Politique, religion et… internet
Ce dernier épisode a animé la chronique internationale à la mi-février, mais a commencé le 4 février dernier, date du Mouled (l’anniversaire de la naissance du Prophète Mohammed). Ce jour-là, Hamza Kashgari, reporteur saoudien de 23 ans travaillant au quotidien Al-Bilad, a publié sur son compte Twitter des messages forts concernant son rapport avec la religion [1].
Ces tweetts ont rapidement reçu environ 30 000 commentaires de personnes qui se sont senties gravement touchées : les plus radicaux sont aussi arrivés à demander la tête du journaliste. Ironiquement, les « tweets blasphématoires » ont été durement contesté par un groupe de Facebook (comptant 20 000 personnes) appelé « Le peuple saoudien réclame l'exécution de Hamza Kashgari ». Le journaliste a réagi à tout cela en exprimant très tôt ses excuses pour ses affirmations, en se disant repenti et demandant le « pardon de Dieu et des gens pour son péché » : il a finalement supprimé sestweets.
Cette affaire a fourni aux autorités saoudiennes la chance de montrer leur force aux yeux des citoyens et, en même temps, de consolider leur légitimation politique.
Elles n’ont pas accepté les excuses de Kashgari et, en suivant la vague d’indignation de la population, ont décidé d’intervenir en appliquant à la lettre la loi, en accusant le journaliste d’apostasie - crime passible de peine de mort. On rappelle qu’un comité de religieux a émis une fatwa contre lui. En outre, le cheikh Nasser al-Omar (personnalité très influente) a demandé personnellement le procès pour apostasie. Pour le journal online SABQ, le roi en personne a émis un mandat d'arrêt contre Kashgari.
Au vu de la situation, le journaliste a fui en Malaisie prévoyant de se refugier en Nouvelle Zélande, mais il a été arrêté par les autorités malaysiennes et extradé en Arabie. Il est intéressant noter qu’entre les deux pays il n’y a pas de traité d’extradition, même s’il y a des « rapports cordiaux ». Les pressions des ONGs Amnesty International et Human Rights Watch pour interdire l’extradition [2] n’ont servi à rien.
La religion au service de la politique, la politique au service de l’argent
On est face à un cas typique d’usage politique de la religion. Le gouvernement saoudien tire sa force de la légitimation religieuse : les autorités ont réussi à rester en place, résistant à la vague du Printemps Arabe, en instaurant un régime répressif fondé sur l’application littérale d’une lecture radicale de l’Islam, qui a maintenu l’évolution sociale au temps du Moyen-âge. Le message de paix de la religion en sort déformé, dans un série de diktats imposés par la force : la répression violente et non proportionnelle au crime est à l’ordre du jour. Poursuivre Kashgari sera, pour les autorités, un acte exemplaire, pour « inviter » les autres citoyens à se taire.
L’affaire Kashgari n’est pas un cas isolé : en Arabie saoudite la peine de mort (par décapitation ou lapidation, dans les cas d’adultère) est pratique commune. Nombreux sont les délits qui mènent à cette condamnation, comme l’apostasie, le blasphème, la sorcellerie et l’homosexualité – sans compter les délits concernant les violences à la personne.
Trait d’union entre les différentes condamnations : le silence des pays occidentaux, qui continuent à ne faire aucune pression pour le progrès en Arabie. La raison est simple à comprendre : déranger un si grand pays pétrolier fortement lié avec les puissances occidentales dans de nombreux cadres de l’économie et de la géopolitique n’est pas considéré comme… économiquement rationnel. L’Arabie est trop utile en ce moment, et donc ses partenaires « démocratiques » n’optent pas pour des pressions officielles. Le combat pour la promotion des droits est soutenu seulement de l’extérieur par les ONGs, mais la situation sur le territoire est très difficile : les chances de s’opposer sont minimes, et grâce au contrôle de l’information et à l’ostracisme à l’encontre des « subversifs », la population ne réussit pas à prendre conscience de la situation. Il faut faire une triste considération : l’Arabie a toutes les cartes en main pour rester une forteresse de l’autoritarisme religieux, où l’élite riche et radicale, soutenue par les puissances étrangères, étouffe la libre pensée et les droits fondamentaux.
Rappelons enfin que Hamza Kashgari, probablement, ne voulait (et ne veut) pas devenir un martyr : il est seulement un jeune homme qui veut vivre dans un régime plus démocratique et réfléchir publiquement à son rapport avec la Foi. L’Arabie, en traitant cet épisode comme une « grave crise », faillit à la fois comme État (au sens moderne du terme) et comme force authentiquement islamique, vu sa tendance à profiter de la religion à des fins politiques et de contrôle de ses citoyens.
Giuliano Luongo est un économioste de l’Université Federico II à Naples et analyste sur www.UnMondeLibre.org.
[1] Comme cela est rapporté dans cet article sur Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2667p046.xml0/facebook-condamnation-malaisie-journalisteen-arabie-saoudite-on-ne-blogue-pas-avec-le-prophete.html
[2] L’hypothèse de l’implication d’Interpol dans cette arrestation a été démentie par Interpol.