C’est à La Source (Fontaine-lès-Dijon) jusqu’au 25 mars. L’expo s’intitule « Conquêtes et réconciliations ».
(A noter qu’une malheureuse plaque commémorative a été fixée au mur de la salle du rez-de-chaussée,placée en plein milieu d’un panneau…C’est se moquer des artistes qui vont avoir maintenant bien du mal à harmoniser leur exposition. Cette plaque aurait pu trouver place ailleurs dans la pièce,ne gênant pas les artistes et gardant néanmoins son rôle voulu par la municipalité.)
Fermons la parenthèse! Et voyons cette expo:
« Ne pensons plus « tableau »! dit Guerrero. « Effaçons le cadre »!
Voilà! Partons de là. Et l’on n’est pas loin des principes de Mondrian,vers 1920,avec « la ligne droite et la couleur primaire ». Simples compositions équilibrées et formes réduites. On sait aussi que Mondrian prolongeait en quelque sorte ses toiles dans son atelier par des cubes devenus presque des meubles dont il modifiait sans cesse la structure. Il en fera même des immeubles.
Guerrero,lui aussi,libère sa peinture qui sort et s’échappe sur les murs. En petites surfaces géométriques (il les appelle des excroissances). Elle peut également prendre relief et devenir éléments d’architecture. D’ailleurs ce domaine de l’architecture est permanent chez l’artiste. Lisez ses explications au premier étage (vers la cheminée):langage d’architecte.
Autre aspect très marquant du travail de Guerrero:sa plongée dans ses origines mésoaméricaines (il est mexicain). Tout,dans cette exposition,ramène aux civilisations aztèques ou mayas. L’artiste se réapproprie en effet les codex mésoaméricains,livres peints,bandes de plusieurs mètres de long parfois,pliés en accordéon. Il reprend cette idée de textes à la fois écriture et peinture. Il réinvestit les symboles et les couleurs de ses ancêtres. Mais en vrai artiste,il invente son propre itinéraire.
Voici donc des masses (très) colorées agencées,organisées…qui se lisent un peu comme des plans,avec leurs informations codifiées (j’ai pensé à des plans de sécurité dans les lieux publiques). Un travail de réflexion plutôt que d’émotion. Plus scientifique qu’esthétique. Mais la peinture (ou la couleur) reste un moyen de création d’univers…Guerrero parle de « territoires ». La peinture s’empare de l’espace ou en fait naître de nouveaux.
Et ce qui est intéressant encore,c’est justement la façon dont l’artiste habite les lieux de La Source. Dans la même idée que son travail plastique. Il utilise les lignes et les liens de couloirs ou de passages entre les pièces,les surfaces blanches des murs et les rapports entre eux à l’intérieur d’une salle…
Voici le texte de présentation de Claude Martel pour Vincent Lorin:
Vincent Lorin est né au Mexique dans l’état du Guerrero. Adopté tout petit,il grandit à Dijon. En 2007,le besoin de renouer avec ses racines se fait sentir et il effectue un voyage au Mexique. Il se rend sur les sites historiques des sociétés mayas et aztèques où il découvre les codex mésoaméricains. C’est à partir de cet événement que commence son questionnement sur l’histoire de son pays natal.
En 2009,il entre à l’école des beaux-arts de Dijon où il étudie l’art contemporain avec un intérêt tout particulier pour l’abstraction géométrique. Toutes ses recherches plastiques seront une synthèse entre ses racines et sa culture. « Peindre c’est naître de nouveau » dit-il. Il prend alors le nom de Guerrero.
Au-delà du parti pris personnel,à savoir la recherche de ses origines,Vincent veut nous offrir la possibilité de découvrir une civilisation ancestrale,fascinante et mystérieuse. Il puise son inspiration dans les cultures mayas et aztèques. Sa façon de traiter l’image,les formes,les couleurs et l’agencement de l’espace,s’inspire des codex mésoaméricains. Ceux-ci sont des « livres peints » confectionnés à partir de fibres végétales ou de peau d’animal tendue,relatant sous formes de narrations graphiques codifiées des scènes de la vie courante,des scènes de guerre ou autres instants de cultes. Les codex ne sont pas simplement un ensemble d’images,mais de véritables textes. Il s’agit là d’un système d’écriture basé sur l’image. Pour comprendre la lecture du manuscrit,il faut quadriller tout l’espace du feuillet étudié. Les codex formaient des bandes de plusieurs mètres pliées en accordéon de manière à étendre le récit.
Cette notion de développement graphique et matériel dans l’espace est fondamentale dans le travail de Vincent. Il conçoit la peinture comme un territoire,une progression infinie,une conquête. Une image est tout sauf sage,elle déborde de son support,elle s’évade,elle prend possession de l’espace qui l’entoure.
L’artiste nous propose plusieurs pistes de réflexion :qu’est-ce qu’un territoire visuel ? comment la peinture s’intègre-t-elle à l’espace ? quels sont les liens ancestraux entre dessin et écriture…
Le peintre est à la recherche d’un équilibre entre formes géométriques et couleurs,entre mouvance et statique,espace peint et non-peint,œuvre et environnement. Les limites du tableau,la frontière entre le peint et le non-peint,autant de concepts convoqués dans l’œuvre de Vincent. Le cadre d’une surface peinte implique nécessairement un espace fini,c’est précisément ce lieu de rupture en relation avec l’environnement qu’il cherche à abolir. Toujours cette conquête de l’infini….Dans l’accrochage,tout prend son importance :le mur blanc,la disposition des éléments,les surfaces peintes,la lumière,le jeu de toutes les relations dans et hors de l’œuvre. Chaque élément est une fragmentation nomade sur le point de prendre son indépendance afin de conquérir un environnement inconnu.
La peinture de Vincent est un questionnement intense de ses assises,de ses raisons,mené avec des moyens qui lui sont propres. La sincérité d’une interrogation ne passe pas inaperçue. Il nous invite à partager ses doutes,sa joie de peindre,le plaisir de la découverte,il nous montre que tout est encore possible et que le temps de la réconciliation avec l’art est arrivé.
Claude Martel
Galerie la source
Mars 2012