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L’assainissement d’Abidjan : une solution superficielle

Publié le 05 mars 2012 par Copeau @Contrepoints

Ce qui a toujours prévalu en Côte d’Ivoire, ce sont les mauvaises incitations en faveur du développement de l’informel avec ses corolaires d’installations anarchiques et de désordre. La solution réside donc dans la mise en place de bonnes incitations par le biais de reformes institutionnelles qui instaurent la liberté économique.
Par Jocelyn Okara, depuis Abidjan, Côte d’Ivoire
Publié en collaboration avec Audace Institut Afrique

L’assainissement d’Abidjan : une solution superficielle

« La solution », tel était le slogan de campagne de l’actuel chef d’État ivoirien. Après seulement quelques mois de gouvernance, on s’aperçoit du contenu de cette enveloppe de solutions, notamment en matière d’amélioration du cadre de vie où un point d’honneur a été mis sur le déguerpissement des commerçants des places publiques et la suppression au moyen de bulldozers de toutes les constructions anarchiques. Cependant, ces actions qui visent essentiellement le secteur informel de l’activité économique interpellent car elles ne sont que d’ordre conjoncturel. En effet, elles ne sont pas de nature à garantir de façon durable ce nouvel ordre voulu par le gouvernement, et ce, malgré sa détermination à rendre le processus irréversible. De ce fait, de nouvelles solutions, plus profondes, s’imposent car dans le cadre institutionnel actuel, il est difficile de survivre hors anarchie puisque la législation freine et étouffe le petit entrepreneur.

Le contexte des pays d’Afrique subsaharienne, donc de la Côte d’Ivoire, est celui d’une urbanisation à une vitesse plus que proportionnelle à celle de l’industrialisation. Cette forte urbanisation est le fruit d’un boom démographique et de l’exode rural. L’étroitesse du secteur secondaire aura pour conséquence le chômage. Ce surplus de population, à la recherche de revenus, n’aura pas d’autre choix que de s’initier à l’auto-emploi.

Un secteur informel important

Aussi faut-il distinguer dans cet ensemble deux groupes d’acteurs en fonction de la vision qui est associée à cette initiative. Le premier groupe, que nous appellerons G1, concerne ceux, qui dès le départ conçoivent leur projet comme une activité de subsistance et agissent en conséquence. Ils se limitent alors à une activité de petite taille, de faible intensité capitalistique, de technologie modeste et qui est conduite en marge des institutions modernes de crédit. Ils constituent de ce fait le nœud du secteur informel. Le deuxième groupe, G2, comprend les autres, qui lors de l’élaboration de leurs projets, anticipent une entreprise rentable, créatrice de richesses et qui aspirent à intégrer le secteur formel. Ceux-ci, même avec de faibles moyens au démarrage, cherchent à tout mettre en œuvre, pour, à terme, réaliser une entreprise de profit avec des conditions d’installation et de fonctionnement nettement améliorées et plus respectueuses des normes de salubrité.

Si ces derniers étaient accompagnés dans leur évolution, ils constitueraient le pôle de réduction significative de la taille de l’informel par deux effets : un effet direct qui serait tout simplement leur propre passage de l’informel au formel, et un effet indirect qui serait en réalité un effet d’entrainement de G2 sur G1 ou un effet d’imitation de G1 vis-à-vis de G2. Car les premiers cités, au regard du succès des derniers pour les mêmes domaines d’activité, comprendront les opportunités à saisir et seront incités à suivre leurs traces.

Un cadre juridique inadapté à l’entrepreneuriat

Malheureusement les entrepreneurs de G2 sont découragés dans leur initiative par les institutions en place. Nous sommes en effet dans un système où la décision étatique étouffe les choix individuels, l’État étant trop envahissant ; où le système juridique s’apparente à un chaos, car miné par la corruption, influencé par les pouvoirs et incapable de protéger les personnes et leurs propriétés ; où l’éventail de choix des individus est réduit avec les barrières au commerce ; où pour créer une petite entreprise, il faut 32 jours en moyenne et verser un capital moyen équivalant à 200,4% du revenu annuel par habitant ; où la durée d’attente pour l’octroi d’un permis de construire est de 583 jours avec un coût moyen de 204,8% du revenu annuel par habitant. C’est bien ce que révèlent l’audit 2010 de la liberté économique en Côte d’Ivoire et le rapport 2011 du Doing business. En clair, ce qui a toujours prévalu, ce sont les mauvaises incitations en faveur du développement de l’informel avec ses corolaires d’installations anarchiques et de désordre.

De nécessaires réformes incitatives

« La solution » réside donc dans la mise en place de bonnes incitations par le biais de reformes institutionnelles qui instaurent la liberté économique. C’est le cœur du problème qui dépasse même le manque d’éducation, car les individus réagissent aux incitations. D’ailleurs, le pays a connu des exemples d’analphabètes prospères. Ce n’est pas non plus un problème de moyens dont pourraient disposer les populations pour entreprendre. En effet, comme l’a montré Hernando de Soto dans Le mystère du capital, les pauvres sont plus riches qu’on ne le croit. Il faut seulement leur permettre de mobiliser leur capital par l’accès facile à leurs titres de propriété. Ils pourront ainsi passer des contrats, garantir leurs dettes, échanger des biens contre d’autres, toutes choses nécessaires pour faire prospérer leurs affaires.

Les Ivoiriens ont désormais besoin de leur  souveraineté vis-à vis de leurs dirigeants. Ils doivent compter sur eux-mêmes après les échecs de l’État depuis les indépendances et ils demandent pour cela un système qui leur consacre plus de liberté. L’enjeu, au-delà de l’amélioration du cadre de vie, c’est aussi la lutte contre la pauvreté et l’élimination du dualisme secteur informel-secteur formel, perçu par nombre d’économistes comme l’une des raisons majeures du retard de l’Afrique. La liberté ne peut rester enfermée. « Elle se cherche toujours une porte de sortie », disait le Professeur Mamadou Koulibaly, Président d’Audace Institut Afrique. Les dirigeants doivent donc prendre garde et ne pas pousser leurs populations à bout, car l’histoire, à travers l’étincelle Bouazizi qui a enflammé la Tunisie, nous l’enseigne une fois de plus.

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