J'ai vu récemment deux documentaires impressionnants sur le statut social et les droits civiques des femmes. A voir si vous en avez l'occasion. Et dites-nous ce que vous en aurez pensé dans les commentaires.
Mais cela m'a aussi rappelé un échange virtuel d'il y a quelques temps entre deux gens vraiment très bien: la neurobiologiste Catherine Vidal et notre collègue neurogénéticien Yvan Rodriguez.
L'une soutenait que: "en ce qui concerne les fonctions cognitives, comme le raisonnement, la mémoire ou le langage, il y a une telle diversité que les différences entre les individus sont plus grandes que les différences entre les sexes. D’un point de vue anatomique aussi: en regardant un cerveau, il est impossible de dire s’il appartient à un homme ou à une femme."
L'autre rétorquait que: "Les mécanismes de la sélection naturelle ont produit des espèces représentées chacune par deux sexes génétiquement dissemblables." Je m'empresse de préciser que c'était une opposition purement scientifique. Pas de désaccord aucun sur la légitimité de l'égalité entre les personnes. Ici, la phrase suivante était d'ailleurs: "Ce qui se traduit par des individus différents, complémentaires et égaux, dont l’égalité n’est pas conditionnée à l’absence de différences."
Ce qui est intéressant dans cet échange n'est donc pas une différence de point de vue politique ou éthique. Sur un point crucial, et qui valait à lui seul déjà sa réaction, le Prof. Rodriguez a parfaitement raison. Il n'y a pas de lien entre l'existence ou non d'une différence biologique et la justification ou non d'une différence de statut social. Et il est important de ne pas l'oublier. Lorsque ce point passe à la trappe, cela ne donne pas que des images simplistes. Cela peut aussi déclencher des mélanges toxiques où une description politiquement déterminée de la réalité scientifique peut supplanter la description...réelle. Non. Les deux auteurs parlent bel et bien de la structure et des origines de notre cerveau, et non pas de comment il faut en traiter les détenteurs. Mais alors, qui a raison? Différence entre cerveau masculin et cerveau féminin, ou pas?
Le plus intéressant est que la réponse pourrait être...les deux. Car c'est exactement le genre de question dont on doit en fait se méfier. Pour l'illustrer, un exemple. Voyons ce qui se passe si on remplace les termes qui parlent de notre cerveau par des termes qui parlent de notre taille:
Version 1: en ce qui concerne la taille, il y a une telle diversité que les différences entre les individus sont plus grandes que les différences entre les sexes. D'un point de vue anatomique aussi: en regardant la longueur d'un corps, il est impossible de dire s'il appartient à un homme ou à une femme.
Version 2: Les mécanismes de la sélection naturelle ont produit des espèces représentées chacune de deux sexes génétiquement dissemblables.
Y a-t-il une différence entre la taille de hommes et la taille des femmes? Oui.
Si je vous dis qu'un individu mesure 1m67, êtes-vous en mesure de me dire si cet individu est un homme ou une femme? Non.
Aïe, qu'est-ce qu'il se passe?
Ce qui se cache là derrière, c'est d'abord que nous avons effectivement tendance à croire plus facilement une description du monde qui colle avec nos convictions. Une bonne partie de la démarche scientifique consiste d'ailleurs à combattre cette tendance, à laquelle notre vie quotidienne laisse trop souvent libre cours. Mais il y a autre chose: nous avons une tendance à diviser l'univers en deux. La dichotomie, l'idée que des pôles opposés définissent le monde, semble présente dans tellement de cultures qu'elle a été proposée comme l'un des universels humains. Du coup, quelque chose qui n'est pas dichotomisé, mais réparti, nous pose des difficultés. Oui, il peut à la fois y avoir des différences entre deux groupes, mais aussi tellement de différences entre les individus que c'est cela qui prime. L'image qui ouvre ce message, et qui représente la répartition de la taille chez les citoyens américains d'origine européenne entre 20 et 39 ans, illustre très bien cela. Attention, ne prenez pas ces chiffres comme s'ils s'appliquaient au cerveau, et encore moins à l'intelligence. Les courbes pour le quotient intellectuel des hommes et des femmes, par exemple, sont quasiment superposées.
Mais de toute manière peut-être bien, oui, que les deux ont raison...
Et puis oui, bien sûr, les deux ont aussi raison sur le plan politique. Si je vous dis qu'un individu mesure 1m67, vous n'êtes pas non plus en mesure de me dire si sa place est à la cuisine ou au parlement. Mais ça vous le saviez déjà, n'est-ce pas?