Le terme de forfait fiscal est d'ailleurs erroné, mais il est entré sous ce vocable dans le langage courant. En réalité il convient de préciser qu'il s'agit d'un régime d'imposition basé non pas sur les revenus et la fortune, mais sur la dépense.
Ce régime a fait son apparition au XIXe siècle, précisément en 1862, dans le canton de Vaud. C'était un moyen astucieux d'imposer les richissimes Anglais venus passer leurs derniers beaux jours sur la riviera vaudoise en leur otant tout souci de déclaration fiscale dans leur pays d'origine et en leur offrant des conditions fiscales avantageuses.
Ce régime a été adopté par la suite dans d'autres cantons en Suisse et dans d'autres pays que la Suisse, tels que la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas ou l'Autriche. Il est un instrument de la concurrence fiscale qui contribue à rendre les Etats moins gourmands. Ce qui ne peut être qu'une bonne chose, parce qu'ils sont décidément bien insatiables depuis qu'ils sont devenus des Etats-Providence...
Aujourd'hui, même si le forfait fiscal risque, en Suisse, d'être bien moins avantageux, donc bien moins attractif, il devrait être encore un bon motif d'évasion fiscale pour tous ceux qui sont riches et qui sont excédés de voir une grande partie du travail de toute une vie, ou leur héritage, confisquer par des Etats mal gérés et perclus de dettes, ou d'être ostracisés dans leur pays tout simplement parce qu'ils sont riches.
Tout le monde est gagnant avec ce régime :
- les cantons touristiques qui accueillent ces évadés d'enfers fiscaux et qui perçoivent des impôts qu'ils n'auraient jamais perçus autrement, permettant dans le même temps de diminuer la charge des contribuables autochtones;
- les acteurs économiques de ces cantons qui profitent des dépenses faites par les forfaitaires;
- et, bien sûr, les forfaitaires eux-mêmes qui sont respectés ici parce qu'ils sont riches, ce qui les change de l'opprobre dont ils font l'objet chez eux.
La perspective de l'élection à la présidence française de François Hollande, qui, entre autres, veut introduire une tranche d'imposition à 75%, pour les revenus supérieurs à un million d'euros par an, favorise déjà la tentation du vote avec les pieds d'un certain nombre de riches Français, retraités et même actifs. Ces Français savent fort bien qu'ils sont dans le collimateur de François II du seul fait qu'ils sont riches, donc coupables à ses yeux, comme ils le sont aux yeux de nombre de Français.
Les nombreux Français qui approuvent ce racket fiscal, sont pour la plupart des bénéficiaires de l'Etat-Providence français, et ne comprennent pas que les plus riches d'entre leurs concitoyens ne paient pas davantage d'impôts alors que la crise sévit et frappe les plus pauvres. Ils sont tenaillés par ce péché capital qu'est l'envie et font bien souvent partie de la clientèle électorale du candidat socialiste.
Pour bénéficier d'un forfait fiscal en Suisse il faut actuellement :
- ne pas avoir résidé en Suisse pendant les 10 ans qui précèdent la prise de résidence et la demande de bénéficier de ce régime;
- ne pas percevoir de revenus d'une activité lucrative en Suisse;
- être détenteur d'un passeport de l'Union européenne sans condition d'âge ou être un étranger âgé d'au moins 55 ans.
En 2010, les forfaitaires sont au nombre de 5'545 en Suisse, parmi lesquels environ 2'000 Français, et les recettes fiscales que les cantons perçoivent s'élèvent au total à 668 millions de francs, dont 204 sont destinés à la Confédération et 165 aux communes.
Les forfaitaires se trouvent pour la plupart dans les canton de Vaud (1'397), Genève (690), Tessin (776) et Valais (1162) et les recettes fiscales que les cantons en question en retirent, sont respectivement, au total, de 229, 156, 74 et 61 millions de francs.
Jusqu'à présent le minimum de revenu imposable annuel pour bénéficier d'un forfait fiscal variait suivant les cantons : par exemple 180'000 francs dans le canton du Valais ou 120'000 francs pour un célibataire (150'000 francs pour un couple) dans le canton de Vaud.
Désormais, si le Conseil national suit le vote d'hier du Conseil des Etats, il faudra disposer d'un revenu imposable annuel minimal de 400'000 francs pour bénéficier d'un forfait fiscal pour ce qui concerne l'impôt fédéral direct.
La Confédération escompterait voir ses recettes passer de 204 millions à 284 millions, soit 40% d'augmentation ! La ministre des finances, et présidente de la Confédération, Eveline Widmer-Schlumpf, [dont la photo provient d'ici] tablerait même sur 100% d'augmentation ! En admettant que les forfaitaires ne s'envolent pas vers des cieux fiscaux plus cléments...
Le forfait fiscal est calculé aujourd'hui sur la base d'une dépense minimale égale à cinq fois le loyer ou la valeur locative du logement occupé ou à deux fois le prix de l'hébergement et de la nourriture si le forfaitaire séjourne à l'hôtel. Ces facteurs passeraient à sept et à trois respectivement si le vote du Conseil des Etats d'hier était confirmé par le Conseil national.
Ces nouvelles règles s'appliqueraient aux nouveaux venus, mais également, progressivement, au bout d'une période transitoire de cinq ans, aux actuels forfaitaires, qui seront ravis d'apprendre que la Suisse n'est pas plus sûre que les autres pays en matière fiscale... et que des augmentations rétroactives d'impôts peuvent changer la donne.
Pour les plus riches d'entre les bénéficiaires actuels, le nouveau régime, destiné à complaire à la gauche et à contrecarrer une initiative lancée par certains de ses membres, pourrait encore être intéressant. Mais ils pourraient aussi, plus facilement que les autres forfaitaires, aller voir ailleurs si c'est moins coûteux...
Cela dit, rien n'est joué et il n'est pas du tout assuré que ce nouveau régime d'imposition sur la dépense passe la rampe du Conseil national, où, pour des raisons diamétralement opposées, le PS et l'UDC pourraient l'empêcher de voir le jour. Ce qui ne m'affligerait pas le moins du monde...
Francis Richard