Scène 4
- (Lorsqu’elles entrent en scène elles semblent engagées dans une conversation qui dure depuis un certain temps)
- Agathe
- Mais si, Joël, souviens-toi, avec ses lunettes de travers et les cheveux bouclés comme un mouton !
- Julie
- Oui, je vois, ça y ‘est, je vois !
- Agathe
- Donc, je te disais, l’autre jour, on l’avait invité avec sa nouvelle… comment dire… avec sa nouvelle femme, enfin, ils sont pas mariés…
- Julie
- Avec sa nouvelle compagne.
- Agathe
- Voilà, compagne, si tu veux. Eh bien, autant l’ancienne était plate comme une limande, comment elle s’appelait déjà?
- Julie
- Roberta…
- Agathe
- Oui, Roberta, j’allais dire Spaghetti tellement elle était mince comme un fil…
- Julie
- Oui, et mignonne avec ça !
- Agathe
- Enfin, faut aimer, moi, les femmes fil de fer avec deux œufs sur le plat en guise de seins.
- Julie
- Mais je te parle pas de ça ! Son corps je m’en fiche. Roberta elle était sympa.
- Agathe
- Oui, bon, bref, enfin la nouvelle femme de Joël…
- Julie
- Sa nouvelle compagne…
- Agathe
- Oui, ben, sa nouvelle compagne, comme tu dis, elle a une de ces poitrines… comment dire ? Énorme, énorme, énorme !
- Julie
- Énorme comment ?
- Agathe
- Ben, comme ça, à peu près ! (Elle fait un geste pour en montrer l’ampleur)
- Julie
- Ah oui, quand même !
- Agathe
- Oui, à ce point là ! Je vais te dire, moi, je trouve ça ridicule !
- Julie
- Ridicule ! Attends, mais pas du tout, c’est la nature !
- Agathe
- Oui, ben moi, j’en ferais évacuer la moitié à coups de scalpel ! T’imagines le truc à porter ?
- Julie
- Mais nooon ! Laisse aller la nature ! Tu sais, au fond, je trouve qu’une grosse poitrine c’est très beau !
- Agathe
- Beau ? Tu te fiches de moi ! Beau ! Mais qu’est-ce qu’il faut pas entendre ?
- Julie
- Ça donne une présence rayonnante ; il y a là une grande joie dans une telle présence ! La vie, c’est beau la vie !
- Agathe
- Non, non, on voit bien que tu l’as pas vue. C’est encombrant ce truc là ! Tout juste si en se penchant pour s’asseoir elle n’a pas renversé les fleurs que j’avais posées sur la table !
- Julie
- En tout cas, dis-donc, Joël, il change du tout au tout. J’espère que sa nouvelle compagne est aussi sympa que Roberta, c’est tout ce qui compte.
- Agathe
- Remarque, sa Roberta, elle aurait pu les gonfler au silicone, elle serait peut-être restée avec Joël !
- Julie
- Et tu penses vraiment que la deuxième elle devrait se les faire diminuer ?
- Agathe
- Ah oui, franchement. Une taille pareille, c’est pathologique, c’est un vrai handicap !
- Julie
- Bof ! Les seins qu’on gonfle et qu’on dégonfle, je trouve tout ça humiliant, c’est pas clair cette histoire.
- Agathe
- Quoi ? Qu’est-ce qui est humiliant là-dedans ?
- Julie
- Je ne sais pas. C’est la vie et ses fantaisies et tu vois y’a des modes comme ça… les femmes se croient obligées de se conformer à une moyenne qui n’existe pas. Une moyenne qui doit rôder dans l’esprit des mecs et qu’on impose comme ça, pour humilier les femmes ! La femme parfaite, je l’ai jamais rencontrée.
- Agathe
- Et Joël non plus visiblement. Maintenant il se crève les yeux sur son corsage. Bon, moi je veux bien, mais enfin, trop c’est trop !
- Julie
- Noon, non, Agathe, non, le problème n’est pas là, bon dieu ! La taille de la poitrine, on s’en fout, tout dépend de ce qu’il y a autour !
- Agathe
- Autour ? Mais autour de quoi ?
- Julie
- Ben le sourire, la voix, la démarche, l’allure générale, l’intelligence… être une femme, c’est quand même pas dans la poitrine !
- Agathe
- Ça joue un rôle !
- Julie
- Non, c’est nul. On n’est pas de la barbaque ! Plus ou moins de viande sur le thorax, ça ne fait pas une belle femme. La beauté c’est aussi intérieur et ça rayonne par les yeux, par les gestes, enfin quand même, on ne va pas réduire la beauté féminine à la taille des seins ! C’est stupide à la fin, ces conversations à la noix !
- Agathe
- Tu penses que ce que je dis là c’est des paroles à la noix ?
- Julie
- Franchement ! Franchement, écoute Agathe, je t’aime bien mais l’ampleur de la poitrine, on ne devrait pas se fixer là-dessus !
- Agathe
- Tu ne réponds pas ! Cette conversation là, elle te paraît idiote ?
- Julie
- Oui.
- Agathe
- Merci ! Tu m’énerves, toujours à me contredire ! Tu fais ça tout le temps, sur n’importe quel sujet !
- Julie
- C’est faux !
- Agathe
- Tu vois, tu me contredis encore ! Tu le fais exprès, non ?
- Julie
- Pas du tout ! Je dis ce que je pense ; les seins, tu parles d’un truc, toi… bouh, ça me fout en l’air ces trucs là ! On a les seins qu’on peut et puis on s’en débrouille et zut, j’en ai marre de parler de ça !
- Agathe
- Vu l’humeur de madame, moi, je décanille d’ici ! Pour une fois qu’on parlait d’un problème de femmes.
- Julie
- Un problème de femmes !!?? Les seins ce n’est pas un problème et cela ne concerne pas que les femmes. Tu es vraiment à côté de la plaque, toi. Tout ça pour dire du mal de l’une de l’autre… j’en ai ras le bol de ces ragots !
- Agathe
- Je me sauve, moi, marre de t’entendre, je reviendrai quand tu seras plus aimable !
- Julie
- C’est ça, c’est-à-dire jamais !
- Agathe
- T’as l’intention de me faire la gueule pendant vingt ans ? Ah cet air triste, là, à remâcher des rancœurs !
- Julie
- Pas du tout ! Qui est-ce qui a parlé de la beauté de la nature, de la joie de vivre, qui a défendu aussi bien les petits seins que les grosses poitrines ? Et ce serait moi qui serait pleine de rancœur ? Moi, je trouve tout ça très bien et j’estime qu’on en fait un peu trop sur des détails de notre anatomie qui ne sont pas essentiels ! Et puis on ne découpe pas les femmes en tranches, c’est un ensemble, ce que nous disons n’est pas essentiel, je te dis.
- Agathe
- Qu’est-ce qui est essentiel ?
- Julie
- La vie, l’amour de la vie, la joie de vivre…(en un murmure) et j’en sais quelque chose !
- Agathe
- C’est quoi cette histoire ?Tu es une spécialiste de la joie de vivre ?
- Julie
- Non, non…
- Agathe
- Tu sais quoi ? Qu’est-ce que tu as à en dire ?
- Julie
- Rien, rien… va, va…
- Agathe
- Tu caches quelque chose.
- Julie
- Non, non…
- Agathe
- Si, si, tu me caches quelque chose !
- Julie
- Non, non.
- Agathe
- Si, si, je le vois.
- Julie
- Non, ça va, ça va aller…
- Agathe
- Tu parles, je te connais.
- Julie
- Arrête, je t’en prie.
- Agathe
- Allez, allez !
- Julie
- Non, je ne veux pas, je ne peux pas.
- Agathe
- Tu ne veux pas quoi ? (Silence) Tu pleures ? Dis-moi que c’est pas vrai, ce n’est pas moi qui… (Julie fait non de la tête) Tu… tu…
- Julie
- C’est… c’est le cancer du sein… pas très avancé, là, à droite…
- Agathe
- Je vois… tu as des chances de… (Julie fait oui de la tête). On en guérit aujourd’hui, excuse-moi, pardonne-moi, je ne pouvais pas… (Elles s’éloignent tout en parlant, comme elles sont venues).