René Dosière est député apparenté PS de l’Aisne. Après « L’Argent caché de l’Élysée », il explore le train de vie de l’État dans « L’Argent de l’État. Un député mène l’enquête » : un dossier conséquent sur les dérives d’un système qui génère toujours plus de dépenses publiques. Interview.
Propos recueillis par Pierre Bergerault.
Un article publié en collaboration avec Le Cri du Contribuable.
La dépense élyséenne la plus scandaleuse a été le sommet de l’Union pour la Méditerranée, le 13 juillet 2008, puisque nous avons eu pour cette journée, une dépense globale de 16 millions € qui n’a pratiquement servi à rien.
S’il y a eu ce coût, c’est tout simplement parce qu’on a tout décidé au dernier moment. On n’avait plus le temps d’effectuer les appels d’offres et de mettre les entreprises en concurrence. C’est l’exemple caricatural d’un mauvais usage des fonds publics. Le principe de la conférence pouvait être intéressant, réunir des chefs d’État coûte nécessairement. Cela fait partie du rôle international de la France.
Mais on l’a fait dans les plus mauvaises conditions. Pour trois heures de conférence, la minute est revenue à 58 000 euros. Le diner a coûté 7 000 € par personne. Incroyable et scandaleux !
Vous menez vos enquêtes sur l’Élysée depuis 2002. Votre livre en fait le bilan. Qu’avez-vous obtenu de concret dans le sens d’une réduction des dépenses ?
Le budget de l’Élysée présentait une opacité totale, personne n’avait connaissance du budget du chef de l’État ce qui est extraordinaire compte tenu de son rôle. Il était financé par une dotation que votait le Parlement, de l’ordre de 35 millions d’euros en 2007 et par tous les ministères à hauteur de 60 à 70 millions d’euros.
Le fait de révéler ce mode de financement, a conduit le président de la République, à unifier son budget. Nous ne savions pas comment était utilisé cet argent. Nous y voyons désormais plus clair.
Le Président a alors demandé à la Cour des comptes de venir faire un contrôle. Ainsi, tous les ans, la Cour analyse la régularité des dépenses de l’Élysée. Elle n’a pas à se prononcer sur l’opportunité de celles-ci puisque ce n’est pas son rôle. En revanche, elle peut relever l’absence d’appels d’offres et autre défauts.
Grâce à tout cela, des économies ont été réalisées. Mon action a permis de réaliser 10 millions d’euros d’économies par an, c’est un début…
Vous décrivez en détail l’expansionnisme immobilier de l’Élysée, avec ces hôtels particuliers près de la Présidence qui semblent avoir été réquisitionnés. Était-ce utile et bien nécessaire ?
À partir du moment où il y a davantage de collaborateurs à l’Élysée, il faut bien des endroits pour les faire accueillir. Progressivement, au fil des présidences de la République, les effectifs ont augmenté, encore que, nous n’avons pas d’éléments très précis pour les anciens présidents. De ce point de vue-là, mon travail servira plutôt pour l’avenir comme point de comparaison.
Il est encore difficile de répondre à la question : le budget de la Présidence est-il trop élevé ? Il faut relativiser le montant de cette dépense qui représente une journée des intérêts que la France paye à cause de son endettement.
Donc ce n’est pas à l’Élysée que nous pouvons faire les économies les plus importantes sur le plan quantitatif. Mais leur exemplarité est considérable du point du vue symbolique. Et les symboles ont leur importance…
Si François Hollande était élu président de la République, réduirait-il les dépenses de l’Élysée ? Et quelles coupes budgétaires lui conseilleriez-vous ?
François Hollande a déjà annoncé qu’il réduirait la rémunération du président de la République. En prenant cet exemple, je pense qu’il voulait souligner qu’il exercerait une présidence plus modeste. C’est sur l’ensemble des dépenses élyséennes qu’il faut réduire les coûts de 30%. Il s’est qualifié lui-même de Président normal, à l’image des Français. Il faut souligner qu’il n’a pas le même rapport à l’argent que le Président actuel.
Cependant il reste une clarification à faire, entre dépenses publiques et privées. À partir du moment où le Président a fait voter le montant de sa rémunération par le Parlement, on doit pouvoir différencier les dépenses dues au statut de Président avec les dépenses privées.
Nicolas Sarkozy a pris l’habitude de rembourser une petite partie des dépenses (15 000 euros par an). Mais la frontière entre dépenses publiques et privées reste assez floue. Il conviendrait que toute dépense engagée à l’intérieur de l’appartement privé (électricité, chauffage, nourriture) soit assumée par le Président.
Y a-t-il des informations que vous n’avez pas publiées ?
Non pas du tout. J’ai publié la quasi-totalité des informations que j’ai obtenues. J’ai eu certaines difficultés à en obtenir certaines, il a fallu être patient et obstiné car parfois la réponse qu’on m’avait fournie était incomplète. Malgré les efforts réalisés à l’Élysée, nous n’avons pas encore la culture de la transparence. Ça devrait venir avec le temps.
Faut-il poursuivre la révision générale des politiques publiques (RGPP)?
La RGPP vise à rationaliser la dépense publique. Vouloir optimiser la dépense dans le fonctionnement de l’administration n’est pas une idée nouvelle.
On voit à la lecture du rapport de la commission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée, dont je suis membre, que la mise en place de cette politique a été brutale. Elle a été décidée d’en haut et appliquée sur le terrain de façon mécanique. Elle se fait sans l’adhésion des personnels.
La Cour des comptes a fait apparaître que cette révision génère peu d’économies (200 millions par an). Les économies réalisées par le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, dont le caractère systématique est contestable, sont mangées par ailleurs. Les administrations locales réutilisent les sommes qui leur sont rendues pour faire face à d’autres dépenses.
Comment réaliser des économies dans tous les ministères et spécialement à l’Éducation nationale ?
Il faut avoir en permanence le souci du meilleur usage de l’argent public. Mais la règle ne peut être purement financière. Nous devons garder à l’esprit l’amélioration du service public. La finalité de l’administration est d’assurer aux Français le service public dans un accès égal et dans des conditions optimales.
Dans le privé, nous demandons aux salariés quelles sont leurs idées, dans le public, le dialogue social est limité par une hiérarchie pesante. On ne pourra pas faire des économies dans l’administration si on n’associe pas les personnels. Si on ne le fait pas, on a des économies qui sont marginales.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de réformes de structures?
S’agissant des collectivités locales, on a deux types de structures qui exercent pratiquement les mêmes compétences sur le même territoire : les communes et l’intercommunalité. Ce système de doublons représente une masse financière importante (130 milliards d’euros cumulés). Cette dépense évolue plus vite que la production de richesse.
Si nous mutualisions davantage les actions de la commune et de l’intercommunalité, et si nous procédions à l’élection (au suffrage universel) de cette dernière, nous pourrions, compte tenu des masses financières, réaliser une économie de l’ordre de 10 à 13 milliards d’euros à terme. Tout en maintenant la qualité des prestations.
Êtes-vous pour ou contre la suppression d’un échelon de collectivité (département, région) ?
En modifiant le fonctionnement et les compétences des communes, nous avons alors une intercommunalité élue et qui englobe les communes. On crée alors une commune nouvelle, la commune du XXIe siècle qui bénéficie de plus de moyens. Elle pourra alors exercer un certain nombre de responsabilités propres aux conseils généraux. À partir de là, nous arrivons à un processus qui conduit à la suppression du Conseil général dans ses formes actuelles.
Rapportée à l’échelle des 65 millions de Français, les Allemands dépensent 150 milliards d’euros de moins que nous pour leur sphère publique. Doit-on s’inspirer d’eux ?
Je conteste votre comparaison. Les rapprochements d’un pays à un autre, en matière de dépenses publiques dépendent aussi de la manière dont les prestations sont effectuées. Il y a un certain nombre de tâches qui, en France, sont réalisées par des gens qui ont la qualité de fonctionnaire et qui, en Allemagne, n’ont pas cette qualité.
La France est un des pays où la dépense publique est élevée. Mais tout cela correspond à des services qui sont donnés. Si la France a mieux résisté à la crise économique que d’autres pays, c’est bien parce qu’il y a cet ensemble de prestations que nous n’avons pas diminué fondamentalement et qui permet aux gens de mieux supporter la crise. Le fait d’avoir une sphère publique qui fonctionne bien est l’assurance du développement économique.
Si l’on paye et forme mal les agents des impôts, ils risquent de succomber à la corruption. Chez nous, les cas de corruption sont tout à fait marginaux [la France est classée au 25e rang sur 183 de l’indice de perception de la corruption du secteur public, ndlr]. Ça ne veut pas dire que l’on ne doit pas optimiser le fonctionnement des services publics.
Dernière question, Monsieur le député, ne pensez-vous pas que l’on puisse supprimer les sous-préfectures qui n’ont plus aucune mission spécifique ?
La Cour des comptes a soulevé cet aspect dans son dernier rapport. Ce n’est pas une question taboue, elle mérite d’être posée. Mais on ne peut pas y répondre par oui ou par non. Il y a un certain nombre de zones où la présence de l’État s’effectue par l’intermédiaire du sous-préfet. Nous pourrions en supprimer quelques-unes.
Il faut s’interroger sur le rôle de cet échelon et dans quelles conditions il peut remplir sa mission. À partir de ce moment-là, nous pouvons en déterminer le maintien ou la suppression.
La philosophie du Cri du Contribuable, que je conteste, est de dire que tout ce qui est dépense publique est financé par l’impôt, et que donc, il faut la diminuer.
J’ai un attachement au service public parce qu’il a un intérêt mais il faut mettre fin aux abus. Je ne raisonne pas uniquement en termes financiers. Pour moi, l’impôt est aussi un élément de redistribution des richesses, c’est une philosophie différente de la vôtre…
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Sur le web
Interview réalisée à l’Assemblée nationale le 22 février 2012.
« L’Argent de l’Etat. Un député mène l’enquête » de René Dosière, éditions du Seuil- 302 pages, 19,50 € .