On ne comprend plus rien.
C’est au sortir d’une discussion où une journaliste d’un des premiers news magazine français où, parlant du bouleversement occasionné par les nouvelles technologies dans son secteur, me lâcha cette phrase, que je me suis dit qu’en tant qu’acteur de cette révolution, il n’était peut-être pas vain d’exposer notre vision.
L’âge d’or
Il y a pour les médias écrits traditionnels – la presse quotidienne et magazine – un avant et un après Internet.
L’avant, je le qualifierai de préhistoire. Ou d’âge d’or, tant il paraît loin et mythique. La clientèle était régulière et captive par la rareté de l’offre ; le modèle économique était rentable et diversifié, et le secteur était protégé par la loi et son intensité capitalistique. Et puis il y avait l’orgueil d’être un des piliers de la démocratie. Et la jouissance trouble de ces effluves de haine et d’envie que suscite le pouvoir.
Il avait bien fallu faire de la place à la radio, puis à la télévision, mais le jeu était toujours le même, la main un peu moins bonne, voilà tout.
Internet an zéro
S’agissant des médias écrits, trois vagues se dressèrent et s’abattirent, et continuent de s’abattre, bouleversant le paysage : acteurs, économie, culture, société…
Les sites Web
Mais l’inflation galopante du nombre de sites entraînait une baisse du revenu moyen par page Web que seule une course à l’audience pouvait enrayer.
Cette vague de sites Web a favorisé la rapide montée en puissance d’intermédiaires capable de les filtrer pour le grand public : les annuaires (Yahoo!), les portails (AOL, Yahoo!) et les moteurs de recherche (Altavista, Google, Yahoo!…). C’étaient les nouveaux faiseurs de rois.
User Generated Content
La première, à la fin des années 1990, avec Geocities, en son temmps le 3e site le plus visité au monde, racheté par Yahoo! 2,7 milliards d’euros. (En France, c’était Multimania, racheté par Lycos 222 millions d’euros.) Le service était de permettre à tout le monde d’avoir sa page Web sans programmation ni graphisme.
Elle culmina une deuxième fois au milieu des années 2000 avec les blogs. Blogger, un des pionniers, a été racheté par Google, LiveJournal par SixApart, etc.
Dans les deux cas, les revenus pour les plates-formes provenaient de la publicité et, quant aux producteurs de contenu, ils ne touchaient rien du tout.
L’iPhone
- il était désormais possible de surfer aisément sur le Web avec un appareil mobile
- l’iTunes Store (avec en particulier l’App Store), qui conditionna les utilisateurs à payer le numérique.
Beaucoup d’éditeurs traditionnels se sont jetés sur cette vague et ont proposé à la vente leurs contenus. Mais cette planche de salut fut surtout… une planche à billets pour Apple : la firme captait 30% du montant des transactions et mettait au secret les données clients. (Aujourd’hui, microsoft">microsoft">microsoft">microsoft">microsoft">le business de l’iPhone est supérieur à Microsoft tout entier !)
Quant au user generated content, il profitait toujours aussi peu à ses auteurs. L’iPad, lancé début 2010, ne fit qu’accuser cela.
Et pendant ce temps, l’inflation galopante des contenus, non plus seulement écrits depuis le Web 2.0 (Flickr, YouTube, etc.), renforçait le poids des intermédiaires existants et en suscitait de nouveaux : réseaux sociaux, sites de curation, etc.
Show me the money
Ce qui frappe dans ce tableau brossé à grands traits, c’est l’incapacité des médias écrits, ancien et nouveaux, à se soutenir économiquement ; et ce dès le départ.
Bien sûr, il y a des exceptions : certains blogueurs gagnent bien leur vie, certains sites médias rencontrent un très gros succès, comme le Huffington Post, certains médias écrits prospèrent, comme The Economist ou The Financial Times, des médias d’un nouveau genre comme Demand Media explosent, etc. Mais ce sont des exceptions, des ornithorynques.
Un à un, les remparts de l’industrie traditionnelle des médias écrits tombent ; mais les nouveaux médias n’ont pas recrée d’industrie, juste quelques châtelets, ici et là, tout au plus.
Au-delà du défi économique, il y a un défi politique. Point de démocratie non pas sans liberté de parole mais sans parole libre. Or un média incapable de se soutenir économiquement est un média dépendant de l’argent qui se trouve dans d’autres mains que celles de ses lecteurs ; des lecteurs qui sont des électeurs et des consommateurs…
Conclusion
Voilà à mon avis le défi majeur que doivent relever les entrepreneurs opérant dans le business du contenu : fournir le modèle économique qui va faire exister les nouveaux médias. Créer une industrie puissante, florissante, indépendante et mondiale. Défi herculéen, mais qui, s’il venait à être relevé, dégagerait une des plus grosses opportunités jamais connues sur Internet.