A J-50 et alors que l’hebdomadaire allemand Der Spiegel dénonce ce matin un possible accord secret entre les dirigeants – conservateurs – européens pour ne pas rencontrer François Hollande, Délits d’Opinion a souhaité faire le point sur ce que la presse étrangère pensait de la campagne et de ses acteurs. Juan Bellver (El Mundo, Espagne), Stefan Simons (Der Spiegel, Allemagne) et Catherine Dubouloz (Le Temps, Suisse) se sont prêtés à l’exercice. Entre analyses des spécificités de la campagne présidentielle et décryptage des candidats, ils offrent un point de vue inédit sur la campagne de 2012 et ses protagonistes.
Délits d’Opinion : Au regard de la campagne, quels sont les éléments qui différencient l’élection en France et dans votre pays ? Qu’est ce qui caractérise la campagne de 2012 ?
Stefan Simons (Der Spiegel) : « En élisant le Président au suffrage universel direct, le peuple tisse un lien très fort avec les candidats. La présidentialisation est clairement l’élément le plus marquant à mes yeux. Je trouve d’ailleurs que cette élection se joue davantage sur ce facteur de personnalité que sur des éléments programmatiques. Le manque d’enthousiasme que l’on observe oriente donc la campagne sur le terrain des individualités.
L’autre élément fort est une conséquence du contexte de crise dans lequel se déroule la campagne. En effet, les débats de techniciens participent à offrir une image peu attractive et stimulante du débat pour les électeurs. Entre le quotient familial, la dette et les questions liées à l’éducation, on se perd dans des explications et des complications techniques qui ne facilitent pas un vrai débat citoyen. Cette mosaïque de sujets ne permet pas d’identifier, au-delà des slogans, cette « certaine idée de la France», cette vision et ce projet d’avenir. Il est clair que la personnalisation est beaucoup mois existante en Allemagne où le scrutin fait primer le parti, les idées, et les programmes. Aussi, les personnalités de certains leaders ne sont pas autant disséquées que cela peut être le cas en France car on fait surtout primer la formation politique ».
Juan Manuel Bellver (El Mundo, Espagne) : « L’élément que je trouve le plus surprenant à l’occasion de cette campagne c’est le poids pris par les cellules ripostes et leur activisme. Je reçois en effet chaque jour plusieurs alertes des deux grands partis. En Espagne, lors d’une campagne, la réaction demeure toujours plus modérée sur le fond et sur la forme, la réponse se faisant le plus souvent de manière institutionnelle, au Congrès ou au cours d’un meeting. Cette tendance, sans doute poussée à l’extrême lors de cette campagne, si elle permet de bénéficier des contre arguments très rapidement, contribue aussi à brouiller le fond. Le second élément qui différencie la campagne dans nos pays concerne la place des sondages. En Espagne il n’y a pas autant d’instituts qui font des sondages, ces études sont moins fréquentes et surtout les médias ne se basent pas là-dessus pour construire l’histoire de l’élection, les enquêtes ne sont qu’un élément parmi d’autres ».
Catherine Dubouloz (Le Temps, Suisse) : « La campagne telle qu’elle se déroule en France est profondément différente de ce que l’on observe en Suisse. Ceci s’explique avant tout par l’existence d’un régime politique différent. En Suisse, l’exécutif est constitué par un Conseil fédéral de sept membres, élus par le parlement. Chacun exerce la présidence à tour de rôle pour une année. La personnalisation n’est donc absolument pas du même niveau, d’autant que le président n’a pas un pouvoir politique supérieur aux autres membre du collège. Il exerce avant tout des fonctions représentatives, notamment vis-à-vis des Etats étrangers. Ici en France, l’élection présidentielle est la rencontre d’un homme avec son pays et ses électeurs, puisque le président est élu au suffrage universel direct.
Le début de campagne est clairement marqué par un niveau de débat relativement bas et décevant. A ce jour, cela ressemble à une campagne où les candidats rivalisent dans l’usage des noms d’oiseaux et des invectives, la bataille d’idées passant au second plan. Signe révélateur, les cellules ripostes et les porte-paroles sont hyper-actifs pour attaquer les rivaux et défendre leur candidat. Ce constat est d’autant plus désolant que la primaire socialiste avait relancé l’intérêt pour la politique au sens noble du terme et avait donné lieu à des débats d’idées passionnants entre des candidats qui étaient au final issus du même parti. Mais peut-être que la situation évoluera lorsque tous les programmes se seront dévoilés dans leur intégralité. On peut également regretter qu’à ce stade le « show » prime sur le fond. Les premières semaines ont montré que les petites phrases comme les « 60 000 postes dans l’éducation », les « 75% d’impôts » ou les « référendums », restent les marqueurs les plus forts de la campagne »
Délits d’Opinion : Quelle est l’image des principaux candidats dans votre pays ?
Stefan Simons (Der Spiegel) : « Vu d’Allemagne la campagne ne fait pas émerger de personnalités particulièrement fortes. De plus, les récentes enquêtes plaident tellement en faveur d’un duel annoncé que l’on en vient à se demander pourquoi les autres candidats se maintiennent dans la course tellement leurs chances d’accéder au second tour sont faibles. François Hollande n’est pas connu et son inexpérience du pouvoir ne lui a jamais permis d’émerger en dehors des frontières. En Allemagne la chose que l’on connaît le mieux de François Hollande c’est son ancienne femme, Ségolène Royal. Il apparaît donc uniquement en miroir inverse de Sarkozy, plus calme, moins énervé et moins énergique. En 2007, Royal avait réussi à se démarquer tandis que Hollande est dans une tradition de leader méconnu ; une situation que le contexte plutôt morne n’aide pas beaucoup. Concernant Nicolas Sarkozy, on retient son volontarisme à l’étranger mais également une communication surjouée lors de son intervention pro-allemande du mois de janvier. Enfin, personne n’a oublié les excès du début, et l’hyper présidence bling-bling qui lui reste collée à la peau depuis les premiers jours.
Juan Manuel Bellver (El Mundo, Espagne) : « L’Espagne et la France sont voisins et l’actualité est très suivie même si la politique interne est sans doute l’un des domaines les moins connus. En effet, nos concitoyens s’intéressent à la politique française surtout lorsqu’elle a des répercussions sur le quotidien des Espagnols ou sur la diplomatie. Cependant, les grandes questions de société comme les 35h, la réforme des retraites ou la création d’une tranche d’imposition à 75% sont suivies au titre qu’elles choquent et questionnent nos sociétés européennes. Ce qui prime c’est donc l’image que renvoie le candidat en dehors des frontières. Sur ce point Sarkozy a une bonne image, que cela soit au niveau de sa collaboration sur le dossier de l’ETA, sa gestion des G8 et G20 ou de son activisme dans les conflits libyen et syrien. De l’autre côté, Hollande est perçu comme un modéré, un homme de consensus et un vétéran expérimenté dont la volonté de changement n’est pas questionnée. Marine Le Pen provoque chez nous une grande curiosité, d’autant plus qu’elle n’a pas d’équivalent en Espagne. Cette femme, grande, blonde, héritière d’un parti nationaliste extrême et atypique ne laisse pas insensible sans compter qu’elle suscite moins de craintes que son père. Enfin, Bayrou est plutôt peu connu notamment parce qu’en Espagne çela fait 30 ans que le centre n’a plus de députés ni de candidat emblématique. L’idée qu’on puisse avoir quatre ou cinq candidats du centre apparait comme une chose inouïe chez nous où le no man’s land entre le PSOE et le PP est occupé par les nationalistes modérés ».
Catherine Dubouloz (Le Temps, Suisse) : « Le positionnement social-démocrate de François Hollande a tendance à rassurer les Suisses car il n’apparaît pas autant à gauche que d’autres représentants du Parti socialiste auraient pu l’être – du moins jusqu’à ce qu’il avance ses nouvelles propositions de taxation des hauts revenus. Ses projets sur la fiscalité, notamment l’idée d’imposer à 75% les revenus au-dessus d’un million d’euros, sont suivis de près en Suisse, car ils risquent de provoquer un exil fiscal de riches contribuables français vers la Confédération. Sans revenir aux mouvements de 1981, ce genre de mesures marquent fortement l’opinion, française et étrangère. Nicolas Sarkozy bénéficie probablement d’une moins mauvaise image à l’étranger qu’en France ; c’est notamment le cas en Suisse où l’électorat penche plutôt à droite. Cependant, les Suisses lisent beaucoup la presse française et ont parfaitement pu suivre les déboires de son quinquennat. Enfin, il n’a pas été un grand « ami » de la Suisse, limitant ces déplacements dans notre pays. Marine Le Pen suscite une forte curiosité. La présidente du Front national se réfère souvent au système politique suisse, en particulier pour la question des consultations populaires. Les Suisses se demandent dans quelle mesure le Front National évoluera vers le modèle de l’Union Démocratique du Centre. François Bayrou possède une bonne image pour plusieurs raisons : son style plutôt dans la retenue et la thématique de l’union nationale rencontrent un écho en Suisse, pays du consensus par excellence. Enfin, Jean-Luc Mélenchon, candidat porte drapeau de l’extrême gauche fait plutôt figure d’agitateur d’idées irréalistes ».
Délits d’Opinion : A 50 jours du 1er tour, pensez-vous que les jeux soient faits comme le suggère les nombreux sondages ?
Stefan Simons (Der Spiegel) : « A ce jour la situation semble mal embarquée pour Nicolas Sarkozy. Cependant, le candidat de l’UMP parie sur un inversement des courbes et une dynamique forte qui lui permettrait alors d’être soutenu lors des dernières semaines de campagne. Pour lui, l’influence des sondages peut être très forte et provoquer des mouvements importants dans l’opinion. On comprend dès lors pourquoi il oeuvre autant à décourager les prétendants de droite pour réaliser un score maximum le 22 avril. A ce stade on garde néanmoins à l’esprit que le retard est important et qu’il lui reste un grand chemin à parcourir en moins de deux mois ».
Juan Manuel Bellver (El Mundo, Espagne) : « Mon souhait est que les choses évoluent et que les 50 jours restant puissent rattraper les débuts relativement fades. Selon moi, la stratégie actuelle des deux candidats favoris, qui cherchent des votes dans leurs extrêmes, peut conduire à un entre deux tours très stratégique qui se jouera avant tout sur la cohérence. Chacun devra alors faire le bilan de sa campagne et voir dans quelles mesures il apparait compatible avec les idées du centre. Ce que l’on observe depuis quelques jours c’est la tentation de Hollande de prendre des positions fortes, au risque de se couper d’une aile centriste. Dans le même temps, Nicolas Sarkozy durci le ton mais tente de ménager l’ancien électorat UDF aujourd’hui présent chez Bayrou. Nicolas Sarkozy devra surtout surmonter l’obstacle de sa personnalité un peu arrogante et tenter de faire oublier ses quelques erreurs de comportement. Ces éléments sont un handicap qu’il n’avait pas en 2007 et qu’il a acquis, peut être sans se rendre trop compte, pendant ce quinquennat très compliqué».
Catherine Dubouloz (Le Temps, Suisse) :
« Les analystes disent toujours que la situation fin février indique la tendance de l’élection, ce qui plaide nettement en faveur de François Hollande. Pour l’heure, les défections à droite n’ont pas joué un rôle fort en faveur de Nicolas Sarkozy. L’antisarkozysme et le bon début de campagne de François Hollande depuis le discours du Bourget rendent l’hypothèse d’un revirement de plus en plus improbable. Pour autant, le souvenir d’un Sarkozy « bête de campagne » en 2007 fait tout de même peser le doute, d’autant que l’UMP ne va pas épargner le candidat socialiste. Celui qui avait réussi à faire passer l’idée de la rupture en 2007 doit aujourd’hui convaincre qu’il est un candidat neuf. C’est un pari osé pour un président sortant ».
Entretiens réalisés par Raphaël Leclerc / @Rafouine