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Publié le 07 mars 2012 par Hoplite

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" (...) Lorsqu'il fait face à une production intérieure de pétrole insuffisante, un pays industrialisé n'a que deux choix :

1) Importer du pétrole.

2) S'effondrer.

Mais lorsqu'elle fait face à une production globale de pétrole insuffisante, une planète industrialisé n'a qu'un choix : le choix numéro deux.

Certains pourraient soutenir qu'il y ait un troisième choix : commencer tout de suite d'utiliser moins de pétrole. Cependant, en pratique, cela s'avère être l'équivalent du choix numéro deux. Utiliser moins de pétrole implique de faire des changements radicaux, souvent technologiquement difficiles, politiquement impopulaires, et par conséquent coûteux et consommateurs de temps. Cela peut-être aussi technologiquement avancé (et irréaliste) que de remplacer le parc actuel de véhicules motorisés par des véhicules sur batteries et un grand nombre de centrales nucléaires pour recharger leurs batteries, ou aussi simple (et tout à fait réaliste) que de déménager dans un lieu à distance de marche ou de bicyclette de son travail, de faire pousser la plus grande part de sa nourriture dans un jardin potager et un poulailler, et ainsi de suite. Mais quelles que soient ces étapes, elles requièrent toutes une certaine quantité de préparations et de dépenses, et une époque de crise (telle que le moment où l'approvisionnement en pétrole manque) est un moment notoirement difficile pour se lancer dans la planification d'activités à long terme. Au moment où la crise arrive, soit un pays s'est déjà préparé autant qu'il le pouvait ou le voulait (retardant ainsi la survenue de l'effondrement), soit il ne l'a pas fait, attirant la crise plus tôt, et la rendant plus sévère. Le rapport Hirsch, souvent cité, affirme qu'il faudrait vingt ans pour se préparer au pic pétrolier, de façon à éviter une pénurie sévère et prolongée de carburants de transport, et donc, étant donné que le pic a eu lieu en 2005, nous avons maintenant moins vingt-cinq ans à glandouiller avant de devoir commencer à se préparer. D'après Hirsch et compagnie, nous avons déjà échoué à nous préparer.

Certains pourraient aussi se demander pourquoi une pénurie de pétrole devrait automatiquement entraîner un effondrement. Il s'avère que, dans une économie industrialisée, une baisse de la consommation de pétrole provoque une baisse proportionnelle de l'ensemble de l'activité économique. Le pétrole est la matière première utilisée pour fabriquer la grande majorité des carburants de transport — qui sont utilisés pour transporter les produits et livrer les services à travers toute l'économie. Aux États-Unis en particulier, il y a une forte corrélation entre le produit intérieur brut et le kilométrage parcouru par les véhicules motorisés. Par conséquent, on peut dire de l'économie américaine qu'elle marche au pétrole, d'une façon plutôt directe et immédiate : moins de pétrole implique une économie plus petite. À quel point l'économie se contracte-t-elle tant qu'elle ne peut plus satisfaire ses propres besoins de maintenance ? Afin de continuer à fonctionner, toute sorte d'infrastructure, d'usine et d'équipement doit être entretenue et remplacée en temps et en heure, ou elle cesse de fonctionner. Une fois que ce point est atteint, l'activité économique devient contrainte non seulement par la disponibilité des carburants de transport, mais aussi par la disponibilité de l'équipement utilisable. À un certain point l'économie se contracte tant qu'elle invalide les hypothèses financières sur lesquelles elle est basée, rendant impossible de continuer d'importer du pétrole à crédit. Une fois que ce point est atteint, la quantité de carburant de transport disponible n'est plus limitée seulement par la disponibilité du pétrole, mais elle est aussi contrainte par l'incapacité de financer les importations de pétrole.

La pénurie initiale de carburant de transport n'a pas besoin d'être grande pour déclencher toute cette cascade d'événements, car même une petite pénurie déclenche un certain nombre de bouclages économiquement destructifs. Beaucoup de carburant est gaspillé en faisant la queue aux quelques stations-service qui demeurent ouvertes. Davantage de carburant est gaspillé en faisant le plein — garder le réservoir aussi rempli que possible, ne sachant pas quand et où l'on pourra le remplir à nouveau. Encore plus de carburant disparaît du marché parce que les gens l'accumulent dans des jerrycans et des récipients improvisés. À mesure que les pénuries se prolongent et se répandent, le carburant est accumulé, et un marché noir se développe : le carburant détourné des canaux de livraison officiels et siphonné des réservoirs devient disponible sur le marché noir a des prix gonflés. Et ainsi l'effet d'une pénurie initiale même mineure peut facilement faire boule de neige en une perturbation économique suffisante pour pousser l'économie au delà des seuils physiques et financiers et vers l'effondrement.

Si à ce point vous commencez à vous sentir découragé, alors — je suis désolé de devoir le dire, mais vous devez être une petite nature, parce qu'il y a davantage — bien davantage à envisager. Le scénario rose du pic pétrolier peut avoir l'air joli, mais même une rose a ses épines. Et il y a un certain nombre d'autres questions qui doivent être considérées et prises en compte dans une vision intégrée unique.

Premièrement, le profil de la production globale post-pic pétrolier dans le scénario rose est basé sur des réserves estimées qui ont été exagérées. Une grande partie du pétrole restant est au Moyen-Orient, dans les pays de l'OPEP, et ces pays ont exagéré leurs réserves de grandes et variables quantités durant la guerre des quotas de l'OPEP, dans les années 1980. Pendant que d'autres membres de l'OPEP cuisinaient honteusement des chiffres bidons qui semblaient vaguement réels, Saddam Hussein, qui avait toujours été un peu frimeur, arrondissait les réserves irakiennes jusqu'à un joli chiffre rond : cent milliards de barils. Et ainsi les réserves de l'OPEP se trouvèrent gonflées d'une grande quantité — environ un tiers au minimum. L'OPEP n'est pas non plus la seule a exagérer ses réserves estimées. Les compagnies d'énergies aux États-Unis jouent à peu près le même jeu afin de satisfaire Wall Street. Mettez de côté vos chaussons de salle de bain ; pour négocier la pente descendante du pic pétrolier vous aurez besoin d'un bon équipement d'alpinisme.

Deuxièmement, il y a un phénomène appelé effet des pays exportateurs : les pays exportateurs, quand leur production commence à faiblir, ont une forte tendance à réduire les exportations avant de réduire la consommation intérieure. Certainement, il y a des pays qui ont abandonné la souveraineté sur leurs ressources aux compagnies d'énergie internationales et ont perdu le contrôle de leur politique d'exportation. Il y a aussi des régimes despotiques qui n'affament leurs consommateurs domestiques que pour continuer à gagner les revenus de l'exportation nécessaires au soutien du régime. Mais la plupart des régimes n'exporteront que leur production en surplus. Cela signifie qu'il deviendra impossible d'acheter du pétrole internationalement longtemps avant que tous les puits soient à sec, laissant choir les pays importateurs de pétrole. Par conséquent, si vous vivez dans un pays importateur de pétrole et pensiez pouvoir négocier la pente descendante du pic pétrolier dans vos chaussures de randonnée, mettez-les de côté. Vous aurez besoin d'un parachute.

Troisièmement, bien que les quantités totales de pétrole produites à travers le monde se soient accrues jusqu'en 2005, les quantités de produits pétroliers (essence, gazole, etc.) livrées à leur point d'utilisation ont atteint leur pic plus tôt, en terme d'énergie utilisable dérivée. Cela parce que de plus en plus d'énergie est requise pour tirer du sol un baril de pétrole et pour le raffiner. La production de pétrole brut disponible tend à devenir plus difficile à extraire, plus lourde et plus chargée en soufre, et cela plus la demande croissante d'essence (par opposition aux distillats ou au mazout) avec moins de plomb pour doper l'octane revient à gaspiller davantage d'énergie. Le taux de retour énergétique (EROEI) est passé de cent pour un à l'aube de l'âge du pétrole, quand quelques gars costauds pouvaient vous creuser un puits de pétrole en utilisant des pelles et des pioches, à dix pour un, maintenant que la production pétrolière nécessite des plates-formes en eaux profondes (qui parfois explosent et empoisonnent des écosystèmes entiers), du forage horizontal et de la technologie de fracturation, de la récupération secondaire et tertiaire en utilisant de l'injection d'eau et d'azote, des usines de séparation de l'eau et du pétrole, et toutes sortes d'autres complexités techniques qui consomment de plus en plus de l'énergie qu'elles produisent. À mesure que l'EROEI décroît de dix pour un vers un pour un, l'industrie pétrolière en vient à ressembler à une nourrice obèse mais avide suçant voracement son propre sein au chevet d'un enfant affamé. À un certain point il ne sera plus économiquement possible de livrer du gazole ou de l'essence à une station-service. Quand ce moment viendra n'est pas certain, mais il y a des indices que trois pour un est l'EROEI minimum dont l'industrie pétrolière a besoin pour se maintenir. L'effet de l'EROEI décroissant est de rendre la douce pente du scénario rose beaucoup plus raide. La pente ne ressemble plus à un monticule de cailloux — plutôt à de la lave coulant dans la mer et se solidifiant dans un nuage de vapeur. Il reste peut-être beaucoup d'énergie, mais une grande partie va partir en fumée, et vous risquez ne pas pouvoir vous approcher assez pour y rôtir votre guimauve.

Quatrièmement, nous devons considérer le fait que notre industrie pétrolière moderne globale est hautement intégrée. Si vous avez besoin d'une certaine pièce spécialisée pour vos opérations de forage, il y a des chances que vous ne puissiez vous la procurer que par une ou deux sociétés globales. Il y a des chances que cette société ait des opérations très importantes et hautement techniques dans un pays qui se trouve justement être un importateur de pétrole. L'importance de cela devient claire quand on considère ce qui arrive aux opérations de cette société une fois que l'effet des pays exportateurs se fait sentir. Supposez que vous soyez une compagnie pétrolière nationale dans un pays riche en pétrole qui a encore assez de pétrole pour sa consommation intérieure, bien qu'elle ait été récemment forcée de renvoyer tous ces clients internationaux. Vos champs pétrolifères sont immenses mais parvenus à maturité, et vous ne pouvez les garder en production qu'en forant de nouveaux puits horizontaux juste au dessus du niveau d'eau toujours montant et en maintenant la pression dans le puits en injectant de l'eau de mer en dessous. Si vous arrêtez ou interrompez seulement cette activité, alors votre pétrole, à la tête du puits, va rapidement changer de composition, de pétrole contenant un peu d'eau à eau contenant un peu de pétrole, que vous pourriez tout aussi bien repomper dans le sol. Et maintenant il s'avère que l'équipement dont vous avez besoin pour continuer à forer des puits horizontaux provient de l'un de ces pays malchanceux qui importaient votre pétrole mais ne peuvent plus à présent, et que les techniciens qui construisaient votre équipement ont cessé d'essayer de trouver assez d'essence au marché noir pour conduire jusqu'au travail et sont occupés à bêcher leur jardin de banlieue pour y faire pousser des patates. Peu de temps après, vos opérations de forage tombent à cours de pièces détachées, votre production de pétrole s'effondre, et la plupart de vos réserves restantes sont laissées sous terre, contribuant à une catégorie de réserves de plus en plus importante : les réserves qui ne produiront jamais.

Lorsque ces quatre facteurs sont considérés ensemble, il devient difficile d'imaginer que la production globale de pétrole puisse doucement glisser depuis une imposante hauteur en une courbe lisse et gracieuse s'étendant sur plusieurs décennies. L'image qui se présente est plutôt celle d'un déclin en marches d'escalier se produisant dans de plus en plus d'endroits, et comprenant finalement toute la planète. Qui que vous soyez, et où que vous soyez, vous le ressentirez probablement comme un processus en trois étapes :

Étape 1 : Vous avez votre niveau d'accès actuel aux carburants de transports et aux services.

Étape 2 : Vous avez un niveau d'accès aux carburants de transports et aux services sévèrement limité.

Étape 3 : Vous n'avez pas accès aux carburants de transports et vos choix de transport sont sévèrement restreints.

La durée de l'étape 2 variera d'un endroit à l'autre. Certains endroits pourraient passer directement à l'étape 3 : les camions-citerne cessent de venir dans votre ville, toutes les stations-service ferment, et c'est tout. À d'autres endroits, un marché noir prospère pourrait donner accès à l'essence pour quelques années de plus, à des prix qui permettront certains usages, tels que faire tourner un générateur électrique dans un centre d'urgence. Mais votre capacité de vous débrouiller avec succès à l'étape 2, et de survivre à l'étape 3, sera largement déterminée par les changements et préparatifs que vous serez capable de faire durant l'étape 1.

On devrait s'attendre à ce que la grande majorité des gens n'aient rien fait pour se préparer, demeurant tout à fait ignorants du fait que c'est quelque chose qu'ils auraient dû faire. On peut s'attendre à ce qu'un bon nombre de gens aient fait quelques petits pas dans une direction judicieuse, tels qu'installer un poêle à bois, ou isoler leur maison, ou dans une direction apparemment judicieuse mais finalement inutile, tels que gaspiller leur argent dans une nouvelle voiture hybride ou leur énergie en essayant de former un nouveau parti politique ou d'influencer l'un de ceux qui existent. Certains achèteront une fermette, l'équiperont pour une vie en site isolé18, commenceront de faire pousser leur propre nourriture (peut-être en transportant leurs surplus périssables jusqu'à un marché proche en cargo-vélo19 ou en bateau), et d'instruire leurs enfants à la maison, en insistant sur les classiques et sur l'agriculture, l'élevage et autres connaissances durablement utiles. Certains fuiront vers un lieu où les carburants de transport sont déjà rares, et où une mobylette est considérée comme un moyen d'économiser du travail — à son âne ou à son chameau.

Malheureusement, il est difficile de prévoir quels changements et adaptations réussiront et lesquels échoueront, car il y a tant qui dépend des circonstances, lesquelles sont assurément imprévisibles et varient d'un endroit à un autre, et selon la personne ou les personnes impliquées : l'incertitude est simplement trop grande. Mais il y a une chose dont nous pouvons être tout à fait certains : le scénario rose du pic pétrolier, qui projette un déclin long et graduel de la production globale de pétrole, est absurde. Connaître ce fait devrait communiquer un sentiment d'urgence. Que nous utilisions ce sentiment d'urgence stupidement ou avec sagesse dépend de nous, et notre succès sera peut-être une question de chance, mais avoir un sentiment d'urgence n'est pas du tout mauvais. Si nous souhaitons nous préparer, nous avons très probablement plusieurs mois, nous avons peut-être quelques années, mais nous n'avons certainement pas quelques décennies. Que ceux qui voudraient vous faire croire autre chose considère d'abord les points que j'ai soulevé dans cet article.

Orlov/source


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