étudie non pas les œuvres, mais les circonstances de leur publication. Dans l'espace, et dans le temps. Il met en évidence le choix de l'endroit ("1 rue du Désenchantement", dans une ancienne droguerie achetée pour l'occasion), et du moment de publication: le 6 février 1799, soit le dernier mercredi des cendres du 18e siècle. Date symbolique d'apogée et de fin du carnaval, et par ailleurs moment de "lune sèche", de nuit sans lune.
Vouloir faire converger symboliquement l'oeuvre et le monde, le monde et l'œuvre, est caractéristique d'une volonté d'enchantement du monde, d'un désir de cohésion entre la création artistique et l'action sur le monde, qui est l'un des objectifs majeurs du mouvement intellectuel romantique, dans lequel Goya s'inscrit historiquement. Le fait que cet enchantement ait pour contenu symbolique les différentes formes du désenchantement est caractéristique d'un romantisme tiraillé entre le désir de changer le monde par son œuvre, et l'amère lucidité de l'impossibilité de cette dernière entreprise. Goya, ainsi, peut à la fois développer une sorte de "rituel de publication", fruit d'une croyance en l'efficacité symbolique du choix d'un endroit et d'un moment spécifiques de mise en vente de sa série d'eaux-fortes, et insister ironiquement et amèrement, à l'intérieur de son œuvre, sur la vanité et l'illusion des valeurs et des superstitions humaines. Désabusé, il ne semble considérer le monde du rêve que dans la perspective du cauchemar.