Devant le désintérêt des uns pour les débats municipaux et nationaux, devant le manque de civisme des autres, il est permis de douter que la vie politique soit une préoccupation naturelle. Les jeux, les spectacles, sans doute ; mais la politique ? Que voulait donc dire celui qui affirma que l’homme est par nature un animal politique ?
C’est un fait que l’être humain croît en société, qu’il est pris dès la naissance dans le tissu humain et que la famille est la première vie sociale. Les soins que requiert la faiblesse du nouveau-né signalent d’emblée que sa condition sera de vivre parmi les hommes. Comme l’herbe pousse à travers champs, l’homme grandit en société.
Privé de ses semblables, l’homme serait soit un dieu, soit une bête. Un dieu, parce qu’il se suffirait à lui-même pour sa conservation ; une vie est divine qui ne connaît pas la faiblesse ni le manque. Une bête, parce qu’il ne pourrait se développer selon sa nature ; tels les enfants sauvages, qui sont dépourvus de langage articulé.
Or le langage est la faculté politique par excellence. Sa fonction n’est pas de communiquer nos besoins ; elle est de nous mettre d’accord sur des valeurs et des règles. Le langage permet de décréter ensemble ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. La parole est condition de la vie en société, comme la société est condition de la parole.
Aristote disait que la main d’une statue, incapable de rien saisir, est une main par homonymie, car elle n’a rien de commun avec la main vivante, sinon la figure extérieure. Disons de même qu’un homme isolé, sauvage, incapable de participer par le langage à la vie sociale, n’aurait d’homme que le nom.
L’homme fait société par son discours, et c’est pourquoi Aristote y reconnaissait un être essentiellement politique. Notre condition est de nous réaliser par l’accord explicite avec d’autres.