Extraits
Méprisé, regardé comme une sous-littérature mais comptant dans ses rangs des auteurs dont les tirages feront toujours rêver, le roman sentimental, dit aussi "à l'eau de rose", a longtemps été écarté des ouvrages de référence sur la littérature. Cet ostracisme est aussi stupide que misogyne puisque, faut-il le préciser, le roman sentimental attire - en tous cas officiellement - une clientèle essentiellement féminine. Or, c'est bien connu, ce qui plaît aux têtes féminines ne saurait être digne d'intérêt.
Il est vrai que, pendant près de deux siècles, le roman sentimental non seulement était réservé aux femmes mais était aussi écrit par des femmes - les pseudonymes masculins pris dans le catalogue de la célèbre "Bibliothèque de ma fille", tels "Emmanuel Soy" ou "Max du Veuzit", ne sauraient abuser. Il faudra attendre la toute fin du XXème siècle pour que certains lecteurs de sexe mâle avouent sans détour se délasser de temps à autre avec un volume Harlequin. Mais ces valeureux, dont il faut ici saluer la remarquable intégrité intellectuelle, sont bien peu nombreux à oser ...
Depuis la "Pamela" de Richardson (oeuvre d'un homme, soulignons-le, d'où le petit parfum sadien du livre) jusqu'au dernier sorti de Cabrera Infante, auteur espagnole très prisée que Vargas Llosa qualifie même de "phénomène socio-culturel" - excusez du peu
Dans le genre, nul n'a jamais pu faire mieux que Delly et l'originalité de "Guimauve et Fleur d'Oranger" est de rendre enfin un hommage - hélas ! trop bref
L'analyse du "schéma Delly__" est finement menée et, pour une fois, on ne fait pas l'impasse sur le côté le plus intéressant de l'oeuvre : son érotisme diffus et pourtant puissant. Seule une candeur abyssale peut expliquer le nihil obstat accordé régulièrement par la sacro-sainte "Bonne Presse", d'obédience strictement catholique, aux romans de Delly. A moins qu'il ne s'agisse d'un mépris absolu exercé à l'encontre de l'intelligence des lectrices de cet auteur, trop sottes et trop naïves pour comprendre des sous-entendus pourtant très clairs. La sexualité des personnages masculins est on ne peut plus active et on ne saurait nier que les jeunes vierges qui leur sont opposées s'en rendent compte très vite et font tout pour l'attiser.__ (Rarissimes sont, chez Delly, les jeunes filles vraiment "nunuches.")
Ceci dit, faut-il vraiment s'étonner ? Delly ne nous raconte-elle pas, à sa façon, ce que Zola décrit dans "Pot-Bouille", lorsqu'il nous montre les avances de Berthe Josserand à son futur époux, Auguste Vabre ? Bien qu'aux antipodes l'un de l'autre, ces deux auteurs, la petite souris versaillaise et le fils d'immigré italien reposant au Panthéon, ne rapportent-ils pas la schizophrénie d'une société pour qui la femme ne pouvait être que mère, jeune fille ou putain ?
Quoi qu'il en soit, tous les admirateurs de Delly trouveront ici quelques réponses à leurs propres interrogations sur l'inaltérable succès de son oeuvre - ainsi qu'une bibliographie quasi complète. A compléter peut-être par des ouvrages comme "Ouvrières des Lettres", d'Ellen Constans, et quelques autres ouvrages édités dans la même collection, aux Editions Nuit Blanche. Ajoutons qu'on souhaiterait voir un ouvrage similaire consacré à l'univers de Max du Veuzit.