Le Temps a publié deux articles à un jour d'intervalle sur les différences entre Suisse latine et Suisse alémanique. Le jeudi 1er mars 2012 sous la signature de Sylvain Besson, le vendredi 2 mars sous celle de Marie-Hélène Miauton.
Sylvain Besson fait écho ici à un article de la Weltwoche, signé Andreas Kunz, basé sur une étude d'universitaires de Lausanne et de Zürich, intitulée : La culture affecte-t-elle le chômage ? - La preuve par le Röstigraben ici. Le Röstigraben est le "fossé linguistique", qui sépare la Suisse alémanique et la Suisse latine.
Avec humour, Guy Mettan et Christophe Büchi, dans leur Dictionnaire impertinent de la Suisse, le définissent ainsi :
"Gouffre sans fond qui séparerait les Romands des Alémaniques. Comme le monstre du Loch Ness personne ne l'a vu mais tout le monde en parle, surtout les dimanches soirs de votations."
Marie-Hélène Miauton voit dans la Suisse une Europe en miniature ici . Elle se base, quant à elle, sur une étude de l'IDHEAP, l'Institut des hautes études en administration publique, ici.
Il est bien des choses qui existent sans que nous ne les ayons jamais vues. Le Röstigraben en fait partie. Les deux études citées le confirment. Et d'autres encore.
Sylvain Besson cite celle utilisée par Andreas Kunz, qui - il faut le reconnaître - n'a pas fait dans la dentelle en titrant son article Les Grecs de la Suisse, en parlant des Romands :
"78% des Alémaniques répondent oui à la question: «Travailleriez-vous même si vous n’aviez pas besoin d’argent?», alors que les Romands sont 50% à le faire. La durée moyenne du chômage en Suisse alémanique est de 28 semaines, pour 35 semaines en Suisse romande. Autant d’indices d’une «plus forte prévalence de la «culture du loisir» dans les régions latines, par opposition à la culture presque «workaholique» des régions germanophones»"
Dans le même registre il est indéniable, tous les chiffres le montrent, qu'il y a plus de chômage dans les cantons romands que dans les cantons alémaniques...
Comme pour minimiser ses propos, Andreas Kunz remarque malicieusement :
"Nous aimons les Romands. La Suisse serait ennuyeuse sans eux. Mais les chiffres que j’évoque sont réels, notamment les différences observées dans les zones frontalières des régions linguistiques."
Andreas Kunz admire le "savoir-vivre" des Romands que la photo de couverture de l'hebdomadaire zurichois est censée représenter : ils seraient peu travailleurs, gros buveurs et dépendants des assurances sociales...
Marie-Hélène Miauton remarque que les cantons romands sont plus étatistes et moins démocrates que les cantons alémaniques. Ce qui se voit aussi dans les chiffres :
"Par exemple, le nombre de signatures pour lancer une initiative ou un référendum cantonal y est proportionnellement beaucoup plus élevé: 4% de l’électorat à Genève, Neuchâtel et au Jura, plus de 3% dans les cantons de Vaud, Fribourg ou du Tessin, contre seulement 2% à Schaffhouse, Berne ou Saint-Gall et moins de 1% à Zurich, Bâle-Campagne ou en Argovie!"
De même la densité des fonctionnaires est-elle bien différente d'un côté ou l'autre du Röstigraben:
"Bien supérieure en Suisse latine, elle a tendance à augmenter encore dans les cantons de Genève et Vaud. En outre, les collaborateurs de l’Etat sont désormais engagés sous contrat de droit privé dans l’immense majorité de la Suisse alémanique (sauf Lucerne, Saint-Gall et la Thurgovie) alors qu’ils restent sous droit public en Romandie (sauf Fribourg)!"
Les dépenses publiques sont plus élevées dans les cantons latins que les cantons alémaniques :
"La moyenne suisse s’établit à 21% [du PIB] alors que Zurich et Soleure sont à 19%, mais Neuchâtel à 27%, le Tessin à 28% et Genève à 32%!"
Marie-Hélène Miauton conclut :
"Tout ceci pour dire que le modèle suisse permet aux mentalités latines et germaniques de se côtoyer au sein d’une confédération qui, tout en harmonisant les règles essentielles de la vie commune, laisse à chacun des Etats son autonomie organisationnelle et sa philosophie politique. L’UE devrait vraiment y réfléchir."
Pour ma part, je conclurai que les Suisses alémaniques, plus sensés, empêchent les Suisses latins de commettre de grosses bêtises et que les latins de Suisse apportent à leurs compatriotes alémaniques cette fantaisie qui leur manque bien souvent.
Je conclurai aussi que la démocratie directe, contre-pouvoir face à l'Etat, est un facteur de cohésion helvétique, qui permet de surmonter le Röstigraben, et que la diversité culturelle, maintenue en grande partie grâce au fédéralisme, application helvétique du principe de subsidiarité, est un facteur d'enrichissement pour l'ensemble.
Francis Richard