De la seconde pièce, BWV 29, c'est toutefois la fulgurante sinfonia initiale, avec solo d'orgue, qui est l'élément le plus spectaculaire. Cette longue page, aussi virtuose qu'éloquente, est un remploi habile, à l'instrument roi, du Prélude de la Partita pour violon seul BWV 1006. Cela en dit long sur l'adaptabilité, et aussi l'opportunisme d'un Bach soumis, ni plus ni moins qu'un autre, aux impératifs de production de son temps. Gott, man lobet dich dispose elle aussi de l’autocitation, cette fois d'une Sonate pour violon et clavecin, au cours de l'air de soprano Heil und Segen faisant suite au monumental (et tonitruant) chœur. Ce dernier est évincé de la vigie liminaire par la virtuosité délicate d'un air d'alto.
Sans trompettes cette fois, l'ample et bipartite BWV 30 annonce la couleur en ouvrant le concert sous le label Freue dich, incipit d'un chœur d'entrée musclé à l'allégresse impérieuse, repris d'ailleurs en guise de clôture, sous des paroles légèrement modifiées. Pas moins de deux airs pour basse la parcourent, mais c'est surtout le lumineux sautillement de Kommt, ihr angefochtnen Sünder, pour alto avec obbligato de flûte, régulièrement enregistré, qui vaut à cette cantate une juste célébrité.
Tournant le dos à la célèbre Danse Macabre de La Chaise-Dieu (ci-dessus), le choix d'un tel triptyque de lumière est d'autant plus pertinent pour une première apparition dans un festival de grand renom, que l'un des atouts maîtres de Suzuki dans son intégrale discographique est une plasticité, une liberté de respiration idéalement en phase avec l'annonce de la Bonne Nouvelle. Les parties chorales du Bach Collegium Japan, en particulier, s'avèrent d'une flexibilité fabuleuse (BWV 30)... D'autant plus méritant que le chef, shooté à l'action de grâce, se laisse parfois aller à des dynamiques fort peu dosées : la BWV 120 assène ainsi volontiers des contours martiaux outrés ; peu indulgents de surcroît envers la précision (et la justesse) des fameuses trompettes.
Les instrumentistes ne le cèdent en rien aux choristes, leurs interventions, tant obligées (flûte, violon) que concertante (orgue), surtout, révélant des individualités de grand talent ; en sus d'un jeu collectif huilé, sans la moindre raideur. Ceci à rebours de commentaires désolants, encore entendus et lus ici-même, selon lesquels leur qualité de Japonais ne leur offrirait «que leur technique, aux dépens de toute souplesse» (!). Des chanteurs, dont aucun en revanche n'est nippon, on ne saurait faire tel éloge, tant leur bilan est inégal.
Masaaki Suzuki quant à lui – hors les périlleuses vapeurs d'adrénaline précitées – ne se départit jamais, en ces réjouissances, du goût du détail ni de la rigueur tout organistique d'un digne élève de Ton Koopman. En même temps, il semble s'en amuser : à raison, du reste, tant le génie de Bach ne se limite sûrement pas à une resucée obsessionnelle du Golgotha. Divertissant et idéalement festivalier.
▸ un texte de Jacques Duffourg
❛L'article original publié sur Anaclase peut être luICI❜ Festival de La Chaise-Dieu, Abbatiale Saint-Robert, 22 août 2011 - Johann-Sebastian Bach : Cantes BWV 120, 29 et 30 - Rachel Nicolls, soprano ; Gerd Türk, ténor ; Robin Blaze, contre-ténor ; Peter Kooij, basse - Bach Collegium Japan, direction : Masaaki Suzuki. ❛Crédits iconographiques - Masaaki Suzuki,Bach Cantatas Website - La Danse Macabre de La Chaise-Dieu, Jacques Duffourg - Peter Kooij, www.peterkooij.de❜