Même si les probabilités et les sondages sont pour le moment en faveur de François Hollande, on ne peut écarter que Nicolas Sarkozy se fasse réélire. Ce serait au grand dam d’une presse et d’une intelligentsia de gauche prête à s’acoquiner avec le plus mou de leurs candidats pour le déchoir, mais encore une fois, Paris n’est pas la France et les sondages se sont souvent trompés.
J’ai bien conscience qu’en émettant l’hypothèse d’une nouvelle victoire de Sarkozy, je prends un pari d’autant plus risqué que la situation, depuis mes premières estimations, a montré une piètre évolution du candidat de la droite socialo-corporatiste. En outre, le panorama politique s’est considérablement éclairci avec la fin des primaires des Socialistes Canal Historique, et c’est donc François Hollande qui a été désigné pour les représenter dans la course à l’échalote.
Quand on voit cependant ce que ces primaires, d’une part, et l’historique du candidat lui-même d’autre part, permettent de brosser comme portrait du candidat, on persiste à penser que même le premier tour ne sera pas gagné d’avance. Si l’on y ajoute l’indécision chronique dont il fait preuve, la recherche presque compulsive d’un compromis aussi peu saillant que possible et des volte-faces stupéfiants d’impréparation, on comprend que les chances réelles du gagnant des primaires sont bien plus nuancées que ce que peuvent faire apparaître des éditos enflammés d’une presse qui lui est très majoritairement favorable, et des sondages très volatiles alors que beaucoup de Français n’ont pas encore décidé contre qui ils allaient voter.
Car ne nous leurrons pas : de nos jours, les citoyens votent au premier tour pour choisir, et au second pour éliminer. Et donc, si Sarkozy, contre toute attente, parvient à décrocher la cuillère dorée une seconde fois, la situation politique en France risque de devenir particulièrement trouble.
Nous sommes au soir du 17 juin 2012, le second tour des législatives vient d’avoir lieu. Après une campagne présidentielle dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle fut la plus lamentable en 5ème République, dans laquelle les deux principaux candidats n’en seront pas venus aux mains presqu’exclusivement pour des raisons d’agendas, les élections législatives apportent une nouvelle couche de confusion dans un pays qui n’avait absolument pas besoin de ça : le président, à peine réélu, devra donc composer avec une cohabitation.
Comme on s’en rappelle, la vague rose avait déjà débuté avec les élections régionales de 2010 qui avaient accordé une large place aux socialistes officiels, au socialistes-verts et aux communistes authentiques. Les socialo-corporatistes de droite s’étaient retrouvés réduits à la portion congrue. Pendant ce temps, la décentralisation et l’augmentation notable de l’importance des collectivités territoriales dans les cinq dernières années ont achevé d’arrimer la gauche aux départements et aux régions.
Pendant que l’État national réduisait quelque peu son périmètre, les administrations des régions et des départements, de leur côté, explosaient tous les records en matière d’embauches et de dépenses sociales, avec et sans petits-fours coûteux. La stratégie, ici, se résume à noyer les administrés dans des bains d’argent public remboursés en mensualités douloureuses dans un futur de toute façon trop lointain pour inquiéter les élus en place (et puis, le jour où il faut vraiment s’inquiéter, il n’y a qu’à imposer une décote aux méchants banquiers qui ont niaisement accepté les crédits aux collectivités, comme le propose régulièrement Bartolone, par exemple.)
Finalement, on se retrouve avec des départements, des cantons, des villes et des régions de plus en plus massivement assistées par les facilités de crédit et l’argent public, argent « gratuit » qui aura servi à créer des emplois par centaines de milliers, sans la moindre considération pour un éventuel équilibre des finances. Ici, il ne s’agit pas d’économie, il s’agit, purement et simplement, de politique politicienne, de calcul électoral : distribuer des subventions, des aides et des facilités, c’est s’assurer, d’une façon calme et sournoise, de votes favorables.
Autrement dit : non seulement la cohabitation est possible en cas de réélection sarkozienne, mais elle est en plus très probable.
Et dans cette hypothèse qui apparaît assez crédible, Sarkozy se retrouve donc à devoir piocher dans la nomenklatura socialiste de gauche pour son premier ministre. Ici, on peut imaginer sans mal qu’il ne choisira pas Hollande. Celui-ci, lamentablement battu dans notre hypothèse, n’a même pas le panache de se retirer de la vie politique et enchaîne les mollesses et les petites phrases insipides à l’instar d’une Ségolène Royal que l’exercice électoral aura définitivement grillée. De la même façon, on voit mal le président réélu choisir Strauss-Kahn.
Qui reste-t-il alors ? Martine Aubry ne semble pas avoir la carrure pour tenir ce rôle, pas plus que le frétillant gentleman farmer, Arnaud Montebourg, ou le porte parole Hamon : ces deux derniers sont trop jeunes, trop fous, trop manifestement acquis à une certaine frange alter-mondialouse.
Ici, je suis dans le flou. Valls ? Guigou ? Peillon ? On se perd en conjectures. Du reste, même dans l’hypothèse où Hollande parvient à trouver une idée fraîche l’amenant à l’Élysée (on n’est pas à l’abri d’un malentendu heureux), la question du premier ministre se posera aussi ; au moins pourra-t-il se targuer de ne pas être en cohabitation, lui…
Mais quel que soit le choix de Sarkozy à l’issu de ce funeste scrutin, la France sera dans l’impasse d’une cohabitation complètement contre-productive.
Avec des départements, des régions, un parlement, un sénat à gauche, le président sera à peu près seul, passé d’un omni-président vilipendé pour son pouvoir exorbitant à un mini-président purement accessoire. Comme Chirac en son temps, il sera là pour les frais de bouche, le décorum et les babils de Giulia. La France, elle, continuera son chemin sur les voies déjà prises d’une sociale démocratie de plus en plus sociale et de moins en moins démocrate. Les créateurs de richesses continueront à fuir, le chômage d’augmenter, et la situation générale de se dégrader.
Ce pays, décidément, est foutu.