Les amateurs prisent ces rendez-vous automnaux, célébrant, sous l'autorité de Benoît Dratwicki, un compositeur français, de ses sources à sa postérité. Après Campra en 2010 (trois-cent-cinquantième anniversaire oblige), c'est à Antoine Dauvergne qu'est consacré le présent millésime. Né en 1713 à Moulins, ce Bourbonnais (portrait ci-dessus), fils de violoniste et violoniste lui-même, rejoint assez tardivement (1741) la Musique de Chambre du Roi ; en 1752 seulement, il se frotte à l'art lyrique. Le succès des Amours de Tempé le pousse à persévérer, ainsi qu'à tenter, en pleine Querelle des Bouffons, l'aventure de l'opéra-comique, un genre que ses Troqueurs (1753) contribuent largement à fixer. Codirecteur du Concert Spirituel, il tient à trois reprises les rênes de l'Opéra, avant de mourir dans l'anonymat en 1797 à Lyon.
Danseur et violoniste – une polyvalence très française –, le Lyonnais Leclair (portrait ci-contre), jeune maître de ballet, apparaît à la cour de Turin, où il se perfectionne auprès de Giovanni Battista Somis, l'un des coups d'archet les plus notoires d'Europe. La transmission par celui-ci de l'enseignement d'Arcangelo Corelli, tout comme la fréquentation ultérieure, à Amsterdam, de Pietro Locatelli, autre légataire, contribue à sceller chez le Français une emprise déterminante du Buon Gusto corellien. Auteur d'une seule tragédie lyrique, Scylla et Glaucus, il disparaît à soixante-sept ans, assassiné en plein Paris par un inconnu. Leclair laisse, outre un corpus violonistique sans égal et le souvenir d'une légendaire virtuosité, la marque d'un caractère atrabilaire qui l'amena à quitter des institutions telles que la Musique du Roi et le Concert Spirituel.
La structure propre de la sonate en trio leclairienne hérite de Corelli, avec son ordonnancement lent-rapide-lent-rapide. Le terme de trio, en l'occurrence, n'évoque en rien un effectif, mais simplement le nombre de parties : deux en clefs de sol, l'une en clef de fa. Une telle œuvre peut donc être confiée à deux flûtes, deux violons, ou une flûte et un violon, accompagnés par une basse continue composite, rien ne s'opposant, à l'inverse, à ce qu'un clavecin se charge de la basse et d'une des portées supérieures, un instrument « aigu » s'acquittant de l'autre. Une doublette, en somme.
Hexagonale, la Deuxième recréation de musique l'est de son côté, farouchement : il s'agit d'une archétypique suite de danses à la française (canevas qu'utilise Bach pour ses Ouvertüren). Amputée, à cause de la synchronisation avec le spectacle équestre, de trois de ses volets (Menuet, Tambourin, Badinage), elle en conserve quatre autres : successivement Ouverture, Forlane, Chaconne et Sarabande. La seule Chaconne est une corne d'abondance de carrure symphonique, à l'incroyable variété, ocellée de cassures et digressions que les Virtuosi articulent avec appétit ; plus nette encore à cet égard est la Forlane, dotée d'une rêverie médiane aux accents de mélancolique musette.
Ce bref mais très riche parcours revêt ainsi un coloris mordoré, plus orienté vendémiaire que messidor, très en phase avec la saison ; prodigue de reflets boisés, il tire même, à la marge, vers le préromantisme à venir. Que ses onze sections soient exaltées l'une après l'autre dans des tempi modérés, sans qu'apparaisse pour autant la moindre monotonie, souligne éloquemment les ressources des instrumentistes. L'acoustique de la Grande Écurie escamote pour partie, hélas, l'inventivité coutumière de Molardi le claveciniste ; mais qu'au violoncelle Frédéric Baldassaré, débutant au sein du groupe, fasse montre d'un style à ce degré fusionnel, a de quoi réjouir.
▸ Jacques Duffourg
▸Cet article peut être lusur son site d'origine, Passée des Arts. Que son animateur soit encore remercié ici de l'avoir accueilli ▸ Versailles, Grande Écurie du Roi, 18 septembre 2011 - Jean-Marie Leclair (1697-1764), Sonate en trio opus 4 numéro 2 - Antoine Dauvergne (1713-1797), Sonate en trio opus 1 numéro 3 - Jean-Marie Leclair, Deuxième Recréation de Musique. Concert donné sur fond d'improvisations équestres de Bartabas, dans le cadre de l’Académie du Spectacle Équestre, et à l’occasion de l’ouverture de la Saison du CMBV. ▸ I Virtuosi Delle Muse : Jonathan Guyonnet & Paolo Cantamessa, violons - Frédéric Baldassaré, violoncelle - Ludovic Coutineau, contrebasse - Stefano Molardi, clavecin & direction. Le site d'I Virtuosi Delle Muse - I Virtuosi Delle Muse se produiront à nouveau à Versailles le 15 novembre 2011, dans un programme dédié à la Symphonie concertante française, Paris Virtuose.
▸ Crédits photographiques - La Grande Écurie du Roy : gravure © Universität Bern, Zentralbibliothek, Sammlung Ryhiner - Stefano Molardi & Jonathan Guyonnet :Guillaume Eymard