❛Concert❜ Chœur Les Métaboles, Léo Warynski • Une veillée russe à la Chapelle de Jésus Enfant & à l'Église des Billettes : "Léo, as-tu du chœur ?"

Publié le 03 février 2012 par Appoggiature @App0gg1ature

Le jeune ensemble choral Les Métaboles, fondé en 2009 par Léo Warynski (ci-dessus) n'a pas choisi la facilité en s'engageant dans le chant a cappella, un pari audacieux gagné haut la main lors d'une "Veillée Russe" (1) offerte à trois jours d'intervalle dans deux églises parisiennes, Jésus Enfant et Les Billettes. Au programme, de fascinantes pages, exigeantes, ardues - ascétiques même -,  la plupart largement méconnues, de musiciens emblématiques des XX° et XXI° siècles. Honneur au talentueux compositeur franco-ukrainien Dimitri Tchesnokov, présent au concert ! Son Ave Maria, aux inflexions à la fois suaves et austères, se situe à la croisée de deux influences majeures également célébrées ce soir : celles d'Arvo Pärt (né en 1935, Magnificat pour chœur mixte) et d'Alfred Schnittke (1934-1998, Trois chants sacrés) (2). Quelle insolente maîtrise chez ce jeune créateur pas encore trentenaire, et naturellement appelé à faire parler de lui (à ce titre, ne pas manquer le concert planifié pour le 24 mars prochain au C.N.R. de la rue de Madrid) ! Assurément, l'Agnus Dei tiré du Requiem Polonais de Krzysztof Penderecki (né en 1933) "parle aux tripes" ; ce démoniaque lamento au cantabile si singulier sera l'une des révélations de la soirée, partition-phare dont les mélismes tortueux participent, de la Septième Symphonie, Les Sept Portes de Jérusalem. Musique de déflagration, volcanique, mortifère, où chœur est acculé dans ses ultimes retranchements : la ligne mélodique rebelle, retorse et âpre, culmine dans un fortissimo paroxystique sur le mot de peccata (péchés). 

Les  miniatures de Gyorgy Sviridov (1915-1998) - si proches par l'esprit de certaines pièces sacrées de Gretchaninov - recourent à des bribes de mélodies populaires ancestrales. Elles mobilisent à plein les fécondes ressources des Métaboles, lesquelles semblent sur ce coup intarissables : succession étonnante de saccades, de mélodies et syllabes démantibulées, d'onomatopées et de bouches fermées du plus bel effet. Un exploit pour des artistes réputés non slavophones !


Le meilleur de Sergueï Rachmaninov (1873-1943, à son piano ci-dessous) réside sans doute dans son extraordinaire musique religieuse, imprégnée des traditions de la liturgie orthodoxe. Un diptyque magistral, formé par la Liturgie de Saint Jean Chrysostome et les Vêpres - peut-être son chef d'oeuvre le plus abouti ? Cinq extraits de ce dernier opus, absolu sommet d'écriture a cappella, constituent temps fort du concert ; en son cœur, l'antienne Blagoslovi dushe moya Gospoda (Bénis le Seigneur, ô mon âme). La soliste Camille Merckx y est bouleversante d'intensité, sa tessiture d'alto au timbre magnétique, sombre et argentin pourtant, enveloppe l'auditoire d'accents ésotériques, par instants maternels et mordorés. Toute l'âme slave est inscrite dans le trésor de cette mélopée hypnotique ! Est-elle une Parque, la Sphinge de l'Œdipe d'Enesco... ou encore Erda au rayonnement tellurique, surgie des profondeurs pour délivrer un message surnaturel ?

Bien des ensembles choraux à la flatteuse renommée ont du souci à se faire : Léo Warynski sculpte l'espace, pétrit le son de sa gestique élégante que servent des mains d'une fascinante souplesse (démonstration dans l'extrait vidéo ci-dessus). Sa direction d'une méticuleuse rigueur demeure fluide, sensible et poétique, telle un faisceau de lumière. Immatérielles, phosphorescentes, les voix tournoient, gravitent et planent pour bâtir une impressionnante muraille sonore : de leur plastique, que louer le plus ? Une science comme innée de la progression dynamique, de la précision miraculeusement dosée - du déploiement le plus naturel. Mieux, Warynski abolit toute notion de temps, subjuguant sans la moindre redite un public conquis.

La soirée n'en paraît que trop courte, mais au regard de l'extrême complexité des gemmes prodiguées, c'est un péché véniel. Que reviennent vite Les Métaboles pour nous chanter l'intégralité de ces Vêpres !


(1) Pour être juste, la veillée fut... russo-polono-estono-ukrainienne, de par la présence de pièces de Krzysztof Penderecki, Arvo Pärt et Dimitri Tchesnokov...
(2) Du même Schnittke, pourquoi pas une réminiscence du Concerto pour Chœur ?
‣ Pièce à l'écoute recommandée : Blagoslovi dushe Moya Gospoda, Klara Korkan (alto), Chœur d'État de Russie, dir. : Aleksander Sveshnikov, © Melodyia.
 Étienne Müller
Paris, Chapelle Jésus Enfant, dimanche 29 janvier 2012 & Église des Billettes, mercredi 1° février 2012 - Alfred Schnittke : Trois Chants Sacrés -Arvo Pärt : Magnificat pour chœur mixte - Krzysztof Penderecki :
Requiem Polonais, Agnus Dei -Dimitri Tchesnokov : Ave Maria (création) - Gyorgy Sviridov : Trois Miniatures -
Sergueï Rachmaninov : Vêpres (extraits).  
 Ensemble vocal Les Métaboles, Alto soliste : Camille Merckx - Sopranos : Karine Abiven, Doriane Bier, Constance Gabillet, Elsa Pelaquier, Cécile Pierrot, Lorraine Tisserant, Agathe Trébucq, Julie Werth - Altos : Jessy Caruana, Angela Di Lella, Bénédicte Guery, Magali Hochet, Anne Langlois, Célia Ragueneau, Guilhem Terrail - Ténors : Rémi Aguirre Zubiri, Jo Cadilhon, Nicolas Chévrier, Alexis Daugeras, Bruno De Sousa, Vincent Labonne, Sylvain Lamesh, Kenji Oka - Basses : Côme Berbain, Kevin Courriol, Thibaut Eguether, Romain Mastier, Christophe Menez, Guillaume Olry, Michael Pinsker, Antoine Puibaraud - Direction : Léo Warynski.
À consulter avec profit, le site des Métaboles. Crédits iconographiques : Léo Warynski, © non précisé - Vidéo de la chaîne YouTube des Métaboles -
Sergueï Rachmaninov, date non précisée.