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La lutte contre la fraude fiscale appauvrit la société

Publié le 08 mars 2012 par Copeau @Contrepoints

Les chiffres bruts de l’évasion fiscale font toujours les choux gras de la presse, mais à bien y regarder, il est quasiment impossible de récupérer ces sommes. En réalité, l’abandon des contrôles fiscaux serait probablement une bonne chose pour l’ensemble de la société, y compris pour l’État.
Par Pasm, depuis Bruxelles, Belgique

La lutte contre la fraude fiscale appauvrit la société
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais dès qu’on parle de difficultés budgétaires, il y a toujours un mec qui va tout résoudre en renforçant la lutte contre la fraude fiscale. Quel que soit le montant, le pays ou l’époque, il suffit de poursuivre les fraudeurs et tout ira bien. Dans ce raisonnement où le politiquement correct le dispute à la pensée magique, il y a juste un petit problème. Ce n’est pas toujours vrai. En Belgique par exemple, l’intensification de la lutte contre la fraude fiscale conduirait à un appauvrissement de la population et de l’État. C’est la conclusion qu’on peut tirer – à son corps défendant ! – du récent livre de Michel Maus sur la fraude fiscale en Belgique “iedereen doet het !” (trad : tout le monde le fait !)

Un point d’abord sur les montants

De son enquête, et de diverses autres études, il ressort que le montant total de la fraude fiscale en Belgique s’élève entre 26 et 30 milliards d’euros. Ce qui fait quand même presque 10% du PIB. À première vue, il y a là de quoi équilibrer les comptes publics sans devoir passer par l’austérité. Mais, hélas, quand bien même l’État s’y essayerait avec la plus grande volonté, il ne parviendrait jamais à récupérer l’ensemble du montant pour deux raisons.

D’abord, une partie de ces sommes est totalement impossible à repérer. Pour que le fisc puisse attraper un fraudeur, il lui faut au moins un indice de fraude et, donc, que l’argent fraudé passe quelque part où on peut le repérer. Ce qui n’est pas toujours le cas. Par exemple, les personnes qui héritent d’un portefeuille mobilier à l’étranger jouissent généralement déjà de revenus confortables et déclarés en Belgique. Ils présentent une capacité d’épargne tout ce qu’il y a de plus officielle et le portefeuille à l’étranger ne représente qu’un matelas de sécurité qui ne sera peut-être jamais employé par l’héritier en question. De l’argent propre sort de Belgique et n’y revient jamais. Pour un service fiscal, il est quasiment impossible de repérer ce genre d’opérations.

Ensuite, il est un autre problème qu’on évoque trop peu. C’est celui de la variation de la base imposable en fonction du taux réel d’imposition. Comme pour tous les choix économiques, les fraudeurs s’adapteront à la nouvelle politique anti-fraude. Nombreux sont ceux qui arrêteront tout simplement de travailler plutôt que de travailler légalement pour un salaire raboté par les taxes et impôts divers. Ainsi, par exemple, l’ouvrier communal qui arrondit ses fins de mois en travaillant sur des petits chantiers privés. Se fatiguerait-il de la même façon s’il devait payer toutes les taxes liés à un statut d’indépendant complémentaire ? Et la bourgeoise qui emploie une femme de ménage, pourrait-elle se permettre de la payer deux fois plus en la déclarant ? Ou bien déciderait-elle de réduire ses activités professionnelles pour s’occuper elle-même de sa maison ? Le travail au noir est une activité économique comme une autre et, en la taxant efficacement, on risque bien de la faire disparaître.

Bien malin qui pourrait nous dire in fine quels montants seraient réellement récupérable par le fisc. J’imagine aisément que la moitié des montants cités ne seraient jamais détecter et que l’autre moitié serait réduite significativement. Au final, on pourrait peut-être compter sur 20% des sommes préalablement annoncées, soit 5 à 6 milliards par an. Ça reste une somme importante, mais on est loin de la poule aux œufs d’or qu’on nous avait annoncée. En plus, l’État devrait faire face à des coûts liés à la disparition du travail au noir. Notre ouvrier qui passe désormais ses soirées devant sa télé plutôt que sur un chantier, il ne partira sans-doute plus en vacances. Quant à notre bourgeoise, ses revenus diminuant, elle payera moins d’impôt. Et la femme d’ouvrage, ne risque-t-on pas de la retrouver au CPAS ? En tenant compte de tout cela, combien restera-t-il en net à l’État ?

Les contrôles fiscaux ne rapportent rien à l’État

Pour moi, c’est la plus grande surprise de ce livre : les contrôles fiscaux ne servent à rien ! Naïvement, je pensais que le ministère des finances devait être le seul service public à fonctionner correctement et que ses fonctionnaires devaient rapporter quelque chose comme dix fois leur salaire à l’État. Et bien, non ! En Belgique, les contrôles fiscaux atteignent à peine le break-even. Les contrôles fiscaux coûtent 1,89% des recettes fiscales (environ 100 milliards en excluant les recettes sociales) et en rapporte 1,95 %, soit une rentrée nette pour l’État d’environ 60 millions d’Euros !

Devant la petitesse du chiffre, certains se diront que si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal. Hélas, l’argument est fallacieux. Il illustre exactement le sophisme de la vitre cassée mis en évidence par Bastiat. Chacun voit les 60 malheureux millions qui rentrent dans les caisses de l’État, mais combien réalisent les coûts cachés qu’engendrent cette perception. Il faut avoir vécu un contrôle fiscal pour se représenter l’immensité de l’énergie, du temps et de l’argent que cela requière de la part du contrôlé. Autant de temps et d’énergie qui ne sont pas investis ailleurs et qui ne portent pas de fruits pour la société vu qu’au final, il n’y a qu’un transfert d’argent sans création de valeur. Si le fisc consacre chaque année 2 milliards d’euros aux contrôles fiscaux, on peut penser que cela consomme au moins le même niveau de ressource chez les contribuables concernés. C’est donc au total probablement 4 milliards par an qui sont détruit dans le seul but de ramener 60 millions dans les caisses de l’État.

Qu’on puisse justifier cette effrayante destruction de richesse par la nécessité de financer l’État, je le comprendrais encore. Mais quand les sommes récupérées sont à ce point ridicules, c’est la question même de l’existence des contrôles fiscaux qui devrait être posée. L’État ne pourrait-il pas faire une croix sur ces 60 millions et réaffecter une partie des 27.000 fonctionnaires du ministère des finances (le plus grand département fédéral) vers d’autres services publics qui en ont cruellement besoin ? La société dans son ensemble y perdrait-elle vraiment ?

Intensifier la lutte contre la fraude fiscale va appauvrir l’État

Cette dernière réflexion est une conséquence logique du point précédent. Si je pars de l’idée que l’inspection des impôts est bien organisée (ce qui est une hypothèse forte pour un service public, je le reconnais), toute intensification des contrôles coûtera plus cher qu’elle ne rapportera.

Je m’explique.

On aura compris que les montants à récupérer doivent être mis en regard des montants nécessaires pour les récupérer. L’État s’appauvrit s’il consacre 100 euros à en récupérer 99. Les montants bruts de la fraude fiscale sont donc de peu d’intérêt. Ce qui compte, c’est le montant net que l’État peut espérer encaisser. Ainsi, on parle toujours de la grande fraude fiscale en citant des sommes phénoménales, mais, vu la complexité des mécanismes en œuvre et le temps nécessaire à les détricoter, il est possible qu’il soit peu rentable pour l’État de la poursuivre. Au contraire, une série de petites fraudes, ou erreur de déclaration, doivent être extrêmement faciles à repérer par le croisement des données informatiques. Pourchasser ces petites fraudes-là, qui rapportent peu mais souvent et qui ne coûtent presque rien est probablement beaucoup plus rentable. Enfin, chasser le travail au noir dans les cuisines et les jardins doit être extrêmement coûteux (nécessité de se déplacer pour chaque cas, risque de se prendre des coups sur le nez, etc…) et ne rapporter que des clopinettes à l’État. Chaque fraude se caractérise donc par un rapport bénéfice/coût qui en définit la rentabilité.

Comme nous l’avons vu, la rentabilité moyenne des contrôles fiscaux est aujourd’hui de l’ordre de 1. Ils rapportent autant que ce qu’ils coûtent. Mais si on intensifie les contrôles, cette rentabilité ne va pas rester à 1. Elle va baisser. En effet, il n’ y a aucune raison de croire que les contrôles sont fait de façon aléatoire. Si l’inspection des impôts est un tant soit peu organisée, elle aura donné la priorité aux contrôles les plus rentables et laissé de coté les contrôles peu rentables. Ce sont ceux-là qui seront désormais exécutés si on augmente le nombre de contrôles. Et donc la rentabilité moyenne va baisser.

Ce qui nous intéresse, c’est bien la rentabilité marginale du x+1ième contrôle. Or comme l’unité marginale de production, le salaire d’un fonctionnaire, est stable – Le X+1ième fonctionnaire coûte (à peu près) la même chose que le Xième – et que la rentabilité marginale est décroissante, tout intensification des contrôles va réduire la rentabilité moyenne.

Et comme, en Belgique, on est déjà à une rentabilité moyenne de 1, l’augmentation des contrôles va la faire passer sous le seuil critique du break-even. Donc, au final, l’État perdra de l’argent.

En conclusion

Il y a loin de la coupe aux lèvres et les chiffres bruts de l’évasion fiscale font toujours les choux gras de la presse, mais à bien y regarder, il est quasiment impossible de récupérer ces sommes. Et toute tentative exagérée d’aller chercher ces sommes déstabilise un système économique dont l’argent noir fait partie intégrante. En réalité, l’abandon des contrôles fiscaux serait probablement une bonne chose pour l’ensemble de la société, y compris pour l’État.

Néanmoins, il restera une ultime objection à la démonstration que je viens d’esquisser. L’absence de contrôle ne va-t-elle pas encourager tout le monde à frauder encore plus et réduire au final les sommes perçues par l’État. Certainement ! Oui, certainement ! Dans un système ultra-complexe, illégitime et oppressif, les citoyens chercheront toujours à frauder si on ne les contrôle pas à chaque coin de rue. Mais la vraie solution, ce n’est pas de consacrer encore et encore plus d’énergie aux contrôles, c’est bien de consacrer cette énergie à reconstruire un système simple et légitime. Alors – et l’expérience le montre – l’argent rentrera tout seul dans les caisses de l’État.

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