Alexis Pelletier (anthologie permanente)

Par Florence Trocmé

Tu m’arrêtes 
tu arrêtes le mot en moi 
tu préviens ou redouble l’interrogation qui 
est dans tous les mots et qui se formule ainsi 
de quoi on cause dans ce monde 
où le roman triomphe 
où la notice nécrologique par exemple 
de tous les présidents de la république 
est invariablement la même 
et c’était un personnage romanesque 
et qu’est-ce en effet que ça vient foutre 
dans le poème et comment autoriser 
ces moments si peu contrôlés 
dans l’écriture ces à-plats où 
aucune catharsis n’est possible 
voilà voilà je t’entends me reprocher 
ce gros mot 
 
Un poème démuni sans toi 
 
Et c’est parfois difficile de rire dans la langue 
certains se l’interdisent et peut-être ont-ils raison 
d’autres ne le peuvent plus parce que quelque chose 
est coincé dans la vie 
et pour d’autres encore c’est de coinçage qu’ils ricanent 
notre époque est au ricanement 
j’aimerais un côté hyène en moi 
sans les sous-vêtements léopards bien sûr 
 
Et Lucien de dire à trois ans 
tu ne me comprends pas dans mon cœur 
c’est-à-dire ce que la langue dit tous les jours 
à celles et ceux qui l’écoutent 
et qui marchent en elle en aveugle 
comme Beethoven et Smetana purent écrire 
de la musique en n’entendant rien du monde 
 
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le cœur des mots le cœur des notes le vol des oiseaux 
ça ne fait pas lourd pour prendre le monde 
et c’est quoi ce fantasme 
je suis un berceau qu’une main balance 
avec Ravel ou Stravinsky 
cette constance à écrire avec de la musique 
dans la tête 
quoique cette expression même 
ne dise rien 
et que ces cœurs n’en déplaise 
à la vieille femme si apaisante qui m’écoutait 
lire à Perros-Guirec jeudi 19 juillet 2007 
soient vides le plus souvent.  
 
Il faudra trouver l’actualité du poème 
y a-t-il vraiment quelqu’un pour la dire 
pas moi c’est sûr 
ce sera d’être contre ce vide 
exactement là où le cœur des mots 
comme celui des notes ne le sont pas 
ou encore dans le plein du vide 
et les chœurs d’entonner une fugue à six voix 
sur le mot zen que je ne connais pas 
 
L’embêtant c’est la posture et notre époque 
est passée maîtresse pour en créer 
par exemple celle de l’ouverture 
ou de la valeur travail 
n’avait-on pas cassé autrefois 
quelque bastille pour moins qu’une 
marionnette allant se faire des lignes 
une semaine dans la jet-set aux States 
et claquant plus d’oseille en sept jours 
que combien en un an 
 
ça vrille dans ton ventre le dégoût 
et ça pue la merde sur toutes les télés du monde 
tu parles d’un poème toi 
mieux vaudrait m’en tenir à la fugue à six voix 
avec papa Bach au clavecin quelle offrande 
pour l’époque et ça se jouera dans les siècles 
des siècles sans amen le poème l’interdit 
 
Et de te dresser aussitôt pour un questionnement 
du monde et de moi 
comment ça s’affirme tout cela 
comment dis-moi si c’est possible.  
 
Alexis Pelletier, quelque chose, suivi de quel effacement, L’Escampette, 2012, pp. 22 à 25.  
 
Alexis Pelletier dans Poezibao : 
bio-bibliographie, 51 partitions de Dominique Lemaître (par A. Emaz), extraits 1