Il y a quelques semaines, Ryan McGee a jeté un pavé dans la marre de la construction narrative des séries américaines avec un article qui amenait logiquement au débat : Did the Sopranos do more harm than good ? HBO and the decline of the episode (je vous en conseille fortement la lecture si cela n'est pas déjà fait). Il écrit notamment que : "HBO isn’t in the business of producing episodes in the traditional manner. Rather, it airs equal slices of an overall story over a fixed series of weeks. If I may put words into his mouth: HBO doesn’t air episodes of television, it airs installments. Calling The Sopranos a novelistic approach to the medium means praising both its new approach to television and its long-form storytelling."
En filigrane, transparaît la classification classique différenciant les séries d'une part, des feuilletons d'autre part, catégorisation utile même si elle ne reflète pas la réalité plus nuancée des fictions télévisées. En effet, ces dernières mêlent généralement les deux approches, ce qui leur permet d'exploiter tant leur format épisodique, que de s'assurer la fidélité du téléspectateur la semaine suivante. Le dosage tendra plutôt vers l'un ou l'autre des genres. Et à l'extrême du feuilletonnant, j'aurais plutôt désigné The Wire sur HBO dont les arcs de chaque saison s'affranchissent de la limite des épisodes, dépassant justement certains des codes du petit écran.
Cet article, que l'on partage l'opinion de l'auteur ou non, a le mérite de faire rappeler et faire réfléchir sur les recettes de storytelling suivies actuellement. Elles demeurent plus ou moins toutes représentées, avec parfois des équilibres très réussis entre feuilleton et série, comme l'illustre actuellement une oeuvre comme Justified. Cependant, au-delà des techniques de scénaristes, cet article renseigne aussi sur un autre aspect : l'importance jouée par les attentes du téléspectateur devant un épisode de série. Comment perçoit-il cette heure de rendez-vous hebdomadaire ? Et que représente pour lui ce rendez-vous ?
Distinguer entre le feuilleton et la série (aussi perméables que soient ces catégories), ce n'est pas remettre en cause la légendaire addiction du sériephile, ni la fidélité que l'on peut éprouver pour telle ou telle fiction. Les différences vont tenir à d'autres aspects, très variables. Plus que l'anticipation par le téléspectateur de la fin de l'arc narratif, qu'il s'agisse d'un climax ou d'une grande révélation, je vois avant tout dans les feuilletons la possibilité de construire un (ou des) arc(s) homogène(s), pour une oeuvre comportant un début, un développement et une vraie fin. La structure du feuilleton tend ici à se confondre avec celle du roman, les épisodes devenant un découpage en chapitres d'une seule oeuvre.
Par rapport à cette structure narrative, ma consommation de séries a beaucoup évolué ces dernières années. Autant (ou même peut-être plus) que la "sériephilie sans frontières" dont je vous parle régulièrement, c'est peut-être là une des clés de ma sériephilie actuelle : ma conception de la fiction télévisuelle et les raisons pour lesquelles je la regarde.
Au début d'une série, tout sériephile veut y croire...
Durant mes premières années de visionnage des séries, j'étais une téléspectatrice fidèle et assidue. J'ai expérimenté tous les genres imaginables diffusés sur les chaînes hertziennes : des séries purement procédurales, des dramas chroniques de vie, des soaps, des séries "hybrides" où le fil rouge tendait à la rapprocher du feuilleton, etc. Ce faisant, j'ai vécu d'intenses moments de satisfaction, mais aussi de la déception. Pas celle qui accompagne un trop rapide dérapage qualitatif (Invasion Planète Terre), mais celle qui suit la dilution progressive d'une oeuvre incapable de se renouveler dont on exploite jusqu'au bout et au-delà son concept (d'innombrables cop shows) ; ou alors quand la série finit défigurée, sans rapport avec l'esprit d'origine (New York 911). Et puis, il y aussi eu ces fameuses oeuvres dans lesquelles la mythologie patiemment construite a finalement déçue (X-Files). Des années d'investissement, et une impression de frustration qui reste (sans effacer cependant le plaisir d'avoir vécu les premières saisons et leurs interrogations)...
Durant la décennie des années 2000, un décrochage s'est opéré dans mon approche des séries. L'investissement sur le long terme est devenu plus difficile ; démarrer des nouveautés, moins naturel. Je me suis mis à rechercher des oeuvres où le contrat d'engagement était pré-écrit : je savais dans quoi je m'engageais et pour combien de temps. C'est à ce moment-là que j'ai vraiment commencé à m'investir dans les "mini-séries" ; et c'est précisément au cours de cette crise que ma consommation anglaise a explosé. Plus que mon anglophilie, voilà bien une des raisons premières qui m'a fait me tourner vers le petit écran d'outre-Manche. Le nombre d'épisodes est connu, le récit construit comme un vaste arc avec une fin. Et si déception il y a, je n'aurais pas d'arrière-goût amer à la pensée d'avoir investi 100 heures pour me sentir flouée. Immédiatement, la découverte se fait alors plus spontanément.
C'est ensuite que j'ai découvert le petit écran asiatique, ou plus précisément japonais. Le format classique du renzoku tourne autour d'une dizaine d'épisodes d'une quarantaine de minutes (je laisse de côté les taïga et asadora). Le renouvellement du drama, loin d'être systématique, est plutôt rare ; si bien que l'histoire se construit généralement sur une seule saison. La série pourra indifféremment adopter le modèle du feuilletonant ou au contraire enchaîner les épisodes quasi-indépendants, cela dépend simplement des genres. Je m'y suis cependant facilement laissée prendre parce que j'y ai retrouvé des assurances proches du format de la mini-série, en terme de durée, mais aussi en terme d'écriture.
J'aurais pu finir par croire que mon rapport aux séries se résumait à une question de longueur, mais j'ai alors commencé à suivre les séries sud-coréennes. Concernant le format de ces dramas, la structure narrative suivie par les trois chaînes principales de Corée du Sud (je laisse volontairement de côté le câble qui a introduit récemment quelques variantes) se rapproche de ses voisins chinois, taïwanais, ou encore de Hong Kong, mais aussi des télénovélas d'Amérique du Sud. Un début, une vraie fin, un renouvellement pour une saison 2 exceptionnel, et un nombre d'épisodes plus long, avec 20, 36 ou pouvant dépasser allègrement la cinquantaine d'épisodes pour les home dramas ou encore les sageuk.
Pourtant, dans le petit écran sud-coréen, le fonctionnement de l'industrie de l'entertainment fait qu'on n'y trouve pas les mêmes garanties que j'ai précédemment évoquées. La cadence imposée par le tournage "live", avec des épisodes écrits et tournés à flux tendus par rapport à la diffusion télévisée (il arrive de boucler la post-production d'un épisode la veille même de sa diffusion), peut amoindrir l'écriture ; il n'est pas rare que le passage des épisodes pré-écrits, à ceux ajustés et finalisés en cours de diffusion, entraîne des sautes qualitatives. De même, un drama à succès (ou en cas de retard de celui dont la diffusion doit suivre) peut bénéficier d'une extension de quelques épisodes. Cela accentue d'autant les risques de dilution de la série.
Seulement, en dépit de ces risques, c'est le plaisir du feuilleton (lorsqu'il est réussi) qui l'emporte. C'est ainsi que j'ai pu arriver au bout des 81 épisodes de Jumong en éprouvant un vrai plaisir sériephile rare. Comme beaucoup de sageuk traditionnels, il se présente comme un biopic d'un personnage célèbre, partant des évènements précédant la naissance (souvent des tragédies forgeant les oppositions) puis relatant l'accomplissement de ses grands actes, pour s'achever proche de la fin. La force de ce récit, c'est justement sa construction comme un grand roman, découpés en chapitre, et des épisodes qui ne sauraient se visionner indépendamment.
Au final, au-delà des deux catégories que sont le feuilleton et la série (et de ma préférence pour la première), la construction narrative qui a mes faveur est désormais celle-ci : un début, une fin, si possible un nombre d'épisodes clairement défini. Ma fiction idéale s'apparente à un livre, et j'entretiens avec elle des rapports très semblables avec ces derniers (Forbrydelsen l'a bien illustré l'an dernier). Sans être une vérité systématique, c'est ce qui décrit le mieux l'état actuel de ma sériephilie. Le procedural show n'a plus mes faveurs ; pas plus que la série au concept potentiellement fleuve qui empêche de savoir pour combien de temps et jusqu'où on s'embarque. Cela explique d'ailleurs en partie mes réserves face aux fictions des grands networks américains.
De façon plus problématique, la fidélité sur le long terme que j'ai pu nourrir par le passé pour certaines oeuvres me semble aujourd'hui presque incompréhensible. Prenons par exemple House MD qui va s'achever à la fin de la saison. Je l'ai sincèrement appréciée à ses débuts ; je m'installe aujourd'hui devant un épisode sans trop rechigner, mais j'ai tourné la page depuis plusieurs saisons. Sans regret. J'admire la persévérance des sériephiles qui accompagnent leurs fictions saison après saison. Cela m'est devenu presque étranger. Ma passion sériephile est cependant intacte ; elle se manifeste juste différemment désormais.
Et vous, quel rapport entretenez-vous avec les épisodes d'une fiction télévisée ?