Nǐ hǎo les humains, Mǐ hǎo les p’tits chats
Ca y est, c’est parti pour le 14ème Festival du Film Asiatique de Deauville, et je suis sur place pour couvrir l’évènement.
Enfin… Je devrais dire NOUS sommes sur place pour couvrir l’évènement.
Parce que je dois me coltiner mon rédac’chef pendant tout le festival. Oui, Boustoune me servira de chaperon. Merci du cadeau…
Pfff…. Tout ça parce que j’ai eu le malheur de lui demander de payer l’acompte pour l’hôtel que j’avais réservé, le Normandy. Il a fait des bonds en voyant le prix de la Suite Deluxe Mer dans laquelle je me voyais bien me prélasser après une dure journée de labeur à voir les films. Puis il s’est mis en rogne, m’a copieusement sermonné. Et nianiania je suis irresponsable, et nianiania, Angles de vue n’a pas les moyens de payer un tel palace, et nianiania de toute façon, on a besoin que d’une chambre toute simple pour y dormir, car le but est de voir les films et de rédiger les critiques…
Ben justement, ai-je rétorqué, pour faire de beaux résumés, de belles critiques, il faut être frais et dispos, être dans des conditions optimales. Nous autres félins connaissons l’importance du sommeil et avons besoin de notre petit confort. Le Normandy, il est à deux pas du CID, c’est pratique… Avec ses colombages, il est typique du charme normand. Et comme c’est un hôtel de standing, on est sûrs de pouvoir être bien reçus.
Mais comme d’habitude, Boustoune n’a pas cherché à entendre mes arguments. Il a refusé catégoriquement et m’a sorti son ultime argument : de toute façon, les chats ne sont pas admis dans les hôtels (1). Ah! Ca, c’est un truc qui m’énerve. Les animaux sont toujours traités comme des parias. On nous refuse tout : pas le droit aux restaus, pas le droit aux hôtels, pas le droit de conduire des bolides comme Ryan Gosling dans Drive… Oh! Je ne vais quand même pas dormir dehors !?! Surtout que l’air marin, certes vivifiant, n’est pas très recommandé pour le soyeux de mon poil.
Finalement, le big boss m’a “royalement” accordé d’être “logé chez l’habitant”. Comprenez une petite place dans les écuries près de l’hippodrome, à côté d’un cheval nommé Homme (2). Ca tombe bien, j’ai de la sympathie pour les canassons depuis que j’ai vu Cheval de guerre. Mais bon, même si mon logeur n’a rien d’un mauvais cheval, je suis loin du confort qu’exigerait mon rang de chat de salles obscures.
Voyant que je râlais un peu, il a jugé plus prudent de m’accompagner, au cas où je commettrai quelques impairs. Evidemment lui est logé à l’hôtel. Pas au Normandy, certes. Mais quand même…
Cela dit, c’est une bonne chose qu’il vienne aussi.
Comme ça, on pourra se répartir le travail. Pour lui les films art & essai un peu “chiants”, pour moi les films de la sélection Action Asia – vous me connaissez, je suis plus du genre remuant - les hommages et les avant-premières et tout ce qui tourne autour du festival, pour alimenter mes chroniques quotidiennes au coeur du festival.
C’est bon. J’ai eu mon accréditation presse. Là encore, récupérer mon badge n’a pas été chose aisée. Parce que les gorilles à l’entrée du CID ne voulaient pas me croire quand je leur disais que j’étais critique de cinéma – c’est vrai que ce n’est pas courant chez les félins.
J’ai dû sortir le grand jeu et prouver ma connaissance du cinéma asiatique en effectuant une démonstration de kung-fu Chat-Olin. Genre Tigre et Dragon, réunis en un seul et même animal. Ah! Je les ai impressionnés les gars. J’aurais pu les atomiser d’une pichenette féline, ces grands gaillards, mais bon, j’ai retenu mes coups. Force et maîtrise de soi, ce sont les préceptes de base des arts martiaux et c’est ainsi que l’on avance sur le chemin lumineux de la sagesse Chat-Olin.
Le chemin lumineux, c’est un peu celui qu’empruntent les protagonistes du film d’ouverture, justement nommé The Sun-beaten path (le chemin brûlé par le soleil).
Ce premier long-métrage du cinéaste tibétain Sonthar Gyal tourne autour de la rencontre entre deux hommes de retour de pèlerinage à Lhassa. Le premier est un jeune homme étrange, dépressif et peu sociable, qui préfère rentrer chez lui à pied à travers les étendues désertiques plutôt qu’en car, moyen de transport “trop rapide” à son goût. Le second est un vieillard jovial qui, inquiet pour le garçon, décide de faire la route avec lui…
Le cinéaste, qui a fait le déplacement à Deauville avec son producteur, Li Xing, a présenté son oeuvre en précisant “ce n’est pas un film d’action, il n’y a pas de jolies filles dedans, mais j’y ai mis du coeur et des choses très personnelles”.
Pas d’action, pas de minettes et en compétition officielle… Parfait, c’est pour Boustoune, qui vous en parlera mieux que moi dans son compte-rendu, à la fin du festival. Hé hé…
Ah oui, mais de quoi je vais vous parler, moi, du coup? Qu’il pleut, qu’il y a du vent, qu’il fait froid, bref, un vrai temps de chien… Hé, je ne suis pas présentateur météo, moi…
Je peux quand même vous dire deux mots de la cérémonie d’ouverture, très sobre, sans ces discours interminables qui plombent certains festivals.
L’excellent David Rault en a une fois de plus assuré l’animation. Avec Boustoune, on tient à dire qu’on est franchement fans de ce gars, qui sait animer les débats à la perfection, en allant toujours à l’essentiel, et traduisant vite et bien les propos des invités, et qui est un véritable homme de culture : amateur de cinéma, de bande-dessinée, d’art en général, photographe (l’expo “Inventaire” au festival de la bande-dessinée d’Angoulême 2009, c’était lui), réalisateur, critique, enseignant en typographie et directeur d’une collection d’ouvrages sur le même sujet, graphiste, créateur de packagings et webdesigner… Tout ça pour un seul homme, franchement chapeau bas! (3)
Le Maire de Deauville, Philippe Augier, et le Président du Festival, Lionel Chouchan, se sont succédé sur scène, pour saluer une sélection 2012 très diversifiée de par les nationalités représentées, avec notamment deux films iraniens en compétition, et se féliciter de la longévité du festival (je cite la phrase rigolote de Monsieur Chouchan : “Quatorze ans pour un chien, c’est énorme, mais quatorze ans pour un festival, c’est pas mal”. Enfin, moi en tant que chat, je trouve ça drôle…)
Ils ont aussi tous deux eu une pensée pour le peuple japonais, qui il y a un an, en plein pendant la 13ème édition du festival, subissait un terrible séisme suivi d’un tsunami dévastateur, qui a conduit aux non moins terribles problèmes de fuite dans la centrale nucléaire de Fukushima.
Il y a eu également la présentation du jury officiel, présidé par Elia Suleiman. Vous me connaissez, je suis parfois un peu fanfaron, mais là, je me suis senti tout petit face à ce grand bonhomme du septième art, auteur de chefs d’oeuvres comme Intervention divine ou Le Temps qu’il reste. Oui, j’ai beau faire le malin avec mes arts martiaux – je ne sais pas si j’aurais eu le courage de sauter à la perche par-dessus le mur de séparation entre Israël et la Bande de Gaza comme il le fait dans son dernier film.
J’ai eu l’occasion de le croiser lors du cocktail d’ouverture, après la séance, mais je n’ai pu que balbutier quelques miaulements admiratifs.
Ah oui, d’ailleurs, le cocktail était très bien. A défaut de pouvoir loger au Normandy, j’ai au moins pu profiter du Ciro’s, un autre des fleurons du groupe Barrière (4). Quel régal pour les papilles, en plus du plaisir de pouvoir côtoyer des artistes que l’on aime bien dans ces colonnes : Dominique Blanc, Corinne Masiero (l’héroïne du très bon Louise Wimmer, notre coup de coeur de ce début d’année) ou Tahar Rahim, notre prophète préféré.
Je me suis délecté de coquilles Saint-Jacques, de foie gras aux abricots, de côte de boeuf fondante sauce béarnaise, de petits fours en tout genre, le tout arrosé d’un délicieux champ… hips…agne.
Oui, bon, j’imagine bien que ça ne vous passionne pas trop le détail de mon menu du jour. Mais bon, c’est ça aussi le journalisme de terrain. Ce sont les coulisses du festival qu’on vous dévoile, là, les amis. Ca vaut bien que l’on se sacrifie… hips… Tenez, j’ai même un scoop : Elia Suleiman apprécie le champagne autant que moi… hips… mais il sait rester sobre et digne en toutes circonstances, lui… hips…
Bon, faut que je vous laisse. Je vais retrouver mon Homme sweet home et cuver pour être en forme pour la première grosse journée de projections. Au programme de Boustoune, les trois films en compétition, au mien, la rétrospective Kiyoshi Kurosawa et le premier film de la section Action Asia… hips…
Pleins de ron-hips-rons et chat-yonara,
Scaramouche
스카라무슈 (en coréen)
スカラムーシュ (en japonais)
美人如玉剑如虹 (en chinois)
(1) : Et en plus, j’ai vu que ce n’est même pas vrai… Dans les hôtels du groupe Barrière, les animaux sont admis, moyennant un supplément. Quel menteur et quel radin, ce Boustoune!
(2) : Une référence à Un homme nommé Cheval, pour les amateurs de westerns…
(3) : http://www.davidrault.com/
(4) : Le Ciro’s – Promenade des Planches – 14800 Deauville