Wikipédia : portails et application souple des règles

Publié le 04 mars 2012 par Pierrotlechroniqueur

Discussion un peu tendue au Café wikipédien vendredi soir, suivie au passage d'une bien triste gueule de bois le lendemain1. Pour ceux qui n'ont pas suivi et ont la flemme — bien compréhensible — de parcourir l'ensemble des échanges, j'explique brièvement la situation. Le projet Algérie s'est entendu pour diversifier l'apposition des portails en fonction de certaines régions géographiques du pays (par exemple l'Algérois, l'Oranie ...). De la même manière — en gros, mais ce n'est toutefois pas si simple comme je vais l'expliquer plus tard — qu'il existe pour la France un portail pour chaque région et même chaque département. Problème : l'apposition de ces portails sur les articles concernés par les membres du projet Algérie ne s'est pas accompagnée du retrait simultané du portail général consacré à l'Algérie. Un choix délibéré mais, est-il aussitôt invoqué, non conforme au principe de proximité régissant ces appositions, d'où l'échange houleux qui s'est ouvert sur le Bistro à l'initiative de contributeurs extérieurs au projet qui exigeaient que la règle communautaire, en l'occurrence votée par une prise de décision il y a quelques années, s'applique. Pour rappel, le principe de proximité signifie que seuls les portails les plus proches du sujet de l'article doivent être apposés sur icelui, et ce pour éviter une surcharge de portails. Entre autres, l'un des cas les plus récurrents, et d'usage, est que, au niveau géographique, seul le(s) portail(s) (avec tout de même un souci de pertinence) de l'entité administrative ou géographique la plus proche soit apposé, pour éviter la présence des autres, plus généraux. Ainsi, par exemple, l'article sur la ville d'Albi ne comporte comme portail géographique que celui du département du Tarn. Les portails Midi-Pyrénées, et celui général de la France, ne sont pas apposés en vertu du principe de proximité. C'est, on l'a compris, la raison pour laquelle un certain nombre de contributeurs, Gemini1980, LPLT et Thierry Caro en tête, ont exigé (et finalement obtenu) le retrait du portail Algérie sur tous les articles bénéficiant à présent d'un portail relatif à la région géographique idoine du pays algérien. Ce qui n'a pas été sans poser certaines questions — honnêtement non résolues malgré le résultat final apparent — assez fondamentales comme, ami lecteur, vous allez le voir.

Quelle autorité pour un projet ?

Sammyday fait, en voyant Poudou99 et d'autres membres du projet Algérie s'acharner à défendre le maintien du portail Algérie sur les articles concernés par par ce débat, une remarque intéressante pour expliquer — à défaut semble-t-il d'approuver — ce comportement : "On a l'impression que certains bandeaux de portails sont utilisés pour marquer les articles que les projets veulent s'approprier...". L'appropriation d'articles est en effet un défaut très courant, et assez compréhensible finalement à défaut de propager une collaboration harmonieuse donc un progrès du projet, chez des Wikipédiens confirmés. Katanga a bien abordé le problème, et ses conséquences, principalement sur la neutralité de point de vue, dans cet essai que je vous conseille. Qu'un groupe de contributeurs liés par un travail sur une thématique commune (seule raison d'être du projet, faut-il le rappeler) soit tenté, même (et souvent) inconsciemment, d'en quelque sorte s'approprier les articles afférents est une conséquence réelle, plus souvent qu'il n'y paraît. Que le portail devienne la marque de cette appropriation est une idée intéressante — et, je trouve, assez exacte dans le cas présent — et représente un certain dévoiement de leur utilisation, les portails étant destinés, je le rappelle, à faciliter la navigation au sein de l'espace principal du projet et à opérer des regroupements thématiques pertinents (d'où la création de règles communautaires à ce sujet, dont le principe de proximité est un des composants). 

Autre aspect similaire du problème : que faire lorsqu'un projet, par consensus au sein de ses membres, entend aller à l'encontre d'une règle communautaire (par essence générale), comme ici le principe de proximité (du moins, en apparence, car la situation est plus trouble qu'il n'y paraît. Mais j'y reviens dans le paragraphe suivant) ? La réponse semble évidente, mais l'histoire a montré qu'elle ne l'est pas pour tout le monde, tant abondent les exemples de projets devenus un wiki au sein du wiki, avec une autonomie revendiquée ou de faite qui a déjà posé problème (les plus emblématiques de cette légère dérive étant à mon sens le projet Québec, le projet communes de France et certains projets sportifs). Je vous renvoie à ce sujet à deux billets ayant déjà abordé cette question : ici et . En résumé : les principes fondateurs et les règles décidées par la communauté dans son ensemble ne peuvent en principe faire l'objet d'une dérogation. De manière générale, un projet n'a aucun statut particulier pour imposer quoi que ce soit et n'est donc pas une instance de règlementation. Sur la forme, l'objection du projet Algérie n'est donc pas recevable. Sur le fond, c'est éventuellement une autre histoire ...

Applicabilité du principe de proximité et problèmes éditoriaux sous-jacents

Le principe de proximité, règle décidée par la communauté via une prise de décision, ne peut donc faire l'objet d'une dérogation, même si tout un projet s'y déclare favorable. Ou alors on cautionne une bonne fois pour toutes la balkanisation de Wikipédia en groupes d'intérêts divers et variés propres à faire ce dont ils ont envie. Dans les faits, il y a donc déjà un peu de ça, d'aucuns, et je ne suis pas loin d'être d'accord, parlent déjà de "communautéS", et ce serait très facile à officialiser pour de bon.

Mais, sur le fond, la situation est bien plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. Que le principe de proximité existe, et soit applicable sur tout Wikipédia, ne rend pas forcément automatique l'opération de dézinguage du portail Algérie. Ce principe précise bien, en effet, que ce qui est exigé, c'est la présence de portails proches du sujet de l'article, qui soient évidemment pertinents à indiquer et qui ne fassent pas doublon. Pour cette raison, le portail d'une région ou de la France est inutile lorsqu'on peut mettre celui du département. Parce que la division administrative française favorise ce découpage de proximité. Et c'est là que Kormin, qui change d'ailleurs d'avis au cours de la discussion après avoir soutenu le retrait du portail, et Kimdime présentent une objection très intéressante : les régions algériennes dont les portails viennent donc d'être créés ne sont en rien des entités administratives comparables aux régions françaises. Ce sont de simples régions historiques et géographiques avec une dénomination usuelle. Si on veut absolument faire une comparaison avec la situation française, alors c'est avec des entités comme l'Occitanie ou la Septimanie qu'il faudrait l'effectuer. Et on mesure aussitôt la différence : la présence d'un portail "Midi-Pyrénées", par exemple, dispense, en application du principe de proximité, de mettre le portail France notamment parce que la région administrative Midi-Pyrénées renvoie légalement (en quelque sorte) à la France. Ce qui n'est pas le cas, expliquent en substance Kormin et Kimdime (si j'ai bien compris), de l'Algérois ou de l'Oranie vis-à-vis de l'Algérie.

Je ne prends pas position sur la finalité de la question : faut-il ou non laisser le portail ? Mais ce qui ressort de ce débat, c'est que, comme pour tout ce qui touche aux articles, apposer un portail est aussi une question éditoriale. Que la présence de règles de maintenance pour les apposer ne saurait dispenser de réfléchir au niveau éditorial à ce que ça implique et à ce qu'il convient de faire. Autrement dit, le principe de proximité, comme toute règle, ne doit pas entraîner une application mécanique, par exemple en transposant la situation française à celles d'autres pays. Ce principe souligne bien aussi que, ce qui importe, c'est l'évaluation (acte éditorial) de la proximité et la pertinence pour chaque cas particulier. Conclusion : le principe de proximité ne peut être invoqué de manière automatique, systématique, pour retirer le portail Algérie. Ce qui ne veut pas dire que l'argumentation de Kormin et de Kimdime est au final appropriée sur le fond. Juste qu'elle est recevable au regard des règles votées par la communauté sur l'apposition et le principe de proximité. D'autant plus recevable que toute règle, on le sait, doit être appliquée de manière souple, pour justement éviter une bureaucratisation rigide qui pourrait nuire à la qualité d'un article. Parce que ce qui importe, c'est le contenu avant tout. Et ça, c'est un principe fondateur qui le dit.

1. De quoi compléter cette démoralisante liste. Ou pas, puisqu'il paraît, malgré l'évidence des faits exposés, que je fantasme et que presque personne ne part. Cachez ce sein aurait dit Tartuffe ...