Mélange de sincérité introspective et de combativité
sans concession, la prestation de Nicolas Sarkozy a montré que rien n’était encore joué. Laurent Fabius en a fait les frais même s’il a réussi à tenir la confrontation tant bien que
mal.
Séance de psychologie introspective
L’émission animée par David Pujadas a été interminable, durant trois heures et sept
minutes. Pour une grande partie de celle-ci, ce fut une sorte de séance de psychologie de groupe où Nicolas Sarkozy est revenu sur ses attitudes très critiquables pour sa fonction
présidentielle : la sortie au Fouquet’s, les vacances sur le yacht de son ami Vincent Bolloré, le comportement de chiffonnier avec les pêcheurs, ou au Salon de l’Agriculture, etc.
Cette introspection a paru sincère et finalement, on peut comprendre que son chagrin
d’amour ait pu éclipser d’autres considérations, en particulier l’image de marque du Président de la République, mais justement, c’est cela qui est inquiétant : quand on accède à de si
hautes responsabilités, faut-il que les problèmes sentimentaux occupent autant de place à l’esprit ?
Cela fait plus l’effet d’un enfant, basé sur sa propre personne, que d’un adulte qui
pense à l’intérêt général, et pourtant, Nicolas Sarkozy était bien lucide sur cette impression et a dû expliquer qu’il n’avait le choix que de répondre à ces questions qu’il n’a pas posées ou à
ne pas jouer le jeu.
Dans ce jeu introspectif, il était intéressant aussi d’entendre ses réponses sur ses
défauts et qualités.
Son principal
défaut, l’émotivité, la spontanéité et la sentimentalité : oui, réponse sincère assurément. Il a raconté par exemple
que lorsqu’on l’insultait, son sang se mettait à bouillir mais qu’il devait prendre de la hauteur car il portait la fonction présidentielle.
Il a analysé aussi un phénomène qui sera de plus en plus présent : avec les
téléphones mobiles qui peuvent filmer, twitter, facebook, Internet etc., le moindre incident, la moindre phrase malheureuse, prennent tout de suite un écho national, ce qui n’était pas le cas il
y a plus de dix ans. Tous les meetings sont maintenant retransmis en direct sur les chaînes d’information continue. Le moindre faux pas est disséqué. Pour lui, 2012 est la première campagne du
XXIe siècle pour cette raison.
S’il a eu deux faux pas au cours de ses déplacements (pêcheurs et Salon de
l’Agriculture), il a rappelé quand même qu’il a fait cent cinquante déplacements par an depuis cinq ans et qu’il n’y a eu aucun incident sur ces autres déplacements (C’est le petit enfant qui
rappelle qu’il a eu quand même des bonnes notes dans d’autres disciplines).
Sa principale
qualité, là aussi il a joué au modeste, il a considéré que c’était son énergie débordante, celle qui lui enthousiasme sa
journée, qui le recharge en cas de déprime et surtout, il a admis que c’était inné, qu’il n’avait aucun mérite, qu’il y avait des gens avec énergie et d’autre sans… histoire de dire que François Hollande, par comparaison, n’est pas très dynamique.
Chose amusante, il ne serait venu à personne qu’il plaçât dans ses qualités son
intelligence (qui n'est quand même pas négligeable), d’autant plus qu’il s’est un peu victimisé en disant qu’il dérangeait, qu’il ne venait pas de l’ENA etc. Idem sur sa capacité à rassembler
alors qu’il a eu beau jeu de rappeler qu’élu Président de la République à 53% en 2007, il a prouvé qu’il était rassembleur.
Il n’a rien lâché
Nicolas Sarkozy a du mordant et il n’a rien lâché. Tout était bon pour envoyer des
scuds, même si certains étaient très bas (comme l’histoire de rappeler le soutien de Laurent Fabius à Dominique Strauss-Kahn).
Autre exemple, sur la stigmatisation. Même impression du petit enfant qui dit : "c’est pas moi, c’est lui". Attaquant la mesure de taxation des hauts revenus à 75% de François Hollande, il a trouvé étrange que ceux qui l’accusent de stigmatiser
les immigrés stigmatisent eux-mêmes les entrepreneurs, ceux qui ont réussi, etc. Ce qui est affligeant dans cette argumentation, c’est que cela ne l’excuse pas plus de stigmatiser lui-même,
d’autant plus qu’il s’agit de sujets très différents.
Sur la TVA sociale, Nicolas Sarkozy a eu raison d’insister sur l’inconstance de Manuel Valls,
directeur de la communication du candidat François Hollande, qui était le promoteur de cette mesure lors de la primaire socialiste et qui la pourfend aujourd’hui. En revanche, le Président
candidat la défend très mal, incapable de convaincre sur l’absence d’inflation alors qu’a priori, pour les produits français, elle est censée faire baisser les prix hors taxe.
Clins d’œil à
Bayrou
J’ai vu également deux clins d’œil très lourdingues en direction de François Bayrou, le premier où il a cité explicitement le candidat centriste sur la meilleure argumentation
contre la taxation à 75% : cela retirerait tout espoir aux jeunes de vouloir réussir dans la vie. François Bayrou est allé bien plus loin sur le sujet ; en taxant autant les hauts
revenus, cela voudrait dire que le seul moyen d’avoir une fortune, c’est… d’être enfants d’une personne déjà fortunée, ce qui est le contraire des valeurs du mérite républicain.
L’autre clin d’œil, c’est lorsque Nicolas Sarkozy a proposé la réduction du nombre de
parlementaires et une dose de 10 à 15% de proportionnelle alors que c’est exactement ce qu’a proposé
François Bayrou notamment le 25 février 2012 quand il a annoncé un référendum pour moraliser la vie politique dès le 10 juin 2012.
Les immigrés et les riches, le Syrien et le fiston
Sur l’immigration, Nicolas Sarkozy n’a pas changé son raisonnement qui reste très proche
des complaintes de Marine Le Pen. Il a même proposé de rendre plus difficile l’obtention de la
nationalité française malgré le mariages et de compliquer l’attribution d’allocations sociales (minimum vieillesse et RSA) pour les étrangers (même s’il n’est pas allé aussi loin que le FN qui
veut stupidement interdire la CMU aux étrangers, alors que les arguments épidémiologiques sont indiscutables).
Même rapprochement sur l’étiquetage de la viande halal, entre le 21 février 2012 à
Rungis où il disait refuser d’en faire un problème, et le 3 mars 2012 à Bordeaux où il a fait cette proposition. Et sans que ce soit relevé, Nicolas Sarkozy a affirmé décomplexé : « Je suis en désaccord sur les mots ! » [avec le FN], ce qui laisserait entendre qu’il serait en accord sur le fond...
Nicolas Sarkozy a également cherché à réfuter cette critique qui lui a collé à la peau
dès le début du quinquennat d’être le Président des riches. Il l’a démontré en rappelant toutes les réformes fiscales qu’il a accomplies depuis cinq ans.
Mais même s’il a raison, il doit savoir que les impressions ne se changent pas avec
seulement des arguments raisonnés, mais aussi par de nouvelles impressions, un comportement plus compatissant avec la difficulté des Français les plus pauvres. Or, ce n’est pas en pensant que les
chômeurs ou les professeurs sont des paresseux (par exemple) qu’il convaincra que ses amitiés du CAC40 n’influent pas sur sa politique.
Toujours sur le mode introspectif, Nicolas Sarkozy a été convaincant en expliquant
pourquoi il avait reçu Bachar El-Assad à Paris, encourageant la Syrie à rejoindre le camp des pays progressistes, ce qui a permis l’organisation des élections au Liban. Mais depuis un an, le
Président syrien a changé et est devenu maintenant un assassin, d’autant plus que les autorités syriennes étaient au courant de la localisation des journalistes étrangers qui ont été tués.
Sur la polémique concernant l’EPAD (décidément, on a passé en revue tous les contentieux
entre Nicolas Sarkozy et les Français), Nicolas Sarkozy a convenu d’avoir fait preuve d’imprudence en laissant son fils Jean postuler à la présidence de l’établissement gérant La Défense. Et
l’explication est très significative de l’état d’esprit du Président : il s’est dit que puisque cette fonction n’avait ni salaire, ni bureau, ni chauffeur, ni secrétaire, alors « ça n’a aucune importance ». Mais il a oublié la réalité du poste, celle de prendre des décisions importantes sur des budgets colossaux, ce qui
était peu adapté à un jeune étudiant peu expérimenté. Ce qui est significatif, c’est que Nicolas Sarkozy semble juger les fonctions par rapport à ce qu’elles rapporteraient matériellement…
L’explication me paraît ainsi très contreproductive.
Sémantique et annonces
Question vocabulaire, Nicolas Sarkozy a plusieurs fois mélangé "métier" et "fonction" de
Président de la République ou encore "assistanat" et "solidarité" pour parler des indemnités chômage (sur TF1 la veille, Jean-Luc Mélenchon aussi s’est repris sur ce dernier sujet). Le Président
candidat a parlé aussi de l’indemnisation des chômeurs comme si on les payait « à rester chez eux » alors que les chômeurs sont avant tout
à la recherche d’un emploi et que c’est une activité à plein temps (et pas forcément chez soi). Cela a montré un décalage complet avec la réalité sociale que vivent plus de quatre millions de
foyers en France.
Parmi les annonces faites durant cette soirée, Nicolas Sarkozy a proposé de réformer le système des parrainages pour être
candidat à l’élection présidentielle en les transformant par un parrainage directement des citoyens, autour de 3% du nombre des inscrits sur les listes électorales (soit entre un et un million et
demi, ce qui est beaucoup et sera un vrai problème pour valider ces signatures et éviter toute fraude). Je reparlerai probablement de ce sujet.
Autre annonce intéressante, en cas de réélection, ses premiers voyages à l’étranger seraient pour l’Allemagne, afin de réaffirmer
l’amitié franco-allemande, mais aussi pour Israël et la Palestine afin de prendre une initiative
européenne forte et en finir avec le conflit israélo-palestinien dans une période où les États-Unis ne feront rien en raison de leur campagne présidentielle.
Débat Sarkozy vs Fabius
Il a fallu attendre vingt-deux heures quarante pour que le débat de quarante-sept
minutes entre Nicolas Sarkozy et Laurent Fabius commençât.
Mais avant, faisons quelques retours historiques sur les débats.
C’est le premier débat avec Nicolas Sarkozy depuis son débat présidentiel avec Ségolène Royal le 2 mai 2007. C’est aussi un débat analogue à celui qui a opposé le 26 janvier 2012 le candidat François Hollande à l’ancien Premier
Ministre Alain Juppé (et actuel Ministre d’État). Enfin, avec Laurent Fabius, on se rappelle aussi le débat qui l’a opposé, lui Premier Ministre de François
Mitterrand, au successeur de ce dernier, Jacques Chirac, à l’époque ancien Premier Ministre, c’était le 27
octobre 1985 sur TF1 (débat modéré par Anne Sinclair et Pierre-Luc Séguillon).
Laurent Fabius était plutôt en forme mais a beaucoup vieilli, assurément. Avec son air
un peu condescendant (professoral, Nicolas Sarkozy le lui fait même remarquer), il a été nettement moins combatif que son interlocuteur. Pire : Nicolas Sarkozy ne lui a même pas laissé
terminer son introduction et l’a mis en position de devoir se justifier sur les petites phrases malheureuses qu’il avait distillées pendant la primaire socialiste contre François Hollande.
Le problème de l’ancien Premier Ministre, c’est qu’il était arrivé avec ses petites
questions et ses petits pièges mais a été incapable d’improvisation et de réaction dynamique alors qu’au contraire, Nicolas Sarkozy a contourné bien de ses chausse-trappes.
Laurent Fabius a néanmoins réussi à lâcher bien posément, thème qui reviendra sans doute
chez les socialistes : « Votre bilan est votre boulet ! » et a su garder l’esprit de répartie pour faire quelques échanges
plaisants sur la modestie et l’outrageusement.
Sur la TVA sociale et le risque d’inflation, Nicolas Sarkozy a été assez clair en
faisant la comparaison avec l’augmentation de 3% de la TVA en Allemagne qui n’avait engendré que 0,5% d’inflation.
Sur le fond, j’ai quand même appris dans ce débat que les socialistes comptaient
augmenter de 0,5% les cotisations sociales sur les salaires pour permettre à cent cinquante mille personnes ayant travaillé à 18 ans de prendre leur retraite à 60 ans. Ils sont donc assez
culottés de parler de pouvoir d’achat quand eux-mêmes ont dans leurs bagages (fort discrètement il est vrai) de réduire encore un peu plus le montant du salaire net.
Dix minutes avant la fin du débat, David Pujadas a proposé à Laurent Fabius de choisir
un dernier thème et c’est là où le dilettantisme de l’ancien Premier Ministre a été le plus frappant. Car Laurent Fabius, un peu étonné, lui a répondu : « Je sais pas, de quoi vous voulez qu’on parle ? », question hallucinante qui a montré un amateurisme bien étrange pour quelqu’un qui est depuis
au moins trente-quatre ans dans la vie politique au plus haut niveau.
C’était même pire que cela, puisque Laurent Fabius a donné à son adversaire des
faire-valoir pourtant évidents. En lui parlant de démocratie, de droits du Parlement etc. Laurent Fabius s’est vu en retour développer tout l’argumentaire des réformes de Nicolas Sarkozy : le vote des parlementaires pour l’engagement extérieur des
troupes (au contraire de François Mitterrand), la question préalable de constitutionnalité, la Cour des Comptes qui peut maintenant contrôler le budget de l’Élysée qui était complètement opaque
pendant les quatorze années de François Mitterrand, la nomination d’un socialiste (Didier Migaud) à la tête de cette institution alors que François Mitterrand avait nommé des amis (Pierre Joxe) etc. Et à chaque point, Laurent Fabius acquiesçait avec un « C’est bien ! » très contreproductif !
Nicolas Sarkozy ne s’est pas arrêté à se défendre mais aussi à attaquer en montrant du doigt que les socialistes dépensaient sans
compter l’argent des contribuables, en particulier dans les collectivités locales : « Vous êtes drogués à la dépense
publique ! ». Il a indiqué par exemple qu’à la communauté d’agglomération de Rouen que préside Laurent Fabius, il y a quarante-cinq vice-présidents qui sont payés pour cela, et à
la communauté urbaine de Lille, "seulement" trente-deux vice-présidents.
Le pire pour Laurent Fabius a été à la fin du débat, où il a tenu absolument à citer un passage déjà longuement retransmis dans
l’émission où Nicolas Sarkozy assurait en 2007 que le chômage baisserait. Cet entêtement a été un peu ridicule et a donné une image déplorable.
Comme avec Jack Lang face à
Jean-François Copé le 17 novembre 2011, pourquoi le PS envoie-t-il donc des dinosaures vieillissants ? François Hollande fait preuve d’un peu trop de légèreté dans sa campagne qu’il croit
sans doute gagnée d’avance.
Stigmatisation déjà ancienne…
L’un des répliques de Nicolas Sarkozy à Laurent Fabius, ce fut le rappel d’un vieux
débat qui n’avait pas vraiment réussi au responsable socialiste : « Vous ne changez pas, Monsieur Fabius. J’ai revu vos anciens
débats… ».
Justement, retournons à ce débat de 1985 : c’est très instructif de réentendre
Jacques Chirac initier la stigmatisation des étrangers considérés comme des délinquants : « Il y a les clandestins qui sont très nombreux,
ceux-là, il faut les expulser et non plus les régulariser comme vous l’avez fait si longtemps (…). Et puis il y a les délinquants, qui sont hélas nombreux. (…) 42% des délinquants interpellés à
Paris sont des étrangers, de même qu’un tiers ou presque des prisonniers en France sont des étrangers, de même que 75% de ceux qui sont interpellés pour trafic de drogue sont des étrangers. Eh
bien, ces étrangers, Monsieur Fabius, il faut les expulser immédiatement et les remettre entre les mains de la police de leur pays d’origine. ». Quasiment du Guéant dans le texte…
Combatif et tendu
Au final, même s’il s’est montré très tendu, Nicolas Sarkozy a révélé une combativité
toujours intacte, celle de l’animal politique qui ne lâchera rien et qui est bien résolu à lutter avec toutes les armes. Il a conclu en beauté l’émission, avec beaucoup d’humour, en faisant de la
retape pour son meeting de Villepinte du dimanche 11 mars 2012, meeting qu’il veut bien plus grand que celui du Bourget de son principal rival. Il a d’ailleurs laissé entendre que dimanche, il
expliquerait pourquoi… il a (encore) changé !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 mars
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Nicolas le
Stigmatiseur.
Laurent Fabius sera-t-il candidat ?
Débat Chirac vs Fabius du 27 octobre
1985.
Analyse du débat Sarkozy vs Fabius par "L’Express" (7 mars 2012).
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/sarkozy-versus-fabius-la-verite-si-111922