Le troisième tableau est assuré par Berthe Bernage, un auteur que je me permettrai, en dépit de son succès, de qualifier de "gnangnan." Amateurs de mièvrerie, si vous me lisez, sachez que, avec Mme Bernage, vous serez gâtés. Univers petit-bourgeois, références permanentes à la Sainte Eglise Romaine et Apostolique et aux bienfaits de la religion, préoccupations étroites et bornées, préjugés bien-pensants et politiquement corrects, c'est ainsi qu'on peut résumer la série "Brigitte", commencée tout à fait par hasard après la Première guerre mondiale, dans les pages des "Veillées des Chaumières", avec le titre "Brigitte jeune fille." Après le décès de sa créatrice, le 14 mai 1972, la série retrouvera un nouveau souffle avec les aventures de Marie-Agnès, la benjamine de Brigitte, le tout sous la plume de Simone Roger-Vercel.
Enfin, la plus gâtée en nombre de pages avec Delly (56 pour chacune d'elles), entre en scène Jeanne Philbert, dite Magali, dite aussi "la Femme aux Cent Romans" (même si elle en écrivit bien plus), amie de Maryse Bastié et passionnée d'aviation, chroniqueuse sentimentale et romancière qui invita à la table du roman rose l'Aventure et l'Exploration. Par l'âge (elle naquit en 1910) comme par la manière de concevoir la vie, elle est sans doute la plus moderne des quatre femmes ici citées. L'imaginaire qu'elle a créé est aussi riche et aussi codifié en son genre que celui de Delly, dont elle est, curieusement, la descendante la plus directe et pourtant la plus paradoxale. Directe par la vivacité de la pensée, par l'art de remanier le conte de fées et par l'indépendance foncière d'une nature qui, venue au monde près de quarante ans après la Solitaire de Versailles, trouva mieux à s'exprimer dans un monde où le statut des femmes avait considérablement évolué. Paradoxale parce que les héroïnes de Magali travaillent, font du sport, partent à l'aventure, se veulent les égales des hommes, même quand elles sont amoureuses, et ne ressassent pas tout le temps leurs prières. Celle qui leur avait donné la vie est morte le 5 février 1986.
Cinquante-six pages donc pourDelly et Magali, une quarantaine pour du Veuzit et trente-deux pour Bernage: les chiffres sont éloquents. On peut regretter que, surtout pour les deux dernières, Guérin et Paulvé aient surtout évoqué le contexte politique et social dans lequel elles vécurent. Mais c'est là une chose qu'on trouve - en outre de façon beaucoup plus complète - dans n'importe quel livre d'histoire et cela n'apprend rien sur la démarche créatrice de ces femmes qui, certes, ont écrit pour gagner leur vie mais aussi pour le plaisir.
Hormis quelques extraits, rien n'est dit, répétons-le, sur l'oeuvre elle-même. Et pourtant, qu'on l'aime ou pas, il a des masses à dire sur le sujet : l'érotisme chez Delly, la sexualité chez Du Veuzit, le culte du politiquement correct chez Bernage et le désir de liberté absolue chez Magali, voilà quelques uns des thèmes qu'on aurait pu traiter.
Quelques uns. Seulement.
A quand l'ouvrage qui le fera ? ... En l'attendant, prenez votre mal en patience et lisez, faute de mieux, "Le Roman du Roman rose." ;o)