« L’oppresseur ne se rend pas compte du mal qu’implique l’oppression tant que l’opprimé accepte »
Henry David Thoreau
La campagne électorale avait commencé au ras des pâquerettes, avec un Sarkozy dont la stratégie consiste essentiellement en l’attaque ad hominem contre François Hollande, et un candidat socialiste toujours assez flou pour ne fâcher personne. Les deux favoris des sondages se livrent un duel à distance dans la continuité du mandat en cours, et certains commentateurs croient y voir la campagne la plus violente de la Vè République. Bof. La politique est un sport de combat où les règles tiennent le même office que les cordes dans un ring.
Pendant les presque cinq dernières années, le président n’a fait qu’être candidat pour 2012, en mettant en scène sa vie privée, en s’inventant une mythologie au fur et à mesure que la crise progressait, en divisant la population en d’innombrables catégories supposées antagonistes, en muselant une opposition (celle déjà pas trop virulente du PS, et celle un peu plus agitée, de la rue), et en multipliant les provocations contre l’Homme africain, les Roms, les assistés, et les instituteurs qui ne valent même pas un curé. Et de pleurer aujourd’hui parce que les gens sont méchants et ne savent pas reconnaître à sa juste valeur l’excellence de son bilan qui a sauvé la France d’une faillite certaine.
Du côté du PS, ce n’est guère mieux, les socialistes n’ayant vraiment commencé à se mettre en ordre de bataille que depuis la conquête du Sénat et l’organisation des primaires, et la gauche de se répandre en lamentations contre les obscurantistes qui n’ont toujours pas trouvé le programme de François Hollande qui risque de nous priver de nos meilleurs joueurs de football qui sont déjà tous en Angleterre. Bref, la campagne est violente, pauvres petits candidats-lapinous qui aimeraient tenir un débat de haute volée alors qu’ils n’ont pas le début du commencement de l’ombre d’un projet.
Car de même que l’Etat, dans le vocabulaire contemporain, ne désigne plus l’ensemble des habitants du pays, mais l’appareil du pouvoir, il y a beau temps que le personnel politique n’est plus habilité à représenter le peuple dont il fait si peu partie. A force d’essayer de nous faire gober que le vote était le geste politique ultime qui prouve que vous êtes un citoyen méritant, ces fiers belligérants en ont presque oublié que les balles perdues de leur duel de titans en carton-pâte, c’est toujours le peuple qui les prend. Et parfois l’animal blessé se rebelle.
Ainsi donc, Sarkozy se promenait dans la campagne électorale, qui est encore plus triste et polluée que la campagne ordinaire, et posa ses augustes talonnettes sur la terre basque. Bataillons de CRS et de la BAC en place, militants UMP locaux appelés à faire la claque, le tout petit père des peuples s’apprêtait à répandre la bonne parole de la France forte et populaire. Mais parfois la réalité est plus forte que la mise en scène. Après avoir à moitié traité, dans le plus pur style neuilléen, une agricultrice d’Itxassou de bourgeoise au motif qu’elle possédait 40 hectares de terrain (à mettre en rapport avec le prix du mètre carré sur l’Ile de la Jatte), il fut quelque peu rabroué à Bayonne par des militants anti-LGV et altermondialistes, que la flicaille présente eut tôt fait de réduire en chair à matraque. Inutile de revenir sur les détails, que vous trouverez aisément dans la presse.
Notre monarque républicain, peu habitué à un accueil si glacial, s’empressa d’accuser le PS de ne pas tenir ses militants, et dénonça la violence des manifestants qui ne respectent décidément pas les us de la République et le carrosse doré du plus français des Français, poussant même l’amalgame jusqu’à détecter de son regard claudeguéantesque des militants d’ETA dans la foule. Quoique cette dernière eut été parfaitement pacifique, se pose donc la question de savoir qu’est ce qui est violent pour un président, et pourquoi ne l’a t-on pas entendu pousser les hauts cris avec tant de ferveur quand Hollande s’est fait enfariner?
Pour l’esprit mégalomane de Sarkozy, une grève, une contestation même très bien argumentée de son action, un rassemblement contre un projet de son gouvernement, ou le refus d’un journaliste de lui passer la brosse à reluire sont des actes de violence à son encontre. Voilà un homme qui ne cesse de vouloir poser des règles, et qui est totalement incapable de s’en appliquer aucune, un candidat qui nous explique avec fierté que « les Français sont un peuple frondeur » et qui redoute plus que tout une résurgence de Mai 68 dont il a tenté de « liquider l’héritage ». Peut-être que s’il reprend un jour ses études de droit, il apprendra que l’article 2 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dispose que la résistance à l’oppressionest un droit , droit également garanti par l’article 35 de la Déclaration de 1793 qui parle même de droit à l’insurrection (étonnament ce texte n’ a jamais été repris dans la constitution de 1958).
Et si un jour (on peut rêver), les électeurs se rendent compte qu’il n’y a quasiment rien à attendre ni de l’UMP ni d’un Parti Socialiste qui veut réguler la finance en s’abstenant prudemment de prendre position sur le traité de Mécanisme Européen de Stabilité, et qu’ils décident d’opposer barricades et pavés à la violence financière, à la violence d’entreprise, à la violence sociale, à la violence politique, et à la violence d’Etat, sous sa forme policière ou institutionnelle, Sarkozy ira t-il méditer dans un quatre-étoiles à Baden-Baden, ou déploiera t-il l’ensemble du personnel de Dassault et du ministère de la Défense pour éviter que l’on mette sa tête au bout d’une pique et son gros fessier sur un pal?
A sa décharge, avouons qu’on l’a mal habitué et que l’opposition n’a pas souvent été à la hauteur de sa propre violence, et prenons-en de la graine pour le prochain Président. Votez si ça vous chante, mais pensons à gardez l’oeil ouvert tout le reste du mandat.
Et enfin, Gora Euskadi! Vive la Commune, vive mai 68, et vive la République Messine libre!