Les caractères de la politique (6) : Carla Bruni, la Marie-Antoinette #noussommesdesgensmodestes

Publié le 07 mars 2012 par Variae

« Nous sommes des gens modestes ! ». C’est le cri du cœur de Carla Bruni, épouse Sarkozy, accompagnant son président de « mon mari » sur le plateau de Des Paroles Et Des Actes. Re-contextualisons. Le début de l’émission se fait sur les fautes symboliques de début de mandat du président sortant, Fouquet’s, yacht Bolloré et tutti quanti. Un journaliste du Monde a pu se faufiler dans la loge de la première dame et suivre ses réactions en direct. Elle prend, fort logiquement, fait et cause pour son présidentiel conjoint, jusqu’à cette protestation rapportée de façon gourmande par le quotidien du soir, et qui fait depuis les délices du web : « Nous sommes des gens modestes ».

« Modeste » n’est pas une catégorie fiscale définie par la loi. Certes. Mais les mots ont une signification, et des connotations. Modeste n’est pas simple. La simplicité exprime un mode de vie, la modestie (dans ce sens) un niveau de revenu. On peut être riche, ou pauvre, et vivre simplement. Mais il ne viendrait à l’idée de personne de dire de quelqu’un de riche, qu’il a des revenus « modestes ». De deux choses l’une : soit Carla Bruni parle mal français, ce qui est fort peu probable ; soit ce n’est pas un défaut de langue, mais bien d’échelle des valeurs, qui explique sa curieuse sortie. Ce qui est un tantinet plus problématique

Un article du Figaro de 2008 – source non bolchévique et donc plutôt fiable en la matière – estimait le patrimoine de la première dame à 18,7 millions d’euros. Le patrimoine moyen d’un ménage en France est de 150 000 euros, moyenne cachant de fortes disparités (moins de 10 000 euros pour un ouvrier non qualifié !). Estimer qu’une fortune personnelle – sans prendre en compte les biens de Nicolas Sarkozyplus de cent fois supérieure à la fortune « moyenne » d’un ménage français fait de vous une Française modeste, c’est avoir un grave problème de perception de la réalité sociale de son pays. Distorsion qui prend encore plus de poids, et de caractère choquant, en période de crise et de chômage de masse.

Carla Bruni n’est pas la première à « faire le job » maladroitement pour contrer l’image bling bling du président. Estrosi, il y a peu, tentait de repeindre le Fouquet’s en « brasserie populaire », tandis que le fidèle Guéant se lamente à présent sur la « vie d’une austérité extrême » du président des riches. Ces deux commentaires relèvent de manière si évidente de la grossière propagande qu’ils en deviennent plus grotesques que choquants. A contrario, c’est l’impression de naturel et de sincérité qui émane de la phrase volée de Carla Bruni, telle qu’on nous la rapporte, qui crée le malaise. Dans l’intimité, elle pense réellement appartenir à la catégorie des Français modestes. Que connaît-elle, que comprend-elle du quotidien de ses concitoyens ? Est-elle à ce point coupée du monde extérieur aux arrondissements dorés de l’Ouest parisien ?

On voit ainsi se dessiner un cocktail explosif que les communicants de Nicolas Sarkozy feraient bien de surveiller de près. Compagne très en vue + ayant exercé des métiers considérés comme frivoles + s’engageant nettement dans la campagne + suspectée de mœurs dispendieuses + révélant une inconscience globale de sa situation, et de la perception que peuvent en avoir les Français. Ce profil correspond à celui d’une figure honnie de l’histoire de France et du folklore républicain : Marie-Antoinette.

Le problème n’est pas d’être riche, ou de vivre de manière aisée. Le problème est de ne pas se rendre compte de sa situation privilégiée, et de le dire en toute ingénuité. C’est le propre de la Marie-Antoinette, à la différence, par exemple, d’un flambeur provocateur (Gainsbourg brûlant un billet de banque) ou d’un Tartuffe se faisant passer pour pauvre sans l’être. Le flambeur et le Tartuffe ont ceci de commun avec « les gens » qu’ils connaissent tous deux la valeur de l’argent, le Tartuffe l’instrumentalisant tandis que le flambeur la transgresse à dessein. La Marie-Antoinette, elle, avoue sans même s’en rendre compte qu’elle appartient à un autre système de valeurs, et donc à un autre monde, que le nôtre.

Dans une période où la tolérance envers les privilèges et les inégalités est à son plus bas, il n’y a probablement pas de façon plus directe pour devenir une tête de Turc honnie. Et ruiner les laborieux efforts présidentiels de déblingblingisation.

Romain Pigenel

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