Débat et sujet extraordinairement technique, que je ne comprends que de loin, mais que j'évoque pour ceux qui voudront creuser.
L'Allemagne accumule des excédents commerciaux principalement à l'égard de ses partenaires de la zone euro - cf. une explication plus longue.
Normalement, entre pays, les mouvements commerciaux sont réglés entre les banques de l'acquéreur et du vendeur. La balance commerciale du pays vendeur "s'améliore" et celle du pays acquéreur se "dégrade". Mais si la banque de l'acquéreur ne trouve pas les devises acceptées par le vendeur, la transaction ne se fait pas (en gros, si une banque américaine n'a pas de livres sterling, son client américain ne peut pas acheter des biens à un producteur britannique).
Depuis 2007, les mouvements commerciaux internes à la zone euro sont réglés via Target2, un système de compensation européen. Si une société espagnole achète un bien allemand, le paiement se fait entre banques centrales européennes, avec création de la monnaie nécessaire. Donc même si la banque espagnole n'a pas les euros nécessaires, la transaction se fait mais c'est au final la banque centrale allemande qui se retrouve avec une créance sur la banque centrale d'Espagne. C'est un des "avantages" de l'euro (que le monde entier nous envie).
Là où intervient le gag c'est que du coup les excédents commerciaux allemands - qui sont encore comptabilisés pour chaque pays européen - trouvent en fait leur contrepartie dans des créances sur les banques centrales des pays déficitaires. La créance ainsi accumulée par l'Allemagne s'élève à 20% du PIB allemand. En cas d'effondrement de l'euro, ces sommes sont perdues. Le gag c'est donc que les excédents allemands dont on nous rebat les oreilles ne valent en réalité que ce que vaut la stabilité de la zone euro, c'est à dire qu'ils sont à pondérer par un coefficient d'incertitude non nul.
Et je découvre à peine cette histoire mais ce dont j'ai l'impression c'est que l'Allemagne elle-même la découvre, en tout cas politiquement, tout juste, quatre années après Target2. Et s'apprête à demander des corrections.
Le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, vient de demander qu'une partie des avoirs de la banque centrale allemande sur ses conseurs de la zone euro soit soldée par des obligations ou des titres sur des actifs de la zone déficitaire. Martin Wolff, du Financial Times, estime que Weidmann aurait aussi bien pu "demander d'envoyer la Luftwaffe pour régler la crise de l'eurozone". On peut lire aussi un article des Echos à ce sujet, ou un autre de l'AGEFI.
Dans le contexte actuel de défiance, si l'Allemagne refuse de voir ses créances au titre de Target2 s'accroître, elle amplifie le risque d'effondrement de la zone euro.
Tant mieux, Laurent Pinsolle vient de sortir un billet montrant que l'effondrement d'une union monétaire n'est historiquement pas très coûteux.