SYRIE – Du fantasme alaouite au surréalisme onusien (article précédé d'interviews filmées en Syrie, en décembre et janvier 2011-2012 - A la rencontre de l'autre « peuple syrien »)

Publié le 02 mars 2012 par Pierrepiccinin

Syrie - Du fantasme alaouite au surréalisme onusien (CounterPunch, 6 mars 2012)

Cet article est précédé d'interviews filmées, réalisées en Syrie, en décembre et janvier 2011-2012 - A la rencontre de l'autre «peuple syrien»

Homs, 29 décembre 2011 - manifestation pro-Assad © photo Pierre PICCININ

par Pierre PICCININ, en Syrie, décembre - janvier 2011/2012 

  

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A la rencontre de l'autre « peuple syrien »

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AVERTISSEMENT

Les documents audiovisuels qui suivent, réalisés en Syrie, en décembre et janvier 2011-2012, présentent principalement le point de vue de partisans du gouvernement syrien.

La presse occidentale, en effet, depuis le début des événements, a adopté une attitude des plus partiales, en répercutant invariablement la version des différents mouvements de l'opposition, sans jamais donner la parole aux Syriens, bien que très nombreux, qui soutiennent le président Bashar al-Assad.

De même, les médias occidentaux ont fait le choix rédactionnel d'ignorer les données fournies par le Ministère de l'Information syrien et les sites de "réinformation" ouverts pas ce dernier (Sana - InfoSyrie), alors que ces mêmes médias diffusent de manière inconditionnelle les données en provenance des Observatoires syriens des Droits de l'Homme (OSDH 1 - OSDH 2), dont les liens directs avec l'opposition et le travail de désinformation ont pourtant été bien établis (Syrie : désinformation massive).

Il est ainsi rapidement devenu très difficile de proposer aux médias mainstream des articles à contre-courrant, presque systématiquement refusés; et ce même lorsqu'ils émanent de personnes s'étant rendues sur le terrain et témoignant de la réalité des événements. Les rédactions se sont en effet enfermées dans un discours manichéen qui ne tolère pas la moindre contradiction : la contestation, longtemps présentée comme "pacifique", ne peut-être le fait que d'un soulèvement du "peuple syrien" contre la féroce "dictature alaouite".

La motivation de ma démarche a donc été, très logiquement, de me mettre à l'écoute de l'autre "peuple syrien".

Cela dit, mon objectif était de donner la parole à tous les protagonistes de la crise syrienne. J'ai dès lors réalisé plusieurs entretiens au sein de l'opposition, à Homs et à Hama. Pour des raisons de sécurité, je n’ai pas emporté ces documents en quittant ces villes; je les ai confié aux dirigeants de l'opposition que j'avais rencontré et interviewés.

Hama - 30 décembre 2011  

Les responsables de la contestation à Hama m’ont informé de difficultés techniques temporaires qui ont retardé l’envoi des images ; les images de Hama seront accessibles sur cette page si nous les recevons.

Les rebelles de Homs ont quant à eux choisi de ne pas diffuser les entretiens réalisés.

Pierre PICCININ 

Le soutien à Bashar al-Assad

L'inquiétude des Chrétiens de Syrie

La bataille médiatique : Al-Jazeera et l'OSDH

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[photo : à Hama, avec les manifestants]

Plus d’un an après le début des troubles qui meurtrissent la Syrie dans la foulée du « Printemps arabe », le gouvernement baathiste demeure bien en selle et la majeure partie du pays reste calme, comme insensible aux mouvements d’une opposition écartelée, localisée dans les villes de Homs et de Hama et dans les agglomérations frontalières de la Turquie et du Liban, en proie aux attaques régulières de groupuscules salafistes d’une extrême violence et, surtout, de l’Armée syrienne libre, gonflée d’éléments étrangers, qataris et libyens, et entraînée à la guérilla urbaine par l’armée française, dans les camps de réfugiés qui lui servent de bases arrière.

Comment expliquer cette résistance du régime, somme toute presqu’à l’aise face à ce qui, pourtant, est généralement présenté en termes de « révolution populaire déferlante » qui serait bien décidée à renverser la « dictature alaouite » sur tout l’appareil politique et économique de la Syrie, chasse gardée de cette communauté, qui représente à peine plus de 10% de la population syrienne ?

C’est que, peut-être, l’équation ne se pose pas en ces termes simplistes.

En effet, le patchwork communautaire et confessionnel syrien, d’une part, est loin de serrer les rangs contre les Alaouites qui, d’autre part, ne monopolisent nullement le pouvoir.

Ainsi, dans les années 1980’ déjà, lorsqu’Hafez al-Assad, le père du président actuel, Bashar, et l’auteur du « coup d’État alaouite » avait connu de graves problèmes de santé, il avait désigné un directoire de six membres pour assurer le gouvernement du pays. Tous les six étaient sunnites.

De même, les premiers ministres successifs du gouvernement de Bashar al-Assad sont des sunnites, tout comme le sont, par exemple, les ministres de la Défense, des Finances et du Pétrole et le chef des différents corps de police et des services secrets, autant de postes-clefs qui ne dépendent donc pas des Alaouites. Les communautés druze, chrétienne, chiite et kurde sont également représentées dans le gouvernement.

On comprendra, dès lors, que l’opposition reste minoritaire et trouve plus d’appui à l’extérieur des frontières qu’au sein même de la population syrienne.

D’où l’assurance de la Russie (et de la Chine), soucieuse de préserver sa dernière carte maîtresse dans le jeu moyen-oriental et refusant opiniâtrement de souscrire à une résolution par laquelle le Conseil de Sécurité des Nations unies autoriserait, en Syrie, une action similaire à celle qui a entraîné la mort de dizaine de milliers de civils en Libye, lors de la destruction de la ville de Syrte, notamment (crimes de guerre atlantistes, au sujet desquels Moscou a demandé la constitution d’une commission d’enquête onusienne).

D’une part, en effet, l’ONU n’a ni pour objet, ni le droit, de décider ni de la nature du gouvernement d’un État souverain, ni de l’identité de son chef d’État ; ce qui rend le texte déposé devant le Conseil de Sécurité par la Ligue arabe, qui demande le départ du président Bashar al-Assad, texte poussé par le Qatar et vivement soutenu par la France, contraire aux principes élémentaires du droit international et dès lors complètement surréaliste.

D’autre part, si le régime baathiste est dictatorial et brutal, en face, plusieurs des composantes de l’opposition le sont également : l’opposition est très divisée et constituée de groupes aux objectifs très différents, ne représentant pas nécessairement la population syrienne ; on relèvera l’exemple des factions islamistes radicales, qui massacrent leurs adversaires et commettent des atrocités indicibles (mutilations, décapitations, enlèvements…) contre ceux, militaires mais aussi civils, qui refusent de les appuyer dans leur combat. C’est pourquoi la Russie exige que, si résolution onusienne il doit y avoir, elle ne s’applique pas aux seules forces gouvernementales, mais également à toutes ces factions qui usent de la violence, y compris celles qui reçoivent un appui de l’étranger, et notoirement de la France et du Qatar.

Il apparaît ainsi que, du fantasme alaouite au surréalisme onusien, la Syrie virtuelle des mass-médias n’a sans aucun doute pas grand-chose de commun avec la réalité du terrain.

Lien(s) utile(s) : CounterPunch. 

Lire aussi :

- SYRIE - Désinformation massive.

- SYRIE – La « révolution » impossible (témoignage et analyse).

- SYRIE / LIBYE - Entretien avec Pierre Piccinin : «une intervention en Syrie pourrait déclencher un embrasement généralisé de la région».

- SYRIE - Propagande et média-mensonges, autant en emporte le vent...

- SYRIE – Mensonges et manipulations.

Et Fabrice BALANCHE, Qui sont les Syriens qui soutiennent encore Bashar el-Assad?, Atlantico, 10 février 2012.

English version :

Syria – From the Alawite fantasy to the surrealism of the United Nations

More than a year after civil unrest broke out and plunged part of Syria into the chaos of the ‘Arab Spring’, the Baath government remains firmly in control and the majority of the country is calm; almost untouched by an opposition which is scattered and confined to the cities of Homs and Hama, as well as a few towns on the Turkish and Lebanese border. The main reported cases of unrest are linked to regular attacks from Salafist bands which are of an extremely violent nature and more importantly, the Free Syrian Army. The latter counts amid its ranks numerous Qataris and Libyans, all whom have been trained in the art of urban guerilla warfare by the French army in refugee camps, which provide perfect bases from which to operate and orchestrate attacks.

How can one explain the resilience of this regime? A regime which is more or less in complete control despite facing what is usually described as a “revolutionary populist uprising”? One which is determined to overthrow the “Alawite dictatorship” from the political and economic realms of Syrian society, the so-called privilege of the Alawi, a community which accounts for no more than about 10% of the population?

Perhaps it is because the reality does not correspond to this over simplified equation.

Indeed, the communitarian and religious Syrian patchwork is far from closing ranks on the Alawi population. Moreover, this group, do not in fact monopolize the political landscape.

Therefore, even back in the 1980s, when Hafez Al-Assad, father of the incumbent president, Bashir, and author of the “Alawi coup d’état”, succumbed to serious health issues, he had designed a directorate of six members to run the Syrian government - All six were Sunnis.

Furthermore, all the prime ministers who have served in Bashir Al-Assad’s government have been Sunnis. Similarly key positions including the Ministers of Defence, Finance and Oil and the heads of the numerous police corps and the secret service do not depend on the Alawi community. The Druze, Christian, Shiite and Kurd minorities also benefit from governmental representation.

This would explain why the opposition is a fractious minority whose support base lies outside Syria’s borders rather than at the heart of the population.

In these circumstances it is understandable that Russia (and China), treading carefully in order to preserve her last card in the Middle East, resolutely opposes the pressure to sign up to the latest United Nations Security Council resolution. This would undoubtedly lead Syria into a scenario similar to Libya, where tens of thousands of civilians would perish as during the destruction of Sirte (and Russia has asked for there to be a UN commission to investigate these Atlantic war crimes).

The most striking element is this whole situation is that the UN has neither the right nor the objective, to decide the nature of a sovereign government, less still the identity of its head of state; meaning that the text proposed to the Security Council by the Arab league, calling for the departure of President Bashir Al-Assad, a text supported by Qatar with substantial French backing, is directly opposed to the basic principles of international law and completely surreal.

Furthermore, if the Baath regime is dictatorial and brutal, so are numerous factions of the opposition: an opposition which is seriously divided and made up of groups with conflicting objectives, none of which necessarily represent the Syrian population; for on the one hand there are the radical Islamic factions, who massacre their opponents and commit atrocities against the military (kidnappings, mutilations, decapitations…) but also civilians who refuse to support their objectives. This is why Russia has demanded that any UN resolution must be applied not only to the government forces but to all factions resorting to violence, including those supported by foreign states, specifically France and Qatar.

It would therefore seem that from an Alawite fantasy to the surrealism of the United Nations, Syria as depicted by the mass media certainly bears very little resemblance to the reality of the actual situation.

© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en mentionner la source (www.pierrepiccinin.eu).