N’importe quel pacte budgétaire européen d’importance se révélera être en contradiction avec le contrat social tacite entre les électeurs européens et leurs hommes politiques : un contrat social qui repose sur « l’effet lubrifiant » des dépenses publiques sur l’opinion populaire.
Par Alberto Mingardi (*), depuis Milan, Italie.
Publié en collaboration avec le Cato Institute
Vacillant au bord de la banqueroute, la Grèce a d’abord été sanctionnée pour ne pas avoir respecté le pacte européen de stabilité et de croissance en 2005. Récemment, la crise de l’euro a mis en évidence l’inefficacité des règles budgétaires et c’est pourquoi les dirigeants européens se sont mis d’accord sur un nouveau « pacte fiscal » pour cibler les limites de dettes et de déficits. Mais les précédents échecs dans l’application des règles budgétaires pourraient justifier le scepticisme des observateurs internationaux lorsqu’il s’agit de la crédibilité des dirigeants européens à se fixer ces nouveaux objectifs.
Les nouveaux objectifs ne seront crédibles que si les dirigeants trouvent un moyen de réécrire leur propre pacte avec leurs électeurs.
Sur le papier, l’Europe n’a jamais connu de pénurie de règles budgétaires. Le traité de Maastrich (article 121) fixait des objectifs chiffrés pour les États candidats à l’adhésion européenne. Les États de l’Union Européenne devaient garder leurs déficits publics sous la valeur référence de 3% du produit intérieur (PIB), tandis que la dette ne devait pas dépasser le seuil de 60% du PIB. Dans le cas d’une proportion de dettes plus élevée, le traité exigeait une tendance à la baisse de l’endettement.
Ces règles budgétaires ont connu un succès limité. Sur les 17 pays de la zone euro, seule la Finlande et le Luxembourg ont systématiquement respecté les critères de Maastricht. Le besoin même d’un nouveau pacte fiscal découle des échecs précédents en matière de contrôle des finances publiques. Mais peut-il en être autrement cette fois ?
La crise de l’Euro et les malheurs de la Grèce ont éveillé un besoin pressant de responsabilité budgétaire. Depuis que l’Allemagne a introduit une limite d’endettement en 2009 qui interdit au gouvernement un déficit de plus de 0,35% du PIB à partir de 2016, les autres États-membres ont du mal à suivre cet exemple afin de restaurer leur propre crédibilité en tant que débiteurs. Ce fut le cas des États les plus prodigues comme l’Espagne et l’Italie.
Le cas italien est d’un intérêt particulier car il suggère que, parfois, les règles peuvent être écrites dans le but affiché de les contourner.
La dette publique italienne est passé de 40,5% du PIB en 1970 à 60,1% en 1981 et à 121,8% en 1994. Sur 150 ans d’histoire, l’Italie n’a présenté un budget équilibré que deux fois. Sa constitution ne fait pas explicitement référence à un budget équilibré ; cependant, elle exige que soient présentées de nouvelles sources de recettes pour toutes nouvelles dépenses entreprises. Cela ressemble à une règle d’or assez simple, mais elle fut toujours sciemment ignorée.
En bref, l’Italie est un pays dans lequel les promesses alimentées par la dépense publique furent constamment faites pour obtenir un consensus parmi les électeurs. Même lorsque les mesures d’assainissement budgétaires prises à l’échelon européen ont contribué à geler la croissance de la dette publique (qui atteignit 103,6% du PIB en 2007), les dépenses publiques, net d’intérêts, ont augmenté de façon constante ; au cours des dix dernières années, les dépenses publiques italiennes ont crû de 24,4%. Un limite constitutionnelle à la dette semble donc être l’instrument approprié pour limiter la propension enracinée de la classe politique italienne aux dépenses excessives.
Malheureusement, l’amendement constitutionnel approuvé à titre provisoire par le Parlement italien prévoit seulement un « équilibre » des finances qui permet aux administrations locales et au gouvernement d’emprunter dans le cas « d’événements inattendus ». Aucun plafond de dépenses n’a été introduit dans la constitution. Les législateurs italiens semblent avoir écrit une loi qui vise à ouvrir la voie aux exceptions.
La créativité est l’apanage des Italiens mais nous sommes confrontés à un problème qui dépasse la façon d’aborder l’art de légiférer de mes compatriotes. Pour que la discipline budgétaire soit adoptée, il faut que les citoyens et les électeurs l’adoptent aussi. Les citoyens doivent eux-mêmes exiger, ou au moins accepter, une approche différente de la dépense publique.
N’importe quel pacte fiscal européen d’importance se révélera être en contradiction avec le contrat social tacite entre les électeurs européens et leurs hommes politiques : un contrat social qui repose sur « l’effet lubrifiant » des dépenses publiques sur l’opinion populaire.
Face à un possible échec de l’Euro et à des années de morosité économique et de ruine, pratiquement aucun dirigeant européen n’a parlé de la nécessité de repenser le soi-disant « modèle social européen ». Comment les chefs d’États européens pourraient-ils s’engager sur un nouveau pacte en faveur de la santé budgétaire, alors qu’ils continuent d’éviter de réécrire le contrat social les unissant à leurs électeurs ?
Ce problème n’est pas exclusif à l’Italie ou à la Grèce mais s’étend à l’ensemble de l’Europe méditerranéenne. Récemment élu Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy a déjà annoncé que son pays n’affichera pas un budget équilibré en 2012, et que son gouvernement renflouera les régions endettées. Aucun dirigeant européen, de droite ou de gauche, n’appelle à un changement politique majeur de ce genre qui permettrait de réduire de façon permanente les dépenses publiques et, par conséquent, de respecter les nouvelles règles budgétaires.
Le principe « pacta sunt servanda » a été un pilier du droit romain et aussi de l’économie de marché libre. Mais nous savons qu’il y a des situations dans lesquelles on ne fait que semblant d’honorer un pacte ; tout le monde est occupé à revenir sur sa parole donnée, les ruses et les fraudes se multiplient alors de façon flagrante. Ces situations se produisent généralement sur scène, et sont l’essence même de la farce, une grande invention grecque – mais apparemment populaire à travers toute l’Europe.
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Sur le web
Traduction JB pour Contrepoints.
(*) Albert Mingardi est Directeur Général de l’Istituto Bruno Leoni, un think tank basé à Milan. Cet article a été rédigé pour le Cato Institute.