Une pièce sur les seins (4/5)

Par Montaigne0860

Scène 4

(Lorsqu’elles entrent en scène elles semblent engagées dans une conversation qui dure depuis un certain temps)
Agathe
Mais si, Joël, souviens-toi, avec ses lunettes de travers et les cheveux bouclés comme un mouton !
Julie
Oui, je vois, ça y ‘est, je vois !
Agathe
Donc, je te disais, l’autre jour, on l’avait invité avec sa nouvelle… comment dire… avec sa nouvelle femme, enfin, ils sont pas mariés…
Julie
Avec sa nouvelle compagne.
Agathe
Voilà, compagne, si tu veux. Eh bien, autant l’ancienne était plate comme une limande, comment elle s’appelait déjà?
Julie
Roberta…
Agathe
Oui, Roberta, j’allais dire Spaghetti tellement elle était mince comme un fil…
Julie
Oui, et mignonne avec ça !
Agathe
Enfin, faut aimer, moi, les femmes fil de fer avec deux œufs sur le plat en guise de seins.
Julie
Mais je te parle pas de ça ! Son corps je m’en fiche. Roberta elle était sympa.
Agathe
Oui, bon, bref, enfin la nouvelle femme de Joël…
Julie
Sa nouvelle compagne…
Agathe
Oui, ben, sa nouvelle compagne, comme tu dis, elle a une de ces poitrines… comment dire ? Énorme, énorme, énorme !
Julie
Énorme comment ?
Agathe
Ben, comme ça, à peu près ! (Elle fait un geste pour en montrer l’ampleur)
Julie
Ah oui, quand même !
Agathe
Oui, à ce point là ! Je vais te dire, moi, je trouve ça ridicule !
Julie
Ridicule ! Attends, mais pas du tout, c’est la nature !
Agathe
Oui, ben moi, j’en ferais évacuer la moitié à coups de scalpel ! T’imagines le truc à porter ?
Julie
Mais nooon ! Laisse aller la nature ! Tu sais, au fond, je trouve qu’une grosse poitrine c’est très beau !
Agathe
Beau ? Tu te fiches de moi ! Beau ! Mais qu’est-ce qu’il faut pas entendre ?
Julie
Ça donne une présence rayonnante ; il y a là une grande joie dans une telle présence ! La vie, c’est beau la vie !
Agathe
Non, non, on voit bien que tu l’as pas vue. C’est encombrant ce truc là ! Tout juste si en se penchant pour s’asseoir elle n’a pas renversé les fleurs que j’avais posées sur la table !
Julie
En tout cas, dis-donc, Joël, il change du tout au tout. J’espère que sa nouvelle compagne est aussi sympa que Roberta, c’est tout ce qui compte.
Agathe
Remarque, sa Roberta, elle aurait pu les gonfler au silicone, elle serait peut-être restée avec Joël !
Julie
Et tu penses vraiment que la deuxième elle devrait se les faire diminuer ?
Agathe
Ah oui, franchement. Une taille pareille, c’est pathologique, c’est un vrai handicap !
Julie
Bof ! Les seins qu’on gonfle et qu’on dégonfle, je trouve tout ça humiliant, c’est pas clair cette histoire.
Agathe
Quoi ? Qu’est-ce qui est humiliant là-dedans ?
Julie
Je ne sais pas. C’est la vie et ses fantaisies et tu vois y’a des modes comme ça… les femmes se croient obligées de se conformer à une moyenne qui n’existe pas. Une moyenne qui doit rôder dans l’esprit des mecs et qu’on impose comme ça, pour humilier les femmes ! La femme parfaite, je l’ai jamais rencontrée.
Agathe
Et Joël non plus visiblement. Maintenant il se crève les yeux sur son corsage. Bon, moi je veux bien, mais enfin, trop c’est trop !
Julie
Noon, non, Agathe, non, le problème n’est pas là, bon dieu ! La taille de la poitrine, on s’en fout, tout dépend de ce qu’il y a autour !
Agathe
Autour ? Mais autour de quoi ?
Julie
Ben le sourire, la voix, la démarche, l’allure générale, l’intelligence… être une femme, c’est quand même pas dans la poitrine !
Agathe
Ça joue un rôle !
Julie
Non, c’est nul. On n’est pas de la barbaque ! Plus ou moins de viande sur le thorax, ça ne fait pas une belle femme. La beauté c’est aussi intérieur et ça rayonne par les yeux, par les gestes, enfin quand même, on ne va pas réduire la beauté féminine à la taille des seins ! C’est stupide à la fin, ces conversations à la noix !
Agathe
Tu penses que ce que je dis là c’est des paroles à la noix ?
Julie
Franchement ! Franchement, écoute Agathe, je t’aime bien mais l’ampleur de la poitrine, on ne devrait pas se fixer là-dessus !
Agathe
Tu ne réponds pas ! Cette conversation là, elle te paraît idiote ?
Julie
Oui.
Agathe
Merci ! Tu m’énerves, toujours à me contredire ! Tu fais ça tout le temps, sur n’importe quel sujet !
Julie
C’est faux !
Agathe
Tu vois, tu me contredis encore ! Tu le fais exprès, non ?
Julie
Pas du tout ! Je dis ce que je pense ; les seins, tu parles d’un truc, toi… bouh, ça me fout en l’air ces trucs là ! On a les seins qu’on peut et puis on s’en débrouille et zut, j’en ai marre de parler de ça !
Agathe
Vu l’humeur de madame, moi, je décanille d’ici ! Pour une fois qu’on parlait d’un problème de femmes.
Julie
Un problème de femmes !!?? Les seins ce n’est pas un problème et cela ne concerne pas que les femmes. Tu es vraiment à côté de la plaque, toi. Tout ça pour dire du mal de l’une de l’autre… j’en ai ras le bol de ces ragots !
Agathe
Je me sauve, moi, marre de t’entendre, je reviendrai quand tu seras plus aimable !
Julie
C’est ça, c’est-à-dire jamais !
Agathe
T’as l’intention de me faire la gueule pendant vingt ans ? Ah cet air triste, là, à remâcher des rancœurs !
Julie
Pas du tout ! Qui est-ce qui a parlé de la beauté de la nature, de la joie de vivre, qui a défendu aussi bien les petits seins que les grosses poitrines ? Et ce serait moi qui serait pleine de rancœur ? Moi, je trouve tout ça très bien et j’estime qu’on en fait un peu trop sur des détails de notre anatomie qui ne sont pas essentiels ! Et puis on ne découpe pas les femmes en tranches, c’est un ensemble, ce que nous disons n’est pas essentiel, je te dis.
Agathe
Qu’est-ce qui est essentiel ?
Julie
La vie, l’amour de la vie, la joie de vivre…(en un murmure) et j’en sais quelque chose !
Agathe
C’est quoi cette histoire ?Tu es une spécialiste de la joie de vivre ?
Julie
Non, non…
Agathe
Tu sais quoi ? Qu’est-ce que tu as à en dire ?
Julie
Rien, rien… va, va…
Agathe
Tu caches quelque chose.
Julie
Non, non…
Agathe
Si, si, tu me caches quelque chose !
Julie
Non, non.
Agathe
Si, si, je le vois.
Julie
Non, ça va, ça va aller…
Agathe
Tu parles, je te connais.
Julie
Arrête, je t’en prie.
Agathe
Allez, allez !
Julie
Non, je ne veux pas, je ne peux pas.
Agathe
Tu ne veux pas quoi ? (Silence) Tu pleures ? Dis-moi que c’est pas vrai, ce n’est pas moi qui… (Julie fait non de la tête) Tu… tu…
Julie
C’est… c’est le cancer du sein… pas très avancé, là, à droite…
Agathe
Je vois… tu as des chances de… (Julie fait oui de la tête). On en guérit aujourd’hui, excuse-moi, pardonne-moi, je ne pouvais pas… (Elles s’éloignent tout en parlant, comme elles sont venues).