Le procès en appel de l’accident de 2000 s’ouvre cette semaine à Versailles.
Il n’est en aucun cas question de disserter sur l’inutilité du procès en appel de l’accident du Concorde d’Air France de juillet 2000 : dura lex, sed lex. A partir du moment où Continental Airlines, EADS et Air France, insatisfaites du verdict prononcé le 6 décembre dernier par le tribunal de grande instance de Pontoise, ont décidé de faire appel, pour des raisons évidemment différentes, la justice va continuer de suivre son cours. Et, pas plus que l’année dernière, il ne sera question au fil des audiences de sécurité aérienne dans l’acception habituelle de l’expression. En effet, on navigue désormais dans l’Histoire dans la mesure où Concorde y occupe une place particulière, depuis l’arrêt définitif des vols supersoniques en 2003. Il s’agit donc du procès en appel d’un avion au demeurant extraordinaire, mais qui repose depuis bientôt 9 ans dans les plus grands musées de l’aviation.
Le procès, et bientôt le procès en appel, ne peuvent en aucun cas susciter des leçons techniques ou opérationnelles susceptibles de faire progresser la sécurité. D’autant que la conception et les performances de Concorde ne permettent pas la moindre comparaison avec des appareils «classiques». Dans le même esprit, il est pour le moins douteux que l’on puisse tirer de quelconques leçons de l’attitude des autorités de certification, françaises et anglaises, quant au retour d’expérience dont elles ont bénéficié, notamment après un incident grave survenu à Washington-Dulles, en juin 1979, à un autre Concorde d’Air France. C’était ce qu’il est convenu d’appeler un précurseur, il a fait l’objet d’une enquête attentive, d’un rapport du National Transportation Safety Board américain, assisté par le BEA français, et a ensuite conduit à des modifications.
Comment les autorités réagiraient-elles, aujourd’hui, dans des circonstances similaires ? Peut-être autrement mais aucune réponse crédible ne peut être apportée à la question. Après coup, il est facile d’affirmer qu’il aurait fallu faire plus, autrement. De plus, un tiers de siècle plus tard, la plupart des acteurs ont disparu et, de toute manière, ils n’auraient pas apporté de complément d’information vraiment utile. Le procès en appel, qui débute à Versailles le jeudi 8 mars, va se tenir pour cause de respect de la loi, ni plus, ni moins.
Les dirigeants de Continental Airlines vont poursuivre leur tentative désespérée de s’extraire d’un véritable guêpier dans lequel ils sont enfermés, né de leur conception quelque peu aléatoire de la maintenance de leurs vénérables DC-10. Une pièce d’usure, une lamelle, avait été remplacée de façon peu orthodoxe par un chaudronnier, John Taylor, dont le superviseur n’avait apparemment pas vérifié le travail. Mais sans doute l’aurait-il approuvé, comme l’indiquent des précédents. Accusée d’homicides involontaires, la compagnie aérienne américaine s’est retrouvée au cœur d’un véritable psychodrame puis condamnée à une amende des 200.000 euros et au versement d’un million d’euros de dommages et intérêts à Air France. Mais l’argent est ici secondaire par rapport au soupçon, à l’accusation, à l’image négative. Aussi le procès en appel conduira-t-il certainement les avocats de Continental à allumer de nouveaux contrefeux. Cette fois-ci, un ancien commandant de bord Concorde de British Airways figure parmi ses conseillers.
EADS, héritier industriel de Sud-Aviation puis de la division Avions d’Aerospatiale, interjette appel parce que ce grand groupe ne tolère pas qu’une faute de négligence pèse sur les épaules d’Henri Perrier, ultime directeur du programme Concorde. Ou sur celles de Jacques Hérubel qui fut partie prenante en qualité de membre du bureau d’études de l’avionneur. Les années passant, nombre de personnes impliquées, quand elles n’ont pas disparu, souffrent aujourd’hui de problèmes de santé. C’est le cas d’Henri Perrier dont les avocats auraient l’intention de demander le report du procès. Mais cette requête pourrait être rejetée en raison de questions logistiques et d’intendance. La Cour d’appel de Versailles n’est techniquement pas en mesure d’accueillir un procès de cette ampleur et c’est au tribunal de grande instance qu’il se tiendra, dans une salle équipée, notamment, de cabines insonorisées indispensables aux interprètes.
Enfin, Air France, elle aussi, a fait appel en sa qualité de partie civile pour, dit son principal avocat, Me Fernand Garnault, pouvoir se défendre à armes égales contre Continental.
Concorde occupait depuis son lancement fin 1962, une place particulière dans la saga du transport aérien contemporain. Mais le bel avion supersonique ne méritait évidemment pas de subir cette catastrophe et moins encore de revenir encore et encore dans l’actualité, sans issue utile.
Pierre Sparaco - AeroMorning