Tu m’arrêtes
tu arrêtes le mot en moi
tu préviens ou redouble l’interrogation qui
est dans tous les mots et qui se formule ainsi
de quoi on cause dans ce monde
où le roman triomphe
où la notice nécrologique par exemple
de tous les présidents de la république
est invariablement la même
et c’était un personnage romanesque
et qu’est-ce en effet que ça vient foutre
dans le poème et comment autoriser
ces moments si peu contrôlés
dans l’écriture ces à-plats où
aucune catharsis n’est possible
voilà voilà je t’entends me reprocher
ce gros mot
Un poème démuni sans toi
Et c’est parfois difficile de rire dans la langue
certains se l’interdisent et peut-être ont-ils raison
d’autres ne le peuvent plus parce que quelque chose
est coincé dans la vie
et pour d’autres encore c’est de coinçage qu’ils ricanent
notre époque est au ricanement
j’aimerais un côté hyène en moi
sans les sous-vêtements léopards bien sûr
Et Lucien de dire à trois ans
tu ne me comprends pas dans mon cœur
c’est-à-dire ce que la langue dit tous les jours
à celles et ceux qui l’écoutent
et qui marchent en elle en aveugle
comme Beethoven et Smetana purent écrire
de la musique en n’entendant rien du monde
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le cœur des mots le cœur des notes le vol des oiseaux
ça ne fait pas lourd pour prendre le monde
et c’est quoi ce fantasme
je suis un berceau qu’une main balance
avec Ravel ou Stravinsky
cette constance à écrire avec de la musique
dans la tête
quoique cette expression même
ne dise rien
et que ces cœurs n’en déplaise
à la vieille femme si apaisante qui m’écoutait
lire à Perros-Guirec jeudi 19 juillet 2007
soient vides le plus souvent.
Il faudra trouver l’actualité du poème
y a-t-il vraiment quelqu’un pour la dire
pas moi c’est sûr
ce sera d’être contre ce vide
exactement là où le cœur des mots
comme celui des notes ne le sont pas
ou encore dans le plein du vide
et les chœurs d’entonner une fugue à six voix
sur le mot zen que je ne connais pas
L’embêtant c’est la posture et notre époque
est passée maîtresse pour en créer
par exemple celle de l’ouverture
ou de la valeur travail
n’avait-on pas cassé autrefois
quelque bastille pour moins qu’une
marionnette allant se faire des lignes
une semaine dans la jet-set aux States
et claquant plus d’oseille en sept jours
que combien en un an
ça vrille dans ton ventre le dégoût
et ça pue la merde sur toutes les télés du monde
tu parles d’un poème toi
mieux vaudrait m’en tenir à la fugue à six voix
avec papa Bach au clavecin quelle offrande
pour l’époque et ça se jouera dans les siècles
des siècles sans amen le poème l’interdit
Et de te dresser aussitôt pour un questionnement
du monde et de moi
comment ça s’affirme tout cela
comment dis-moi si c’est possible.
Alexis Pelletier, quelque chose, suivi de quel effacement, L’Escampette, 2012, pp. 22 à 25.
Alexis Pelletier dans Poezibao :
bio-bibliographie, 51 partitions de Dominique Lemaître (par A. Emaz), extraits 1