Dans un précédent récent, Charles Gave défendait la place de l’économie américaine dans le monde, article qui avait suscité de nombreux commentaires et contradictions auxquels il répond.
Par Charles Gave
Chers amis lecteurs,
L’un de mes précédents articles ayant donné lieu à moult commentaires [1], j’aimerais prendre le temps de revenir sur certains d’entre eux. Sur le premier point, je n’ai jamais dit que les États-Unis n’avaient pas un déficit des comptes courants, ce qui aurait été idiot. J’ai simplement dit que le cash-flow que les agents économiques américains tiraient des actifs qu’ils détiennent à l’étranger était supérieur à celui qu’ils payaient aux étrangers pour les investissements que ces derniers avaient effectués chez eux, ce qui semble indiquer que la valeur de marché des actifs détenus en dehors des États-Unis par des entités américaines est supérieure à la valeur des actifs que les non américains détiennent aux États-Unis.
Les USA ne sont donc pas le pays le plus endetté du monde vis-à-vis de l’étranger, bien au contraire
Qui plus est, je crois que 60% des importations US sont le fait de sociétés américaines produisant à l’extérieur et exportant de Chine, ou d’Europe ou du Brésil vers les USA. Les sociétés américaines exportent de l’emploi et importent des profits, ce qui me semble parfaitement sain au stade de développement où ils sont arrivés.
Ce phénomène est rendu possible par un autre phénomène : tout se passe comme si la principale exportation US était de fait la sécurité juridique qu’ils offrent. Les hommes d’affaires chinois ou brésiliens, indiens etc… gagnent de l’argent chez eux et veulent mettre une partie de cet argent (leur épargne de sécurité) à un endroit où ils sont absolument certains de retrouver leur capital si eux ou leurs familles devaient prendre un avion à toute vitesse en quittant leurs pays précipitamment pour éviter de prendre une balle dans la nuque. Ils le mettent donc en bons du trésor US à un rendement de zéro, car ils se contrefoutent de la rentabilité qu’ils peuvent atteindre aux USA. Ils ne recherchent pas la rentabilité mais la SÉCURITÉ. Ils gagnent suffisamment d’argent chez eux. Les USA prennent cet argent, en consomment une partie et ré-investissent le reste en Chine, au Brésil, en Argentine, etc., à un rendement de 10% ou plus puisqu’ils investissent, eux, uniquement dans des actifs à risque, dans des outils de production.
Il me semble également que vous confondez les comptes courants d’un pays avec le compte d’exploitation d’une société, ce qui n’a rien a voir, quoiqu’en pensent les mercantilistes de service un peu partout, du style Melanchon, Lepen, Sarkozy ou Hollande. Si la rentabilité du capital investi aux États-Unis est supérieure à la rentabilité du capital investi en Allemagne (par exemple), les entreprises allemandes investiront aux USA (ne pas le faire serait idiot). Les États-Unis auront donc des rentrées de capitaux et l’Allemagne des sorties. Comme la balance des paiements s’additionne à zéro (balance des capitaux + balance des comptes courants = zéro) puisque c’est une balance, l’Allemagne aura automatiquement des comptes courants excédentaires et les USA des comptes courants déficitaires. Ce qui veut simplement dire que la rentabilité du capital investi aux USA est supérieure à la rentabilité allemande.
Le Japon a eu des comptes courants excédentaires pendant des années parce que la rentabilité du capital investi y était grotesquement basse et les sorties de capitaux massives. Le contraire est vrai pour l’Australie. Depuis vingt ans il fallait être investi en Australie et certainement pas au Japon
Les comptes courants ne sont pas un compte d’exploitation, mais une simple tautologie comptable.
Bien entendu, si le déficit des comptes courants provient d’une hypertrophie de l’État et que ce déficit est financé par la dette émise par l’État et acheté par les étrangers, les rentrées de capitaux ne sont pas dues à une rentabilité du capital mais à l’État donnant sa garantie, ce qui nous amène au cas grec (ou français à terme). Il s’agit dans ce cas d’une manipulation des marchés financiers par les États, ce qui se termine toujours mal
En ce qui concerne le déficit des comptes publics US, qui est beaucoup trop élevé, il vient principalement des politiques keynésiennes débiles suivies par l’administration Obama et avant cela par celle de monsieur Bush. La croissance des dépenses de l’État engendre toujours une baisse du taux de croissance structurel de l’économie (voir Charles Gave, L’État est mort vive l’état chez Bourin éditeur). Pour régler leur problème actuel, il suffit de bloquer les dépenses de l’État aux USA pendant quelques années, de privatiser ce qui peut l’être, et comme les dépenses de l’État fédéral ne représentent que 28% du PNB (contre 55% pour la France), le problème se règlera de lui-même en quelques années pour peu que les impôts n’y soient pas augmentés, bien entendu. À ce titre les prochaines élections de novembre 2012 seront déterminantes.
Comme le disait toujours Milton Friedman, le déficit n’a aucune importance. Seuls comptent le poids et la croissance des dépenses de l’État dans l’économie comme l’exemple de la France, de la Grande Bretagne (gérée par monsieur Brown qui a foutu en l’air en 10 ans tout le travail que Madame Thatcher avait fait auparavant) ou encore du Japon ne cessent de le montrer.
Je maintiens que comparer un stock à un flux est une erreur méthodologique considérable. Le fait que tout le monde la commette ne change rien au fait que ce soit une erreur.
Enfin en ce qui concerne la dette et la valeur des actifs détenus par les individus, si mes souvenirs sont exacts, le chiffre de 60000 milliards de dollars d’actifs détenus par les particuliers est net de toute dette. Si un fonds de pension détient une hypothèque détenue par un particulier, la valeur nette est zéro. Seule est prise en compte dans les calculs de la Fed la valeur des actifs nets de toute dette (valeur de la maison moins valeur de l’hypothèque, valeur des actions moins dettes émises par la société etc…).
Enfin, la dette hors bilan n’a aucun intérêt (retraites, santé etc.) puisqu’un changement de législation sur les retraites et/ou sur le secteur de la santé ferait varier cette dette dans des proportions considérables et pourrait même la transformer en surplus comme cela s’est produit de 1994 à 2000 aux USA justement, ou en GB auparavant ou en Suède ou au Canada depuis 1992
Comme la démographie aux États-Unis reste et restera très satisfaisante, nous n’avons pas à craindre une implosion des systèmes sociaux comme en Espagne, au Japon ou en Italie, donc je n’ai pas à introduire cette variable dans les calculs. Dans une certaine mesure la France est dans une situation démographique similaire à celle des USA, l’une des rares bonnes nouvelles concernant notre pays.
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Sur le web
Note :
[1] Lire notamment la critique de Loïc Abadie publiée dans nos colonnes hier.